Mademoiselle La Quintinie. Жорж Санд
Читать онлайн книгу.est l'idéal de la simplicité.»
M. de Turdy, comme s'il eût voulu me tranquilliser, s'écria que l'abbé Gémyet était le meilleur et le plus inoffensif des hommes.
«Celui-là, dit-il, je le connais, je réponds de lui, et je ne t'en permettrai jamais d'autre. Puisqu'on voulait absolument un confesseur, continua-t-il en s'adressant à moi, j'ai voulu au moins choisir, et j'ai mis la main sur un bon prêtre, tolérant, point cagot…
– Et tout à fait nul, reprit Lucie avec le même sourire que j'avais déjà remarqué.
– Nul! je le veux bien, dit le grand-père en s'animant; nul! je les aime comme cela et pas autrement, les prêtres! je ne veux point de ces fanatiques comme mademoiselle ma sœur les préférerait peut-être.
– Eh! mon Dieu, cher papa, reprit Lucie, tu accuses ma tante! Tu sais bien qu'elle est plus mondaine que moi et qu'elle s'accommode fort bien pour son compte de la tolérance illimitée de M. Gémyet. Voyons, ne me chicane pas trop. J'ai fait ce que tu voulais, j'ai accepté mon confesseur de ta main: je le respecte, j'ai de l'estime et de l'amitié pour lui; mais je ne peux pas le prendre pour un aigle, lui-même n'a pas cette prétention-là, et, quand je me confesse à lui de beaucoup de tiédeur et de relâchement dans la pratique, je suis toute prête à lui dire que c'est sa faute, et c'est tout au plus s'il ne me dit pas que cela lui est parfaitement égal.
– Bien, bien, très-bien! s'écria le grand-père en riant et en me regardant encore; voilà ce que je veux, et c'est à ce prix-là que nous nous entendrons.
– Qu'est-ce que vous pensez de tout cela, vous? dit Lucie en se tournant vers moi avec son gracieux abandon. Doit-on faire les choses à demi? Je sais d'avance que vous pensez le contraire; car, si vous n'étiez pas un esprit absolu, vous ne seriez plus vous-même.
– Je pense, répondis-je sans hésiter, que la confession est mauvaise ou inutile. Vous avez accepté la chose inutile et pris le moins mauvais parti, ne pouvant vous résoudre à prendre le seul bon…
– Qui est de ne plus rien croire? Cela ne m'est pas possible!»
Elle me fit cette réponse fort sèchement. Je m'inclinai et ne parlai plus, bien qu'elle m'y provoquât avec toutes les grâces d'esprit et de cœur qui sont en elle. Au bout de quelques instants, comme je prenais congé:
«Vous me boudez, je le vois, dit-elle; vous croyez que je vous regarde comme un athée. Non, je suis à cent lieues de cela; mais rappelez-vous, j'ai une doctrine, et vous n'en avez pas!
– Eh bien, lui répondis-je, j'en aurai une. Je vous jure que j'en aurai une avant peu, car je vois qu'il le faut!»
Elle partit d'un grand éclat de rire et me tendit la main pour la première fois, corrigeant par ce témoignage d'affection et d'intimité ce que sa raillerie avait de blessant; mais on n'a pas deux cœurs pour aimer, et je ne peux pas mettre dans le même cette simultanéité de joie et de souffrance. Je commençais à ne plus comprendre Lucie. J'étais horriblement triste, c'est pourquoi je ne t'écrivis pas en rentrant. Henri se moquait un peu de moi.
«Tu t'embarques mal, disait-il. Te voilà déjà aux prises avec les préjugés de ta fiancée, car elle est ta fiancée, je t'en réponds. Le grand-père t'adore, et la jeune fille t'aime.
– Non, elle ne m'aimera probablement pas.
– C'est peut-être toi qui n'aimes pas, reprit-il avec un peu de vivacité. Tu me fais l'effet d'un pédant ou d'un despote. Eh! mon cher, que t'importe que ta femme croie au culte et suive les pratiques d'une Église quelconque?
– Tu permettras le confesseur à la tienne, toi?
– Je lui en permettrai dix, à la condition que ces messieurs-là ne l'empêcheront pas d'être à moi corps et âme.
– Non, tu ne te soucies pas de son âme! Tu lui laisseras l'absolue liberté de conscience, tu l'as dit!
– Conscience religieuse, entendons-nous! Qu'elle croie à Junon Lucine ou à l'immaculée conception, ce ne sont pas là mes affaires. Pourvu qu'elle me donne des enfants qui soient de moi, qu'elle préfère mon entretien au confessionnal, je ne lui demanderai jamais compte de ses épanchements spiritualistes avec les docteurs en droit canonique.
– Eh bien, moi, je suis tout autre. Je ne sépare point l'âme du corps, et je ne supporterai pas l'amant platonique, de quelque nom qu'il s'appelle!
– Alors ne te marie pas, mon cher, ou cherche une protestante. Mademoiselle La Quintinie n'est pas ton fait. Tu as raison, il ne faut pas écrire à ton père. Oublie-la et retourne à Paris.
– Est-elle donc si obstinée que je ne puisse l'amener à mes idées?
– Je n'en sais rien. Elle paraît fort douce de caractère; elle a l'air de t'aimer. Élise est convaincue qu'elle t'adore. Tu peux essayer, mais tu t'engages là dans une mauvaise voie et tu rêves l'impossible; car on ne change pas ce que la nature a fait sans le gâter, je t'en avertis. Lucie a une tendance au mysticisme; tu pourras bien déplacer le fétiche, mais gare à l'avenir! L'amant pourra bien remplacer le prêtre.»
Henri me parla encore longtemps sur ce ton, et il m'ébranla. Ah! que j'aurais voulu t'avoir près de moi pour résoudre tous mes doutes! J'étais partagé entre mille aperçus contraires. Tantôt Henri me démontrait que je voulais asservir la compagne de ma vie, l'effacer, lui ôter toute personnalité, et la noyer dans le rayonnement de mon orgueil; tantôt il me semblait rompre absolument la beauté du lien conjugal en admettant qu'on pût vivre intellectuellement à part l'un de l'autre, et en s'efforçant même de me prouver que c'était mieux ainsi. Il concluait à l'infériorité de nature chez la femme, et il répétait ce lieu commun révoltant, qu'il lui faut un frein autre que l'amour et le respect de son mari, parce qu'elle n'a pas assez de force morale pour s'en contenter.
Je retournai à Turdy peu de jours après. J'étais résigné; j'acceptais tout! Non convaincu, mais soumis, j'admettais que Lucie, en me faisant de légères concessions, pouvait en exiger autant de moi. Je la trouvai seule au jardin.
«Eh bien, me dit-elle, cette fameuse doctrine, l'apportez-vous toute chaude et cuite à point?»
Elle raillait, je me sentis fort irrité; elle me sourit, et, comme le ciel est dans son sourire, je vis qu'elle raillait sans amertume et sans dédain. Je me calmai.
«Non, lui dis-je, je n'apporte pas de doctrine. Il me semblait très-facile d'en reconstruire une de tous points avec les saines notions qui m'ont été données dès mon enfance, et qui ne demandent plus qu'un lien pour composer un ensemble; mais ce lien, c'est l'amour, l'amour que je ne connais que par un instinct violent, une révélation subite enveloppée de nuages. Je sens pourtant bien que l'amour est tout, et que sans lui toute doctrine reste vide. Les catholiques n'ont pu s'en tire qu'en le supprimant; vous voyez bien que nous ne sommes pas plus avancés l'un que l'autre!
– Les catholiques ont supprimé l'amour! Vous croyez cela? s'écria Lucie, sincèrement interdite et comme cherchant un argument à m'opposer.
– Trouvez-moi un précepte catholique autre que celui de l'obéissance passive de la femme envers le mari!
– Mais la religion est tout amour pourtant!
– Oui, l'amour envers Dieu et la charité envers le prochain. Cherchez dans vos souvenirs si quelqu'un vous a jamais dit: «Le cœur de la femme est destiné à renfermer une affection sans bornes pour l'homme de son choix, pour le compagnon de sa vie?»
– Non, mais il est écrit: «La femme quittera son père et sa mère…»
– C'est une loi civile, ce n'est pas même l'amour sous-entendu, c'est le domicile conjugal. Le Code l'explique tout au long.
– Enfin, qu'est-ce que vous entendez par l'amour? La préférence qu'on donne à un homme sur la Divinité même?
– Préférence, lui répondis-je impétueusement, est un mot qui ne me présente ici aucun sens. C'est un mot inventé par ceux qui ont rapetissé l'idée de Dieu au point d'en faire un homme dont un autre homme peut devenir le rival, et ceci, permettez-moi