Faust. Johann Wolfgang von Goethe
Читать онлайн книгу.malheureux n'en fait usage
Que pour ravaler ton image
À l'état de pur animal.
Moi, j'oserais comparer l'homme
(Sauf la permission de Votre Majesté)
À cet insecte ailé que sauterelle il nomme,
Sur de longues pattes monté,
Gambadant tant que l'été dure,
Et répétant sur la verdure
Un vieux refrain de tous les ans.
Encore si c'était là qu'il consumât le temps!
Mais non, pas un fumier, pas une fange impure,
Où ce dieu ne mette son nez.
N'as-tu donc rien autre à m'apprendre?
Tous les discours qu'ici tu me forces d'entendre
À des sarcasmes froids seront-ils donc bornés?
Et ne verras-tu rien qui ne soit à reprendre
Au monde où les hommes sont nés?
Las! oui, Seigneur (soit dit sans vous déplaire),
Vous me trouvez encore du même avis,
Et soutenant que tout dans ce monde est au pis.
De l'Homme enfin si grande est la misère,
Que moi-même parfois je m'en sens attristé,
Et que de rendre pire une telle existence
Depuis long-temps en vérité
Je me fais quelque conscience.
Connais-tu Faust?
Qui? le docteur?
Eh! sans doute, mon serviteur.
Il vous sert en effet de la belle manière.
Rien de terrestre chez ce fou:
À peine ce qu'il mange est-il fait de matière.
Ours rechigné, vrai loup-garou,
Il reste nuit et jour enfermé dans son trou,
Espèce de tombeau sans air et sans lumière.
Mais si son corps ne bouge pas,
Son esprit au contraire est toujours en campagne:
Plaine, torrent, vallon, montagne,
Dans tous les recoins de là-bas
Il se glisse et prend ses ébats;
Et puis il monte au ciel, il nage dans l'espace,
Demande à l'univers tous ses plus grands plaisirs…
Après quoi pourtant il se lasse
Et retombe à la même place,
Consumé des mêmes désirs.
Battu comme il l'est de l'orage,
Si, sans que rien l'ébranle, il demeure debout,
Si, vainqueur dans la lutte, il me sert jusqu'au bout,
Je le recueillerai pour prix de son courage.
Mais, le frêle arbrisseau qui n'a vu qu'un printemps
Vient-il à se couvrir d'une tendre verdure,
Le jardinier sait bien qu'au midi de ses ans
Fleurs et fruits seront sa parure.
Si bien donc que sur lui vous comptez quelque peu?
Gageons que celui-là vous le perdrez encore!
Pourvu que, jouant un franc jeu,
Vous me laissiez de votre aveu
Brûler son âme à petit feu,
Et sans aucune entrave amener la pécore
Où bon me semblera. M'accordez-vous ce point?
Aussi long-temps que Faust habitera la terre,
Je ne t'en empêcherai point.
Tant que l'homme y voyage, il erre.
Votre cadeau, Seigneur, me ravit, me confond.
J'ai toujours abhorré d'avoir aux morts affaire,
Et de beaucoup je leur préfère
Un visage au teint rubicond.
Pour un citoyen de la bière
Je ne suis jamais au logis…
Comme le chat pour la souris.
Je daigne exaucer ta prière.
Va, détourne, si tu le peux,
Détourne cet esprit de sa source première;
Fais-le suivre avec toi le chemin tortueux
Des ennemis de la lumière;
Et rougis, si tu dois avouer à la fin
Que, jusque dans les rangs de la foule grossière,
Le juste peut encore choisir le droit chemin.
Bon! nous n'en aurons pas pour long-temps, je le jure.
Orgueil à part, je ne vois nul sujet
D'être en souci de ma gageure.
Si j'arrive à bon port, vous voudrez, s'il vous plaît,
M'accorder les honneurs d'une victoire entière.
Il mangera de la poussière,
Et trouvera cet aliment fort sain,
Comme le vieux serpent, mon illustre cousin.
Tu peux en liberté paraître dans le monde.
Je n'en voudrais bannir ni tes pareils, ni toi;
Car, seul parmi la race immonde,
Le Malin fût toujours très-précieux pour moi.
Sous la matière qui l'accable
L'homme risque par fois de perdre tout ressort,
Et de changer sa vie en un sommeil de mort.
J'aime donc à lui voir un compagnon semblable,
Qui l'excite au combat, l'éveille quand il dort.
Et peut même au besoin créer, comme le Diable.
Vous cependant, ô vous, nobles enfants du ciel,
Livrez-vous sans contrainte aux pensers ineffables
Du séjour éternel;
Et tandis que l'auteur des êtres innombrables
Épanche autour de vous les flots de son amour,
Célébrez ces êtres d'un jour
En vos âmes impérissables.
(Le ciel se ferme, les Archanges se retirent.)
MÉPHISTOPHÉLÈS seul.
De temps en temps j'aime à voir le vieux père,
Et je me garde bien de lui rompre en visière.
Traiter un pauvre diable avec cette douceur!..
Vraiment dans un si grand seigneur
Autant de bonhomie est chose singulière.
LA