OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert


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envie de partir. La peur de sembler lâche le retint. Un domestique enlevait les tasses de thé; Mme Dambreuse causait avec un diplomate en habit bleu; deux jeunes filles, rapprochant leurs fronts, se faisaient voir une bague; les autres, assises en demi-cercle sur des fauteuils, remuaient doucement leurs blancs visages, bordés de chevelures noires ou blondes; personne enfin ne s’occupait de lui. Frédéric tourna les talons; et, par une suite de longs zigzags, il avait presque gagné la porte, quand, passant près d’une console, il remarqua dessus, entre un vase de Chine et la boiserie, un journal plié en deux. Il le tira quelque peu et lut ces mots: le Flambard.

      Qui l’avait apporté? Cisy! Pas un autre évidemment. Qu’importait, du reste! Ils allaient croire, tous déjà croyaient peut-être à l’article. Pourquoi cet acharnement? Une ironie silencieuse l’enveloppait. Il se sentait comme perdu dans un désert. Mais la voix de Martinon s’éleva:

      «A propos d’Arnoux, j’ai lu parmi les prévenus des bombes incendiaires le nom d’un de ses employés, Sénécal. Est-ce le nôtre?

      – Lui-même», dit Frédéric.

      Martinon répéta, en criant très haut:

      «Comment, notre Sénécal! notre Sénécal!»

      Alors, on le questionna sur le complot; sa place d’attaché au parquet devait lui fournir des renseignements.

      Il confessa n’en pas avoir. Du reste, il connaissait fort peu le personnage, l’ayant vu deux ou trois fois seulement, et le tenait en définitive pour un assez mauvais drôle. Frédéric, indigné, s’écria:

      «Pas du tout! c’est un très honnête garçon!

      – Cependant, monsieur, dit un propriétaire, on n’est pas honnête quand on conspire!»

      La plupart des hommes qui étaient là avaient servi au moins quatre gouvernements; et ils auraient vendu la France ou le genre humain pour garantir leur fortune, s’épargner un malaise, un embarras, ou même par simple bassesse, adoration instinctive de la force. Tous déclarèrent les crimes politiques inexcusables. Il fallait plutôt pardonner à ceux qui provenaient du besoin! Et on ne manqua pas de mettre en avant l’éternel exemple du père de famille volant l’éternel morceau de pain chez l’éternel boulanger.

      Un administrateur s’écria même:

      «Moi, monsieur, si j’apprenais que mon frère conspire, je le dénoncerais!»

      Frédéric invoqua le droit de résistance; et, se rappelant quelques phrases que lui avait dites Deslauriers, il cita Desolmes, Blackstone, le bill des droits en Angleterre, et l’article 2 de la Constitution de 91. C’était même en vertu de ce droit-là qu’on avait proclamé la déchéance de Napoléon; il avait été reconnu en 1830, inscrit en tête de la Charte.

      «D’ailleurs, quand le souverain manque au contrat, la justice veut qu’on le renverse.

      – Mais c’est abominable!» exclama la femme d’un préfet.

      Toutes les autres se taisaient, vaguement épouvantées, comme si elles eussent entendu le bruit des balles. Mme Dambreuse se balançait dans son fauteuil et l’écoutait parler en souriant.

      Un industriel, ancien carbonaro, tâcha de lui démontrer que les d’Orléans étaient une belle famille; sans doute, il y avait des abus…

      «Eh bien, alors?

      – Mais on ne doit pas les dire, cher monsieur! Si vous saviez comme toutes ces criailleries de l’Opposition nuisent aux affaires!

      – Je me moque des affaires!» reprit Frédéric.

      La pourriture de ces vieux l’exaspérait; et, emporté par la bravoure qui saisit quelquefois les plus timides, il attaqua les financiers, les députés, le gouvernement, le roi, prit la défense des Arabes, débita beaucoup de sottises. Quelques-uns l’encourageaient ironiquement: «Allez donc! continuez!» tandis que d’autres murmuraient: «Diable! quelle exaltation!» Enfin, il jugea convenable de se retirer; et, comme il s’en allait, M. Dambreuse lui dit, faisant allusion à la place de secrétaire:

      «Rien n’est terminé encore! Mais dépêchez-vous!»

      Et Mme Dambreuse:

      «A bientôt, n’est-ce pas?»

      Frédéric jugea leur adieu une dernière moquerie. Il était déterminé à ne jamais revenir dans cette maison, à ne plus fréquenter tous ces gens-là. Il croyait les avoir blessés, ne sachant pas quel large fonds d’indifférence le monde possède! Ces femmes surtout l’indignaient. Pas une qui l’eût soutenu, même du regard. Il leur en voulait de ne pas les avoir émues. Quant à Mme Dambreuse, il lui trouvait quelque chose à la fois de langoureux et de sec, qui empêchait de la définir par une formule. Avait-elle un amant? Quel amant? Était-ce le diplomate ou un autre? Martinon, peut-être? Impossible! Cependant il éprouvait une espèce de jalousie contre lui et envers elle une malveillance inexplicable.

      Dussardier, venu ce soir-là comme d’habitude, l’attendait. Frédéric avait le cœur gonflé; il le dégorgea, et ses griefs, bien que vagues et difficiles à comprendre, attristèrent le brave commis; il se plaignait même de son isolement. Dussardier, en hésitant un peu, proposa de se rendre chez Deslauriers.

      Frédéric, au nom de l’avocat, fut pris par un besoin extrême de le revoir. Sa solitude intellectuelle était profonde, et la compagnie de Dussardier insuffisante. Il lui répondit d’arranger les choses comme il voudrait.

      Deslauriers, également, sentait depuis leur brouille une privation dans sa vie. Il céda sans peine à des avances cordiales.

      Tous deux s’embrassèrent, puis se mirent à causer de choses indifférentes.

      La réserve de Deslauriers attendrit Frédéric; et, pour lui faire une sorte de réparation, il lui conta le lendemain sa perte de quinze mille francs, sans dire que ces quinze mille francs lui étaient primitivement destinés. L’avocat n’en douta pas néanmoins. Cette mésaventure, qui lui donnait raison dans ses préjugés contre Arnoux, désarma tout à fait sa rancune; et il ne parla point de l’ancienne promesse.

      Frédéric, trompé par son silence, crut qu’il l’avait oubliée. Quelques jours après, il lui demanda s’il n’existait pas de moyens de rentrer dans ses fonds.

      On pouvait discuter les hypothèques précédentes, attaquer Arnoux comme stellionataire, faire des poursuites au domicile contre la femme.

      «Non! non! pas contre elle!» s’écria Frédéric; et, cédant aux questions de l’ancien clerc, il avoua la vérité. Deslauriers fut convaincu qu’il ne la disait pas complètement, par délicatesse sans doute. Ce défaut de confiance le blessa.

      Ils étaient cependant aussi liés qu’autrefois, et même ils avaient tant de plaisir à se trouver ensemble, que la présence de Dussardier les gênait. Sous prétexte de rendez-vous, ils arrivèrent à s’en débarrasser peu à peu. Il y a des hommes n’ayant pour mission parmi les autres que de servir d’intermédiaires; on les franchit comme des ponts, et l’on va plus loin.

      Frédéric ne cachait rien à son ancien ami. Il lui dit l’affaire des houilles, avec la proposition de M. Dambreuse. L’avocat devint rêveur.

      «C’est drôle! il faudrait pour cette place quelqu’un d’assez fort en droit!

      – Mais tu pourras m’aider, reprit Frédéric.

      – Oui… tiens… parbleu! certainement.»

      Dans la même semaine, il lui montra une lettre de sa mère.

      Mme Moreau s’accusait d’avoir mal jugé M. Roque, lequel avait donné de sa conduite des explications satisfaisantes. Puis elle parlait de sa fortune et de la possibilité, pour plus tard, d’un mariage avec Louise.

      «Ce ne serait peut-être pas bête!» dit Deslauriers.

      Frédéric s’en rejeta loin; le père Roque, d’ailleurs, était un vieux filou. Cela n’y faisait rien, selon l’avocat.

      A


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