Le corricolo. Dumas Alexandre

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Le corricolo - Dumas Alexandre


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qui est plus pour lui que l'improvisateur, plus que la revue, plus que les cloches, plus que les Puppi; l'Anglais, qui lui procure non seulement du plaisir, mais de l'argent; l'Anglais, sa chose, son bien, sa propriété; l'Anglais, qu'il précède pour lui montrer son chemin, ou qu'il suit pour lui voler son mouchoir; l'Anglais, auquel il rend des curiosités; l'Anglais, auquel il procure des médailles antiques; l'Anglais, auquel il apprend son idiome; l'Anglais, qui lui jette dans la mer des sous qu'il rattrape en plongeant; l'Anglais enfin, qu'il accompagne dans ses excursions à Pouzzoles, à Castellamare, à Capri ou à Pompéia. Car l'Anglais est original par système: l'Anglais refuse parfois le guide patenté et le cicérone à numéro; l'Anglais prend le premier lazzarone venu, sans doute parce que l'Anglais a une attraction instinctive pour le lazzarone, comme le lazzarone a une sympathie calculée pour l'Anglais.

      Et, il faut le dire, le lazzarone est non seulement bon guide, mais encore bon conseiller. Pendant mon séjour à Naples, un lazzarone avait donné à un Anglais trois conseils dont il s'était trouvé fort bien. Aussi, les trois conseils avaient rapporté cinq piastres au lazzarone, ce qui lui avait fait une existence assurée et tranquille pour six mois.

      Voici le fait.

       X

      Le Lazzarone et l'Anglais

      Il y avait à Naples en même temps que moi et dans le même hôtel que moi un de ces Anglais quinteux, flegmatiques, absolus, qui croient l'argent le mobile de tout, qui se figurent qu'avec de l'argent on doit venir à bout de tout, enfin pour qui l'argent est l'argument qui répond à tout.

      L'Anglais s'était fait ce raisonnement: Avec mon argent, je dirai ce que je pense; avec mon argent, je me procurerai ce que je veux; avec mon argent, j'achèterai ce que je désire. Si j'ai assez d'argent pour donner un bon prix de la terre, je verrai après cela à marchander le ciel.

      Et il était parti de Londres dans cette douce illusion. Il était venu droit à Naples par le bateau à vapeur the Sphinx. Une fois à Naples, il avait voulu voir Pompéia; il avait fait demander un guide; et comme le guide ne se trouvait pas là sous sa main à l'instant même où il le demandait, il avait pris un lazzarone pour remplacer le guide.

      En arrivant la veille dans le port, l'Anglais avait éprouvé un premier désappointement: le bâtiment avait jeté l'ancre une demi-heure trop tard pour que les passagers pussent descendre à terre le même soir. Or, comme l'Anglais avait eu constamment le mal de mer pendant les six jours que le bâtiment avait mis pour venir de Porsmouth à Naples, ce digne insulaire avait supporté fort impatiemment cette contrariété. En conséquence, il avait fait offrir à l'instant même cent guinées au capitaine du port; mais comme les ordres sanitaires sont du dernier positif, le capitaine du port lui avait ri au nez; l'Anglais alors s'était couché de fort mauvaise humeur, envoyant à tous les diables le roi qui donnait de pareils ordres et le gouvernement qui avait la bassesse de les exécuter.

      Grâce à leur tempérament lymphatique, les Anglais sont tout particulièrement rancuniers; notre Anglais conservait donc une dent contre le roi Ferdinand; et, comme les Anglais n'ont pas l'habitude de dissimuler ce qu'ils pensent, il déblatérait tout en suivant la route de Pompéia, et dans le plus pur italien que pouvait lui fournir sa grammaire de Vergani, contre la tyrannie du roi Ferdinand.

      Le lazzarone ne parle pas italien, mais le lazzarone comprend toutes les langues. Le lazzarone comprenait donc parfaitement ce que disait l'Anglais, qui, par suite de ses principes d'égalité sans doute, l'avait fait s'asseoir dans sa voiture. La seule distance sociale qui existât entre l'Anglais et le lazzarone, c'est que l'Anglais allait en avant, et le lazzarone allait en arrière.

      Tant qu'on fut sur le grand chemin, le lazzarone écouta impassiblement toutes les injures qu'il plut à l'Anglais de débiter contre son souverain. Le lazzarone n'a pas d'opinion politique arrêtée. On peut dire devant lui tout ce qu'on veut du roi, de la reine ou du prince royal; pourvu qu'on ne dise rien de la Madone, de saint Janvier ou du Vésuve, le lazzarone laissera tout dire.

      Cependant, en arrivant à la rue des Tombeaux, le lazzarone, voyant que l'Anglais continuait son monologue, mit l'index sur sa bouche en signe de silence; mais, soit que l'Anglais n'eût pas compris l'importance du signe, soit qu'il regardât comme au dessous de sa dignité de se rendre à l'invitation qui lui était faite, il continua ses invectives contre Ferdinand le Bien-Aimé. Je crois que c'est ainsi qu'on l'appelle.

      – Pardon, excellence, dit le lazzarone en appuyant une de ses mains sur le rebord de la calèche et en sautant à terre aussi légèrement qu'aurait pu le faire Auriol, Lawrence ou Redisha; pardon, excellence, mais avec votre permission je retourne à Naples.

      – Pourquoi toi retourner à Naples? demanda l'Anglais.

      – Parce que moi pas avoir envie d'être pendu, dit le lazzarone, empruntant pour répondre à l'Anglais la tournure de phrase qu'il paraissait affectionner.

      – Et qui oserait pendre toi? reprit l'Anglais.

      – Roi à moi, répondit le lazzarone.

      – Et pourquoi pendrait-il toi?

      – Parce que vous avoir dit des injures de lui.

      – L'Anglais être libre de dire tout ce qu'il veut.

      – Le lazzarone ne l'être pas.

      – Mais toi n'avoir rien dit.

      – Mais moi avoir entendu tout.

      – Qui dira toi avoir entendu tout?

      – L'invalide.

      – Quel invalide?

      – L'invalide qui va nous accompagner pour visiter Pompéia.

      – Moi pas vouloir d'invalide.

      – Alors vous pas visiter Pompéia.

      – Moi pas pouvoir visiter Pompéia sans invalide?

      – Non.

      – Moi en payant?

      – Non.

      – Moi, en donnant le double, le triple, le quadruple?

      – Non, non, non!

      – Oh! oh! fit l'Anglais; et il tomba dans une réflexion profonde.

      Quant au lazzarone, il se mit à essayer de sauter par-dessus son ombre.

      – Je veux bien prendre l'invalide, moi, dit l'Anglais au bout d'un instant.

      – Prenons l'invalide alors, répondit le lazzarone.

      – Mais je ne veux pas taire la langue à moi.

      – En ce cas, je souhaite le bonjour à vous.

      – Moi vouloir que tu restes.

      – En ce cas, laissez-moi donner un conseil à vous.

      – Donne le conseil à moi.

      – Puisque vous ne vouloir pas taire la langue à vous, prenez un invalide sourd au moins.

      – Oh! dit l'Anglais émerveillé du conseil, moi bien vouloir le invalide sourd. Voilà une piastre pour toi avoir trouvé le invalide sourd.

      Le lazzarone courut au corps-de-garde et choisit un invalide sourd comme une pioche.

      On commença l'investigation habituelle, pendant laquelle l'Anglais continua de soulager son coeur à l'endroit de Sa Majesté Ferdinand 1er, sans que l'invalide l'entendît et sans que le lazzarone fît semblant de l'entendre: on visita ainsi la maison de Diomède, la rue des Tombeaux, la villa de Cicéron, la maison du Poète. Dans une des chambres à coucher de cette dernière était une fresque fort anacréontique qui attira l'attention de l'Anglais, qui, sans demander la permission à personne, s'assit sur un siége de bronze, tira son album et commença à dessiner.

      A la première ligne qu'il traça, l'invalide et le lazzarone s'approchèrent de lui; l'invalide voulut parler, mais le lazzarone lui fit signe qu'il allait porter la parole.

      – Excellence, dit le lazzarone, il est défendu


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