Bric-à-brac. Dumas Alexandre

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Bric-à-brac - Dumas Alexandre


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la conduira dans le château de Procuste; elle la couchera sur son lit, c'est-à-dire sur un véritable échafaud.

      Les vers qui seront trop courts, elle les tirera, au risque de les disloquer, jusqu'à ce qu'ils aient la longueur voulue.

      Les vers qui seront trop longs, elle les rognera, au risque de les estropier, jusqu'à ce qu'ils soient raccourcis à sa convenance. Elle aura besoin d'une syllabe en plus, elle l'ajoutera.

      Le poète a écrit:

      L'or est une chimère,

      Sachons nous en servir.

      Le musicien mettra:

      Oh! l'or est une chimère.

      Eh! sachons nous en servir.

      Elle aura besoin d'une, de deux, de trois, de quatre syllabes en moins, le musicien les retranchera. Et il aura raison.

      Quand les poètes voudront être lus comme poètes, ils feront les Odes et Ballades, les Méditations poétiques, les Contes d'Espagne et d'Italie. Quand ils voudront être écoutés comme librettistes, ou plutôt ne pas être écoutés, ils feront Guillaume Tell, le Prophète, la Marchande d'oranges.

      On a dit qu'on ne pouvait faire de bonne musique que sur de mauvais vers.

      C'est exagéré peut-être. Certains musiciens font d'excellente musique sur de beaux vers. Preuves: le Lac, de Lamartine, musique de Niedermayer; le Navire, de Soulié, musique de Monpou.

      Mais, en général, la puissance humaine ne va pas jusqu'à écouter et comprendre à la fois de belle musique et de beaux vers.

      Il faut absolument abandonner l'un pour l'autre.

      Les mélomanes suivront les notes, les poètes suivront les paroles; mais les paroles dévoreront les notes ou les notes mangeront les paroles.

      Supposez que l'on sorte d'un opéra de Scribe, on fredonnera la musique. Supposez que l'on sorte d'un opéra de Lamartine, on redira les vers.

      Ce qui signifie que, sans être un grand poète, et justement parce qu'il n'est pas un grand poète, Scribe sera, pour Meyerbeer, Auber et Halévy, un librettiste préférable à Hugo ou à Lamartine.

      Et la preuve, c'est qu'ils n'ont pas fait un seul opéra avec Hugo ou

      Lamartine, et qu'ils ont fait à peu près tous leurs opéras avec

      Scribe.

      DÉSIR ET POSSESSION

      La mode des charades est passée. Oh! le beau temps pour les poètes sphinx que celui où le Mercure apportait, tous les mois, tous les quinze jours, et enfin toutes les semaines, une charade, une énigme ou un logogriphe à ses lecteurs!

      Eh bien, moi, je vais faire revenir cette mode.

      Dites-moi, donc, cher lecteur ou belle lectrice, – c'est pour l'esprit perspicace des lectrices surtout que sont faites les charades, – dites-moi de quelle langue est tiré l'apologue suivant.

      Est-ce du sanscrit, de l'égyptien, du chinois, du phénicien, du grec, de l'étrusque, du roumain, du gaulois, du goth, de l'arabe, de l'italien, de l'anglais, de l'allemand, de l'espagnol, du français ou du basque?

      Remonte-t-il à l'antiquité, et est-il signé Anacréon? – Est-il gothique, et est-il signé Charles d'Orléans? – Est-il moderne, et est-il signé Goethe, Thomas Moore on Lamartine? – Ou plutôt, ne serait-il pas de Saadi, le poète des perles, des roses et des rossignols? – Ou bien…?

      Mais ce n'est pas mon affaire de deviner; c'est la vôtre.

      Devinez donc, chez lecteur.

      Voici l'apologue en question:

      Un papillon avait réuni sur ses ailes d'opale la plus suave harmonie de couleurs: le blanc, le rose et le bleu.

      Comme un rayon de soleil, il voltigeait de fleur en fleur, et, pareil lui-même à une fleur volante, il s'élevait, s'abaissait, se jouait au-dessus de la verte prairie.

      Un enfant qui essayait ses premiers pas sur le gazon diapré, le vit, et se sentit pris tout à coup du désir d'attraper l'insecte aux vives couleurs.

      Mais le papillon était habitué à ces sortes de désirs-là. Il avait vu des générations entières s'épuiser à le poursuivre. Il voltigea devant l'enfant, se posant à deux pas de lui; et, quand l'enfant, ralentissant sa course, retenant son haleine, étendait la main pour le prendre, le papillon s'enlevait et recommençait son vol inégal et éblouissant.

      L'enfant ne se lassait pas; l'enfant suivait toujours.

      Après chaque tentative avortée, au lieu de s'éteindre, le désir de la possession augmentait dans son coeur, et, d'un pas de plus en plus rapide, l'oeil de plus en plus ardent, il courait après le beau papillon!

      Le pauvre enfant avait couru sans regarder derrière lui; de sorte que, ayant couru longtemps, il était déjà bien loin de sa mère.

      De la vallée fraîche et fleurie, le papillon passa dans une plaine aride et semée de ronces.

      L'enfant le suivit dans cette plaine.

      Et, quoique la distance fût déjà longue et la course rapide, l'enfant, ne sentant point sa fatigue, suivait toujours le papillon, qui se posait de dix pas en dix pas, tantôt sur un buisson, tantôt sur un arbuste, tantôt sur une simple fleur sauvage et sans nom, et qui toujours s'envolait au moment où le jeune homme croyait le tenir.

      Car, en le poursuivant, l'enfant était devenu jeune homme.

      Et, avec cet insurmontable désir de la jeunesse, et avec cette indéfinissable besoin de la possession, il poursuivait toujours le brillant mirage.

      Et, de temps en temps, le papillon s'arrêtait comme pour se moquer du jeune homme, plongeait voluptueusement sa trompe dans le calice des fleurs, et battait amoureusement des ailes.

      Mais, au moment où le jeune homme s'approchait, haletant d'espérance, le papillon se laissait aller à la brise, et la brise l'emportait, léger comme un parfum.

      Et ainsi se passaient, dans cette poursuite insensée, les minutes et les minutes, les heures et les heures, les jours et les jours, les années et les années, et l'insecte et l'homme étaient arrivés au sommet d'une montagne qui n'était autre que le point culminant de la vie.

      En poursuivant le papillon, l'adolescent s'était fait homme.

      Là, l'homme s'arrêta un instant, ne sachant pas s'il ne serait pas mieux pour lui de revenir en arrière, tant ce versant de montagne qui lui restait à descendre lui paraissait aride.

      Puis, au bas de la montagne, au contraire de l'autre côté, où, dans de charmants parterres, dans de riches enclos, dans des parcs verdoyants, poussaient des fleurs parfumées, des plantes rares, des arbres chargés de fruits; au bas de la montagne, disons-nous, s'étendait un grand espace carré fermé de murs, dans lequel on entrait par une porte incessamment ouverte, et où il ne poussait que des pierres, les unes couchées, les autres debout.

      Mais le papillon vint voltiger, plus brillant que jamais, aux yeux de l'homme, et prit sa direction vers l'enclos, suivant la pente de la montagne.

      Et, chose étrange! quoiqu'une si longue course eût dû fatiguer le vieillard, car, à ses cheveux blanchissants, on pouvait reconnaître pour tel l'insensé coureur, sa marche, à mesure qu'il avançait, devenait plus rapide; ce qui ne pouvait s'expliquer que par la déclivité de la montagne.

      Et le papillon se tenait à égale distance; seulement, comme les fleurs avaient disparu, l'insecte se posait sur des chardons piquants, ou sur des branches d'arbre desséchées.

      Le vieillard, haletant, le poursuivait toujours.

      Enfin, le papillon passa par-dessus les murs du triste enclos, et le vieillard le suivit, entrant par la porte.

      Mais à peine eût-il fait quelques pas, que, regardant le papillon, qui semblait se fondre dans l'atmosphère grisâtre, il heurta une pierre et tomba.

      Trois


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