Le poëme de Myrza - Hamlet. Жорж Санд
Читать онлайн книгу.de leurs rameaux splendides, et des roses plus belles et plus grandes que les filles des hommes ne le furent jamais, exhalaient des parfums dont s'enivraient les esprits de la terre, couverts de robes diaprées, aujourd'hui réduits à la taille du papillon, et aux trois grains d'or de l'étamine de nos fleurs.
Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage informe du temps et de la matière, les saintes Écritures l'appellent l'âge du chaos. Or, tandis que les quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu'ils passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, ils s'arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit: Qu'avez-vous fait? Pourquoi ce monde que je vous ai confié marche-t-il comme s'il était ivre? Avez-vous bu la coupe de l'orgueil? Prétendez-vous faire les oeuvres de l'Éternel? Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix; il vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.
L'Éternel passa; et quand les quatre Esprits virent s'effacer dans l'espace le cercle de feu que traçaient les roues de son char, ils reprirent courage, et, se regardant, ils se dirent: Pourquoi ne résisterions-nous pas à l'Éternel? Ne sommes-nous pas éternels, nous aussi? Il nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a dit: Vous n'aurez pas de fin. L'Éternel ne peut reprendre sa parole. Il nous a donné ce monde. Mais c'est nous qui l'avons couvert de plantes et d'animaux. Nous aussi, nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos volcans en guerre. Que l'océan gronde, que la lave bouillonne, que la foudre sillonne les airs, et vienne l'Éternel pour nous donner des lois!
En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr; et, abaissant leur vol sur les montagnes les plus élevées de la terre: Nous allons, dirent-ils, entasser ces monts les uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à la demeure de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur tous les mondes.
Mais comme ils commençaient leur travail insensé, un ange envoyé par le Seigneur versa sur eux la coupe du mépris, et, saisis de torpeur, ils s'endormirent comme des hommes pris de vin.
Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse un être inconnu, plus beau qu'eux, quoique délicat et frêle. Sa tête n'était pas flamboyante, et son corps n'était pas couvert d'une armure d'écailles de serpent; le ver à soie semblait avoir filé l'or de sa chevelure, et sa peau était lisse et blanche comme le tissu des lis.
Les Esprits étonnés l'entourèrent pour le contempler, s'émerveillant de sa beauté, et se demandant l'un à l'autre si c'était là un esprit ou un corps. Cependant cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et les fleurs se penchaient sur elle comme pour l'admirer; les oiseaux et les insectes voltigeaient autour d'elle, n'osant becqueter ses lèvres de pourpre, et formant un rideau d'ailes doucement agitées entre son visage et le soleil du matin, qui semblait jaloux aussi de le regarder. Alors l'Esprit des eaux: — Quel est celui-ci? et qui de nous l'a produit à l'insu des autres? Si c'est de la terre qu'il est sorti, d'où vient que les vapeurs de mes rives n'en savent rien? et où est le feu qui l'a fécondé? Est-ce une plante, pour qu'il soit sans plumes, et sans fourrure, et sans écaille? Et si c'est une plante, d'où vient que je n'ai point arrosé son germe, d'où vient que l'air n'a pas aidé sa tige à s'élever et son calice à se colorer? Si c'est une créature, où est son créateur? Si c'est un esprit, de quel droit vient-il s'établir dans notre empire, et comment souffrons-nous qu'il s'y repose? Enchaînons le, et que la bouche des volcans se referme derrière lui, car il faut qu'il aille au fond de la terre et qu'il n'en sorte plus.
L'Esprit de la terre répondit: Ceci est un corps, car le sommeil l'engourdit et le gouverne comme les animaux; ce n'est pas une plante, car il respire et semble destiné au mouvement comme l'oiseau ou le quadrupède: cependant il n'a point d'ailes, et ne saurait voler; il n'a pas les défenses du sanglier, ni les ongles du tigre pour combattre, ni même l'écaille de la tortue pour s'abriter. C'est un animal faible, que le moindre de nos animaux pourrait empêcher de se reproduire et d'exister. Et puisque aucun de nous ne l'a créé, il faut que ce soit l'Éternel qui, par dérision, l'ait fait éclore, afin de nous surprendre et de nous effrayer; mais il suffira du froid pour lui donner la mort.
-Ne nous en inquiétons point, dirent les autres, il est en notre pouvoir, éveillons-le, et voyons comme il marche et comme il se nourrit. Puisqu'il n'a ni ailes, ni nageoires, ni arme d'aucune espèce, pour s'ouvrir un chemin et se construire une demeure, il ne saurait vivre dans aucun élément.
Et les quatre Esprits de révolte se mirent à railler et à mépriser l'oeuvre du Dieu tout-puissant.
Alors cet être nouveau s'éveilla, et, à leur grande surprise, il ne se mit ni à fuir, ni à ramper comme les serpents, ni à marcher comme les quadrupèdes; il se dressa sur ses pieds, et sa tête se trouvant tournée vers le ciel, il éleva son regard, et les Esprits de révolte virent, dans sa prunelle, étinceler un feu divin. Quel est, dirent-ils, celui-ci, qui ne rampe, ni ne vole, et qui a un rayon du soleil dans les yeux? Va-t-il monter vers le ciel comme une fumée? et d'où vient qu'avec un corps si chétif il est plus beau que le plus beau des anges du ciel? — Alors ils furent saisis de crainte, et l'interrogèrent en tremblant.
Mais celle créature ne les entendit pas; on eût dit que ses yeux ne pouvaient distinguer leur forme, car elle ne leur donna aucun signe d'attention, et ne répondit rien à leurs questions.
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