Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8 - George Gordon Byron


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effet, il juge.

BARBARIGO

      N'accuse donc pas la rigueur des lois, quand elles vont jusqu'à permettre à un père de déposer son vote dans une affaire qui intéresse si gravement le salut de l'état.

JACOPO FOSCARI

      Oui, et de son fils. Je me trouve mal; permettez-moi, je vous prie, de prendre un instant l'air à cette fenêtre qui donne sur les flots.

(Entre un officier qui parle bas à Barbarigo.)BARBARIGO, au garde

      Laissez-le approcher. Je ne dois pas m'arrêter près de lui davantage; j'ai même, dans ce court entretien, oublié mes devoirs; il faut que j'aille me racheter dans la chambre du conseil.

(Barbarigo sort. – Le garde conduit à la fenêtre Jacopo Foscari.)GARDE

      La voilà ouverte, seigneur. – Comment vous trouvez-vous?

JACOPO FOSCARI

      Comme un enfant. – O Venise! Venise!

GARDE

      Et vos membres?

JACOPO FOSCARI

      Mes membres! Oh! que de fois ils m'ont soutenu sur cette plaine d'azur, où je devançais le rapide sillon de la gondole! Que de fois, masqué comme un jeune batelier, entouré de mes compagnons, gais et nobles comme moi, nous nous plaisions à lutter sur ces flots d'enjouement et de bonne grâce! Alors mille beautés ravissantes nous animaient de leurs aimables sourires; nous entendions leurs vœux passionnés; nous distinguions, de nos brillans esquifs, leurs mouchoirs ondoyans, leurs mains retentissantes! Oh! que de fois, d'un bras plus robuste, d'un sein plus téméraire encore, j'ai fendu ces vagues impétueuses! Alors, avec l'adresse du nageur, je secouais mon humide chevelure; en riant, je chassais loin de mes lèvres les vagues qui semblaient, en les pressant, caresser une coupe. Plus elles s'élevaient, plus je semblais aisément les surmonter, et plus j'étais fier de l'espèce de trône qu'elles me dressaient. Souvent, dans mon ardeur téméraire, je plongeais dans leurs gouffres de verdure et de cristal; je m'ouvrais un chemin jusqu'aux coquillages, jusqu'aux algues marines, que les spectateurs n'apercevaient du rivage qu'à l'instant où ils ne tremblaient plus pour moi: puis je revenais la main chargée des preuves irrécusables de ma longue course; d'un élan rapide et vigoureux je reparaissais à la surface, je tirais un profond soupir emprisonné si long-tems dans ma poitrine; j'essuyais l'écume qui bouillonnait autour de moi, et, comme un oiseau de mer, je reprenais tranquillement ma course. – J'étais alors un enfant.

GARDE

      Soyez homme maintenant: jamais vous n'avez eu plus besoin d'un mâle courage.

JACOPO FOSCARI, regardant du balcon

      O Venise! ma belle, mon unique patrie! – Je sens donc que je respire! comme ta brise, ta brise adriatique caresse délicieusement mon visage! Tes vents eux-mêmes portent dans mes veines l'impression du pays natal; ils les rafraîchissent, ils calment mon sang. Qu'il est différent, le vent brûlant des horribles Cyclades qui mugissaient en Candie autour de ma prison, et qui portaient dans mon cœur le désespoir!

GARDE

      En effet, vos joues reprennent leur coloris: puisse le ciel vous donner la force de supporter ce qui peut encore vous attendre! – Je frémis d'y penser.

JACOPO FOSCARI

      Ils ne me banniront pas une seconde fois. – Non, non, ils peuvent briser mes membres, j'ai de la force.

GARDE

      Avouez, et la torture vous sera épargnée.

JACOPO FOSCARI

      J'ai déjà avoué une fois-deux fois: et deux fois ils m'ont exilé!

GARDE

      Et la troisième fois ils vous tueront.

JACOPO FOSCARI

      Eh bien! qu'ils me tuent, pourvu que je sois enseveli aux lieux où je suis né; mieux valent ici des cendres que l'existence ailleurs.

GARDE

      Pouvez-vous tant chérir la terre qui vous déteste?

JACOPO FOSCARI

      La terre! – Oh! non, ce sont les enfans de la terre qui seuls me persécutent: mais le sol natal me pressera de nouveau comme une tendre mère dans ses bras: un tombeau vénitien, c'est là ce que je demande; ou du moins un cachot, tout ce qu'ils voudront enfin, pourvu que ce soit ici.

(Entre un officier.)OFFICIER

      Emmenez le prisonnier!

GARDE

      Seigneur, vous entendez l'ordre.

JACOPO FOSCARI

      J'y suis habitué; c'est la troisième fois qu'ils m'ont torturé. (Au garde.) Donnez-moi donc le bras.

OFFICIER

      Prenez le mien; il m'est recommandé de rester le plus près de votre personne.

JACOPO FOSCARI

      Vous! – C'est vous qui dirigiez hier mes bourreaux. – Arrière! – Je marcherai seul.

OFFICIER

      Comme il vous plaira, seigneur; ce n'est pas moi qui signai la sentence, et je ne pouvais désobéir au conseil, quand ils-

JACOPO FOSCARI

      Oui, quand ils t'ordonnaient de m'étendre sur leurs horribles chevalets. Ne me touche pas, je te prie, du moins pour le moment; le tems viendra qu'ils renouvelleront leurs ordres; mais jusque-là éloigne-toi de moi. A la vue de tes mains, mes membres frémissent et se glacent, en songeant aux nouveaux supplices qui m'attendent, et mon front se couvre tout à coup d'une sueur froide, comme si-mais loin de nous ces terreurs-j'ai déjà supporté la torture, – je la supporterai bien encore. – De quel œil mon père voit-il tout cela?

OFFICIER

      Avec son calme ordinaire.

JACOPO FOSCARI

      Oui; la terre, le ciel, l'azur de l'océan, l'éclat de notre ville et de ses dômes, les jeux de la place Saint-Marc, et même le bourdonnement des nations, tout porte les indices de calme et de plaisir jusque dans ces salles où gouvernent des inconnus, où d'innombrables inconnus sont chaque jour jugés et immolés en silence. – Tout garde le même aspect, jusqu'à mon propre père! Et rien n'éprouve la moindre sympathie pour Foscari, pas même un Foscari. – (A l'officier.) Je vous suis.

(Sortent Jacopo Foscari, officier, etc. – Entrent Memmo et un autre sénateur.)MEMMO

      Il est parti. – Nous avons trop tardé. – Pensez-vous que les Dix demeurent long-tems assemblés aujourd'hui?

SÉNATEUR

      Le prisonnier, dit-on, est fort endurci; il persiste toujours dans sa première déposition; voilà tout ce que je sais.

MEMMO

      Et cela est beaucoup; pour nous, premiers patriciens de la république, les secrets de cette terrible chambre sont des mystères comme pour le dernier citoyen.

SÉNATEUR

      Seulement, quelques rumeurs qui (semblables aux contes de revenans reconnus dans l'ombre des bâtimens en ruines) n'ont jamais été prouvées ni entièrement démenties: ici les hommes connaissent aussi peu les véritables actes du pouvoir que les mystères informes de la tombe.

MEMMO

      Mais, avec le tems, nous faisons un pas dans cette initiation; et j'ai l'espoir un jour d'être décemvir.

SÉNATEUR

      Ou même doge…

MEMMO

      Pourquoi pas? non, cependant, si je puis m'en dispenser.

SÉNATEUR

      C'est la première magistrature de l'état; on peut y aspirer légitimement, et de nobles rivaux peuvent se glorifier d'y atteindre.

MEMMO

      Je leur laisse cette prétention. Né patricien, mon ambition toutefois a des limites: j'aimerais mieux être l'un des membres égaux de l'impérial conseil des Dix, que de briller d'un éclat solitaire et comme un zéro couronné. – Mais qui s'approche? la femme de Foscari.

(Entre Marina avec une suivante.)MARINA

      Eh quoi! personne? – Je me trompe, ils sont encore deux; mais ce sont des sénateurs.

MEMMO

      Qu'ordonnez-vous de nous, noble dame?

MARINA

      Moi, ordonner! hélas! ma vie n'a été qu'une longue prière, et une prière inutile.

MEMMO

      Je


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