Le Rhin, Tome IV. Victor Hugo

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Le Rhin, Tome IV - Victor Hugo


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d'une architrave. Cela fait deux espèces de pilastres, au sommet desquels un ange glorificateur embouche la trompette. Le poëme se termine par une ode.

      Une rosace byzantine complète ce portail; et, par un beau soleil, c'est un tableau charmant dans une bordure superbe.

      Le portail de droite est moins curieux, mais il communique avec un noble cloître du quinzième siècle, pavé, lambrissé et plafonné de pierres sépulcrales, qui a quelque analogie avec l'admirable cloître de Saint-Wandrille, si stupidement détruit par je ne sais quel manufacturier inepte. Les tombeaux pendent et se dressent de toutes parts sous les ogives à meneaux flamboyants; ce sont des lames ouvragées, celles-ci en pierres, d'autres en marbre, quelques-unes en cuivre; elles tombent en ruine; la mousse mange le granit, l'oxyde mange le bronze. C'est, du reste, une confusion de tous les styles depuis cinq cents ans, qui fait voir l'écroulement de l'architecture. Toutes les formes mortes de ce grand art sont là, pêle-mêle, se heurtant par les angles, démolies l'une par l'autre, comme ensevelies dans ces tombes: l'ogive et le plein cintre, l'arc surbaissé de Charles-Quint, le fronton échancré de Henri III, la colonne torse de Louis XIII, la chicorée de Louis XV. Toutes ces fantaisies successives de la pensée humaine, accrochées au mur comme des tableaux dans un salon, encadrent des épitaphes. Une idée unique est au centre de ces créations éblouissantes de l'art, – la mort. La végétation variée et vivante de l'architecture fleurit autour de cette idée.

      Au centre du cloître, il y a une petite cour carrée pleine de cette belle herbe épaisse qui pousse sur les morts.

      Dans l'intérieur de l'église, outre les tombes dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, j'ai trouvé des stalles en menuiserie du quinzième et du seizième siècle. Ces petits édifices en bois ciselé sont pour moi des livres très-amusants à lire; chaque stalle est un chapitre. La grande boiserie d'Amiens est l'iliade de ces épopées.

      La chaire, qui est du quinzième siècle, sort du pavé comme une grosse tulipe de pierre, enchevêtrée sous un réseau d'inextricables nervures. Ils ont mis à cette belle fleur une coiffe absurde, comme à Freiburg. – En général, le calvinisme, sans mauvaise intention d'ailleurs, a malmené cette pauvre église; il l'a badigeonnée, il a blanchi les fenêtres, il a masqué d'une balustrade à mollets le bel ordre roman des hautes travées de la nef, et puis il a répandu sous cette belle voûte catholique je ne sais quelle atmosphère puritaine qui ennuie. La vieille cathédrale du prince-évêque de Bâle, lequel portait d'argent à la crosse de sable, n'est plus qu'une chambre protestante.

      Pourtant le méthodisme a respecté les chapiteaux romans du chœur, qui sont des plus mystérieux et des plus remarquables; il a respecté la crypte placée sous l'autel, où il y a des piliers du douzième siècle et des peintures du treizième. Quelques monstres romans, d'une difformité chimérique, arrachés de je ne sais quelle église ancienne disparue, gisent là, sur le sombre pavé de cette crypte, comme des dogues endormis. Ils sont si effrayants qu'on marche auprès d'eux dans l'ombre avec quelque peur de les réveiller.

      La vieille femme qui me conduisait m'a offert de me montrer les archives de la cathédrale, j'ai accepté. Voici ce que c'est que ces archives: un immense coffre en bois sculpté du quinzième siècle, magnifique, mais vide. – Quand on entre dans la chambre des archives, on entend un bâillement effroyable; c'est le grand coffre qui s'ouvre. – Je reprends. Une vaste armoire du même temps, à mille tiroirs. J'ai ouvert quelques-uns de ces tiroirs; ils sont vides. Dans un ou deux j'ai trouvé de petites gravures représentant Zurich, Berne ou le mont Rigi; dans le plus grand il y a une image de quelques hommes accroupis autour d'un feu; en bas de cette image, qui est du goût le plus suisse, j'ai lu cette inscription: Bivoic des Bohémiens. Ajoutez à cela quelques vieilles bombes en fer posées sur l'appui d'une fenêtre, une masse d'armes, deux épieux de paysan suisse qui ont peut-être martelé Charles le Téméraire sous leurs quatre rangées de clous disposées en mâchoires de requin, de médiocres reproductions en cire de la Danse macabre de Jean Klauber, détruite en 1805 avec le cimetière des Dominicains; une table chargée de fossiles de la forêt Noire; deux briques-faïences assez curieuses du seizième siècle; un almanach de Liége pour 1837, et vous aurez les archives de la cathédrale de Bâle. On arrive à ces archives par une belle grille noire, touffue, tordue, et savamment brouillée, qui a quatre cents ans. Des oiseaux et des chimères sont perchés çà et là dans ce sombre feuillage de fer.

      Du haut des clochers la vue est admirable. J'avais sous mes pieds, à une profondeur de trois cent cinquante pieds, le Rhin large et vert; autour de moi le grand Bâle, devant moi le petit Bâle: car le Rhin a fait de la ville deux morceaux; et, comme dans toutes les villes que coupe une rivière, un côté s'est développé aux dépens de l'autre. A Paris c'est la rive droite, à Bâle c'est la rive gauche. Les deux Bâle communiquent par un long pont de bois, souvent rudoyé par le Rhin, qui n'a plus de piles de pierre que d'un seul côté, et au centre duquel se découpe une jolie tourelle-guérite du quinzième siècle. Les deux villes font au Rhin des deux côtés une broderie ravissante de pignons taillés, de façades gothiques, de toits à girouettes, de tourelles et de tours. Cet ourlet d'anciennes maisons se répète sur le Rhin et s'y renverse. Le pont reflété prend l'aspect étrange d'une grande échelle couchée d'une rive à l'autre. Des bouquets d'arbres et une foule de jardins suspendus aux devantures des maisons se mêlent aux zigzags de toutes ces vieilles architectures. Les croupes des églises, les tours des enceintes fortifiées, font de gros nœuds sombres auxquels se rattachent de temps en temps les lignes capricieuses qui courent en tumulte des clochers aux pignons, des pignons aux lucarnes. Tout cela rit, chante, parle, jase, jaillit, rampe, coule, marche, danse, brille au milieu d'une haute clôture de montagnes qui ne s'ouvre à l'horizon que pour laisser passer le Rhin.

      Je suis redescendu dans la ville, qui abonde en fantaisies exquises, en portes bien imaginées, en ferrures extravagantes, en constructions curieuses de toutes les époques. Il y a, entre autres, un grand logis qui sert aujourd'hui de hangar à un roulage, et qui a à toutes les baies, guichets, portes, fenêtres, des nœuds gordiens de nervures, souvent tranchés par l'architecte et les plus bizarres du monde. Je n'ai rien rencontré de pareil nulle part. La pierre est là tordue et tricotée comme de l'osier. Vous pouvez voir des anses de panier en Normandie; mais, pour voir le panier tout entier, il faut venir à Bâle. Près de ce roulage, j'ai visité l'ancienne maison des armuriers, bel édifice du seizième siècle, avec des peintures en plein air sur la devanture, dans lesquelles Vénus et la Vierge sont fort accortement mêlées.

      L'hôtel de ville est du même temps. La façade, surmontée d'un homme d'armes empanaché, qui porte l'écu de la ville, serait belle si elle n'était badigeonnée (en rouge toujours!) et, qui plus est, ornée d'affreux personnages peints accoudés à un balcon figuré qui est dans le style gothique de 1810. La cour intérieure a subi le même tatouage. Le grand escalier aboutit à deux statues: l'une, qui est en bas, est un fort beau guerrier de la renaissance qui a la prétention de représenter le consul romain Munatius Plancus; l'autre, qui est en haut, au coin de l'imposte d'une porte surbaissée, est un valet de ville qui tient une lettre à la main; il est peint, vêtu mi-partie de noir et de blanc, qui est le blason de la ville, et la lettre, bien pliée, a un cachet rouge. Ce valet de ville gothique a surnagé sur toutes les révolutions de l'Europe. Je l'avais rencontré le matin même près de l'hôtel des Trois-Rois, allant par la ville, bien portant et bien vivant, précédé de son homme d'armes portant une épée; ce qui faisait beaucoup rire quelques commis-marchands, lesquels lisaient le Constitutionnel à la porte d'un estaminet.

      Une fraîche servante est sortie tout à coup de la porte surbaissée; elle m'a adressé quelques paroles en allemand, et, comme je ne la comprenais pas, je l'ai suivie. Bien m'en a pris. La bonne fille m'a introduit dans une chambre où il y a un escalier à vis des plus exquis, puis dans une salle toute en chêne poli, avec de beaux vitraux aux croisées et une superbe porte de la renaissance à la place où nous mettons d'ordinaire la cheminée: ici, comme en Alsace, comme en Allemagne, il n'y a pas de cheminées, il y a des poêles. Voyant toutes ces merveilles, j'ai donné à la gracieuse fille une belle pièce d'argent de France qui l'a fait sourire.

      Sur l'escalier de cet hôtel de ville il y a une curieuse fresque du Jugement dernier, qui est du seizième siècle.

      Je


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