Le Rhin, Tome II. Victor Hugo

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Le Rhin, Tome II - Victor Hugo


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las d'écrire toutes ces choses ténébreuses et imposantes, je ne pus m'empêcher de pousser le coude de G – et de lui demander tout bas: «Mais de quoi diable parle cet homme?»

      G – se tourna à demi vers moi et me dit avec gravité: «De la gale.»

      Je partis d'un éclat de rire si violent que le livre de notes me tomba des mains. G – le ramassa, m'arracha le crayon, et sans daigner répliquer à ma gaieté, même par un geste de mépris, plus que jamais attentif aux paroles du charlatan, il continua d'écrire à ma place, dans l'attitude recueillie et raphaélesque d'un disciple de l'école d'Athènes.

      Je dois dire que les paysans, de plus en plus éblouis, partageaient, au suprême degré, l'admiration et la béatitude de G – . L'extrême science et l'extrême ignorance se touchent par l'extrême naïveté. Le dialogue obscur et formidable du charlatan avait parfaitement réussi près des villageois de l'honnête pays de Petit-Sou. Le peuple est comme l'enfant: il s'émerveille de ce qu'il ne comprend pas. Il aime l'inintelligible, le hérissé, l'amphigouri déclamatoire et merveilleux. Plus l'homme est ignorant, plus l'obscur le charme; plus l'homme est barbare, plus le compliqué lui plaît. Rien n'est moins simple qu'un sauvage. Les idiomes des hurons, des botocudos et des chesapeacks sont des forêts de consonnes à travers lesquelles, à demi engloutis dans la vase des idées mal rendues, se traînent des mots immenses et hideux, comme rampaient les monstres antédiluviens sous les inextricables végétations du monde primitif. Les algonquins traduisent ce mot si court, si simple et si doux, France, par Mittigouchiouekendalakiank.

      Aussi, quand la baraque s'ouvrit, la foule, impatiente de contempler les merveilles promises, s'y précipita. Les mittigouchiouekendalakiank des charlatans se résolvent toujours en une pluie de liards ou de doublons dans leur escarcelle, selon qu'ils se sont adressés au peuple d'en bas ou au peuple d'en haut.

      Une heure après nous avions repris notre promenade et nous suivions la lisière d'un petit bois. G – ne m'avait pas encore adressé une parole. Je faisais mille efforts inutiles pour rentrer en grâce. Tout à coup, paraissant sortir d'une profonde rêverie et comme se répondant à lui-même, il dit: «Et il en parle fort bien!

      – De la gale, n'est-ce pas? fis-je fort timidement.

      – Oui, pardieu, de la gale,» me répondit G – avec fermeté.

      Il ajouta après un silence: «Cet homme a fait de magnifiques observations microscopiques. De vraies découvertes.»

      Je hasardai encore un mot. «Il aura étudié son sujet sur ce pharaon d'Égypte dont il a fait son laquais et son musicien.»

      Mais G – ne m'entendait déjà plus. «Quelle prodigieuse chose! s'écria-t-il, et quel sujet de méditation mélancolique! La maladie suit l'homme après la mort. Les squelettes ont la gale!»

      Il y eut encore un silence, puis il reprit: «Cet homme manque à la troisième classe de l'Institut. Il y a bien des académiciens qui sont charlatans; voilà un charlatan qui devrait être académicien.»

      Maintenant, mon ami, je vous vois d'ici rire à votre tour et vous écrier: «Est-ce tout? oh! les aimables aventures, les engageantes histoires, et quel voyageur à pied vous êtes! Rencontrer des ours, ou entendre un avaleur de sabres, bras nus et ceinturonné de rouge, confronter en plein air l'acarus de l'homme à l'acarus du chameau et faire à des paysans un cours philosophique de gale comparée! Mais, en vérité, il faut en grande hâte se jeter en bas de sa chaise de poste, et ce sont là de merveilleux bonheurs.»

      Comme il vous plaira. Quant à moi, je ne sais si c'est le matin, si c'est le printemps ou si c'est ma jeunesse qui se mêle à ces souvenirs, déjà anciens, hélas! mais ils rayonnent en moi. Je leur trouve des charmes que je ne puis dire. Riez donc tant que vous voudrez du voyageur à pied, je suis toujours tout prêt à recommencer, et s'il m'arrivait encore aujourd'hui quelque aventure pareille, «j'y prendrais un plaisir extrême.»

      Mais de semblables bonnes fortunes sont rares, et quand j'entreprends une excursion à pied, pourvu que le ciel ait un air de joie, pourvu que les villages aient un air de bonheur, pourvu que la rosée tremble à la pointe des herbes, pourvu que l'homme travaille, que le soleil brille et que l'oiseau chante, je remercie le bon Dieu, et je ne lui demande pas d'autres aventures. – L'autre jour donc, à cinq heures et demie du matin, après avoir donné les ordres nécessaires pour faire transporter mon bagage à Bingen, dès l'aube, je quittais Lorch, et un bateau me transportait sur le bord opposé. Si vous suivez jamais cette route, faites de même. Les ruines romaines, romanes et gothiques de la rive gauche ont beaucoup plus d'intérêt pour le piéton que les ardoises de la rive droite. A six heures j'étais assis, après une assez rude ascension à travers les vignes et les broussailles, sur la croupe d'une colline de lave éteinte qui domine le château de Furstemberg et la vallée de Diebach, et là je constatais une erreur des antiquaires. Ils racontent, et je vous écrivais d'après eux dans ma précédente lettre, que la grosse tour de Furstemberg, ronde au dehors, est hexagone au dedans. Or, du point élevé ou je m'étais placé, je plongeais assez profondément dans la tour, et je puis vous affirmer, si la chose vous intéresse, qu'elle est ronde à l'intérieur comme à l'extérieur. Ce qui est remarquable, c'est sa hauteur qui est prodigieuse et sa forme qui est singulière. Comme elle a d'énormes créneaux sans mâchicoulis et comme elle va s'élargissant du sommet à la base, sans baies, sans fenêtres, percée à peine de quelques longues meurtrières, elle ressemble de la plus étrange manière aux mystérieux et massifs donjons de Samarcande, de Calicut ou de Granganor; et l'on s'attend à voir plutôt apparaître au faîte de cette grosse tour presque hindoue le maharadja de Lahore ou le zamorin de Malabar que Louis de Bavière ou Gustave de Suède. Pourtant cette citadelle, plutôt orientale que gothique, a joué un grand rôle dans les luttes de l'Europe. Au moment où je songeais à toutes les échelles qui ont été successivement appliquées aux flancs de cette géante de pierre, et où je me rappelais le triple siége des Bavarois en 1321, des Suédois en 1632 et des Français en 1689, un grimpereau l'escaladait gaiement.

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