Georges. Dumas Alexandre

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Georges - Dumas Alexandre


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sanglante qui se prépare.

      À deux heures de l'après-midi, les frégates La Magicienne et l'Iphigénie parurent à leur tour à l'entrée de la passe; elles rallièrent le Syrius et la Néréide, et toutes quatre s'avancèrent contre nous. Deux se firent échouer, les deux autres s'amarrèrent sur leurs ancres, présentant un total de dix-sept cents hommes et de deux cents canons.

      Ce fut un moment solennel et terrible que celui pendant lequel les dix mille spectateurs qui garnissaient les montagnes virent les quatre frégates ennemies s'avancer sans voiles et par la seule et lente impulsion du vent dans leurs agrès, et venir, avec la confiance que leur donnait la supériorité du nombre, se ranger à demi-portée du canon de la division française, présentant à leur tour leur travers, s'échouant comme nous nous étions fait échouer, et renonçant d'avance à la fuite, comme d'avance nous y avions renoncé.

      C'était donc un combat tout d'extermination qui allait commencer; lions et léopards étaient en présence, et ils allaient se déchirer avec des dents de bronze et des rugissements de feu.

      Ce furent nos marins qui, moins patients que ne l'avaient été les gardes-françaises à Fontenoy, donnèrent le signal du carnage. Une longue traînée de fumée courut aux flancs des quatre vaisseaux, à la corne desquels flottait un pavillon tricolore; puis en même temps le rugissement de soixante-dix bouches à feu retentit, et l'ouragan de fer s'abattit sur la flotte anglaise.

      Celle-ci répondit presque aussitôt, et alors commença, sans autre manœuvre que celle de déblayer les ponts des éclats de bois et des corps expirants, sans autre intervalle que celui de charger les canons, une de ces luttes d'extermination comme, depuis Aboukir et Trafalgar, les fastes de la marine n'en avaient pas encore vu. D'abord, on put croire que l'avantage était aux ennemis; car les premières volées anglaises avaient coupé les embossures de la Minerve et du Ceylan; de sorte que, par cet accident, le feu de ces deux navires se trouva masqué en grande partie. Mais, sous les ordres de son capitaine, la Bellone fit face à tout, répondant aux quatre bâtiments à la fois, ayant des bras, de la poudre et des boulets pour tous; vomissant incessamment le feu, comme un volcan en éruption, et cela pendant deux heures c'est-à-dire pendant le temps que le Ceylan et la Minerve mirent à réparer leurs avaries: après quoi, comme impatients de leur inaction, ils se reprirent à rugir et à mordre à leur tour, forçant l'ennemi, qui s'était détourné un instant d'eux pour écraser la Bellone, de revenir à eux, et rétablissant l'unité du combat sur toute la ligne.

      Alors il sembla au capitaine Duperré que la Néréide, déjà meurtrie par trois bordées que la division lui avait lâchées en forçant la passe, ralentissait son feu. L'ordre fut donné aussitôt de diriger toutes les volées sur elle et de ne lui donner aucun relâche. Pendant une heure, on l'écrasa de boulets et de mitraille, croyant à chaque instant qu'elle allait amener son pavillon; puis comme elle ne l'amenait pas, la grêle de bronze continua, fauchant ses mâts, balayant son pont, trouant sa carène, jusqu'à ce que son dernier canon s'éteignît, pareil à un dernier soupir, et qu'elle demeurât rasée comme un ponton dans l'immobilité et dans le silence de la mort.

      En ce moment, et comme le capitaine Duperré donnait un ordre à son lieutenant Roussin, un éclat de mitraille l'atteint à la tête et le renverse dans la batterie; comprenant qu'il est blessé dangereusement, à mort peut-être, il fait appeler le capitaine Bouvet lui remet le commandement de la Bellone, lui ordonne de faire sauter les quatre bâtiments plutôt que de les rendre, et, cette dernière recommandation faite, lui tend la main et s'évanouit. Personne ne s'aperçoit de cet événement; Duperré n'a pas quitté la Bellone, puisque Bouvet le remplace.

      À dix heures, l'obscurité est si grande, qu'on ne peut plus pointer, et qu'il faut tirer au hasard. À onze heures, le feu cesse; mais comme les spectateurs comprennent que ce n'est qu'une trêve ils restent à leur poste. En effet, à une heure, la lune paraît, et, avec elle et à sa pâle lumière, le combat recommence.

      Pendant ce moment de relâche, la Néréide a reçu quelques renforts; cinq ou six de ses pièces ont été remises en batterie; la frégate qu'on a crue morte n'était qu'à l'agonie, elle reprend ses sens, et elle donne signe de vie en nous attaquant de nouveau.

      Alors Bouvet fait passer le lieutenant Roussin à bord du Victor, dont le capitaine est blessé; Roussin a l'ordre de remettre le bâtiment à flot et de s'en aller, à bout portant, écraser la Néréide de toute son artillerie; son feu ne cessera cette fois que lorsque la frégate sera bien morte.

      Roussin suit à la lettre l'ordre donné: le Victor déploie son foc et ses grands huniers, s'ébranle et vient, sans tirer un seul coup de canon, jeter l'ancre à vingt pas de la poupe de la Néréide; puis, de là, il commence son feu, auquel elle ne peut répondre que par ses pièces de chasse, l'enfilant de bout en bout à chaque bordée. Au point du jour, la frégate se tait de nouveau. Cette fois elle est bien morte et cependant le pavillon anglais flotte toujours à sa corne. Elle est morte, mais elle n'a pas amené.

      En ce moment, les cris de «Vive l'empereur!» retentissent sur la Néréide; – les dix-sept prisonniers français qu'elle a faits dans l'île de la Passe, et qu'elle a enfermés à fond de cale, brisent la porte de leur prison et s'élancent par les écoutilles, un drapeau tricolore à la main. L'étendard de la Grande-Bretagne est battu, la bannière tricolore flotte à sa place. Le lieutenant Roussin donne l'ordre d'aborder; mais, au moment où il va engager les grappins, l'ennemi dirige son feu sur la Néréide, qui lui échappe. C'est une lutte inutile à soutenir; la Néréide n'est plus qu'un ponton, sur lequel on mettra la main aussitôt que les autres bâtiments seront réduits; le Victor laisse flotter la frégate comme le cadavre d'une baleine morte; il embarque les dix-sept prisonniers, va reprendre son rang de bataille, et annonce aux Anglais, en faisant feu de toute sa batterie, qu'il est revenu à son poste.

      L'ordre avait été donné à tous les bâtiments français de diriger leur feu sur La Magicienne, le capitaine Bouvet voulait écraser les frégates ennemies l'une après l'autre; vers trois heures de l'après-midi, La Magicienne était devenue le but de tous les coups; à cinq heures, elle ne répondait plus à notre feu que par secousses et ne respirait que comme respire un ennemi blessé à mort; à six heures on s'aperçoit de terre que son équipage fait tous ses préparatifs pour l'évacuer: des cris d'abord, et des signaux ensuite, en avertissent la division française; le feu redouble; les deux autres frégates ennemies lui envoient leurs chaloupes, elle-même met ses canots à la mer; ce qui reste d'hommes sans blessure ou blessés légèrement y descend; mais, dans l'intervalle qu'elles ont à franchir pour gagner le Syrius, deux chaloupes sont coulées bas par les boulets, et la mer se couvre d'hommes qui gagnent en nageant les deux frégates voisines.

      Un instant après, une légère fumée sort par les sabords de La Magicienne; puis, de moment en moment, elle devient plus épaisse; alors, par les écoutilles, on voit poindre des hommes blessés qui se traînent, qui lèvent leurs bras mutilés, qui appellent au secours, car déjà la flamme succède à la fumée, et darde par toutes les ouvertures du bâtiment ses langues ardentes, puis elle s'élance au dehors, rampe le long des bastingages, monte aux mâts, enveloppe les vergues, et, au milieu de cette flamme, on entend des cris de rage et d'agonie; puis enfin tout à coup le vaisseau s'ouvre comme le cratère d'un volcan qui se déchire. Une détonation effroyable se fait entendre: La Magicienne vole en morceaux. On suit quelque temps ses débris enflammés, qui montent dans les airs, redescendent et viennent s'éteindre en frissonnant dans les flots. De cette belle frégate qui, la veille encore, se croyait la reine de l'Océan, il ne reste plus rien, pas même des débris, pas même des blessés, pas même des morts. Un grand intervalle, demeuré vide entre la Néréide et l'Iphigénie, indique seul la place où elle était.

      Puis, comme fatigués de la lutte, comme épouvantés du spectacle, Anglais et Français firent silence, et le reste de la nuit fut consacré au repos.

      Mais, au point du jour, le combat recommence. C'est le Syrius, à son tour, que la division française a choisi pour victime. C'est le Syrius que le quadruple feu du Victor,


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