Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I. Чарльз Диккенс
Читать онлайн книгу.d'indignation. M. Winkle répéta modestement l'opinion qu'il venait d'émettre.
– Ohé! l'homme! cria M. Pickwick, irrité, pensez-vous donc que nous avons volé ce cheval?
– Je ne le crois pas, j'en suis sûr! répondit l'homme à la tête rouge, avec une espèce de sourire qui agita toute sa physionomie de l'une à l'autre oreille; et en parlant ainsi, il entra dans la maison, dont il ferma soigneusement la porte.
– C'est comme un rêve! s'écria M. Pickwick, un hideux cauchemar! O ciel! imaginez-vous un homme marchant toute une journée, poursuivi par un cheval épouvantable, dont il ne peut pas se débarrasser!
Les pickwickiens abattus se remirent tristement en route, l'énorme quadrupède, pour qui ils ressentaient le plus profond dégoût, marchant lentement sur leurs talons.
L'après-midi était fort avancée lorsque nos quatre amis, toujours suivis du malencontreux animal, arrivèrent enfin dans la ruelle qui conduisait à Manoir-ferme. Mais quoiqu'ils touchassent au terme de leurs fatigues, leur satisfaction était prodigieusement amortie par l'absurde singularité de leur apparence; des habits déchirés, des visages égratignés, des souliers sales, des figures exténuées; et par-dessus tout, l'affreux cheval. Oh! combien M. Pickwick le maudissait! De temps en temps il jetait sur lui des regards où se peignaient la haine et le désir d'une épouvantable vengeance. Plus d'une fois, il avait calculé le montant probable de ce qu'il faudrait payer pour avoir la satisfaction de lui couper la gorge; et maintenant la tentation de l'assassiner ou de l'abandonner dans les champs déserts se présentait à son esprit avec dix fois plus de violence. Cependant il avançait toujours, et à l'un des détours de la ruelle, il fut distrait de ses horribles pensées par l'apparition soudaine de deux personnages. C'étaient M. Wardle et son fidèle serviteur, le gros garçon rougeaud.
«Eh bien! où donc avez-vous été? demanda le gentleman hospitalier. Je vous ai attendu toute la journée. Vous avez l'air fatigués. Quoi! des égratignures! pas de blessures, j'espère?.. Non… j'en suis bien aise. Vous avez versé? N'y pensez plus, c'est un accident commun dans ce pays-ci. – Joe, damné garçon, il est encore à dormir! Joe, prenez ce cheval et conduisez-le dans l'écurie.»
Le gros joufflu tenant en bride le fatal coursier, se traîna d'un pas paresseux derrière la compagnie, tandis que le vieux gentleman s'efforçait de consoler ses hôtes de la partie de leurs aventures qu'ils jugèrent à propos de lui communiquer.
Arrivés à Manoir-ferme, il commença par les faire entrer dans la cuisine en leur disant: «Nous allons tout réparer ici, et ensuite je vous introduirai dans le salon. – Emma, apportez l'eau-de-vie de cerises. – Maintenant, Jane, une aiguille et du fil. – Mary, des serviettes et de l'eau. Allons vite, mes filles, dépêchons.»
Trois ou quatre grosses réjouies se dispersèrent rapidement pour aller chercher les articles demandés, tandis qu'un couple de domestiques mâles, aux têtes rondes et aux larges visages, se levèrent des siéges qu'ils occupaient auprès de la cheminée comme s'ils avaient été à Noël, se plongèrent dans l'obscurité de divers recoins, et en ressortirent bientôt, armés d'une bouteille de cirage et d'une demi-douzaine de brosses.
«Allons, vite!» répéta le vieux gentleman. Mais c'était une exhortation tout à fait inutile, car l'une des servantes versait l'eau-de-vie, l'autre apportait les serviettes, et l'un des hommes saisissant soudainement M. Pickwick par la jambe, au hasard imminent de lui faire perdre l'équilibre, brossait ses bottes avec tant d'ardeur que ses cors en rougirent au blanc. Dans le même temps, un second domestique frottait M. Winkle avec une énorme brosse, tout en produisant avec sa bouche cette espèce de sifflement que les garçons d'écurie ont l'habitude de faire entendre quand ils étrillent un cheval.
Quant à M. Snodgrass, après avoir terminé ses ablutions, il tourna son dos au feu, et savourant avec délices son eau-de-vie, il se mit à examiner la pièce où il se trouvait.
D'après la description qu'il en a faite, c'était une vaste chambre pavée de briques rouges. La cheminée paraissait immense; le plafond s'honorait d'une garniture de bottes d'oignons, de jambons et de lard; les murs étaient décorés de plusieurs cravaches, de deux ou trois brides, d'une selle et d'une vieille espingole rouillée. Au-dessous de celle-ci, on lisait en gros caractère: CHARGÉE, et elle devait l'être depuis plus d'un demi-siècle, s'il fallait en croire son apparence et celle de l'inscription. Un vieux coucou, au mouvement tranquille et solennel, tictaquait gravement dans un coin, tandis qu'une montre d'argent, d'une égale antiquité, se dandinait à l'un des nombreux crochets dont la muraille était semée.
«Êtes-vous prêts? demanda le vieux gentleman à ses hôtes, quand il les vit bien lavés, bien recousus, bien brossés, bien restaurés.
– Tout à fait, répondit M. Pickwick.
– Alors, venez avec moi.» Trois des voyageurs le suivirent à travers plusieurs corridors sombres, ils furent rejoints à la porte du salon par M. Tupman, qui était resté derrière pour dérober un baiser à Emma, mais qui n'avait obtenu, pour toute récompense, qu'un certain nombre de bourrades et d'égratignures. Cependant le vieillard les introduisit en disant: «Gentlemen, soyez les bienvenus à Manoir-ferme.»
CHAPITRE VI.
Une soirée d'autrefois. Histoire racontée par un ecclésiastique
Plusieurs visites réunies dans le salon se levèrent pour recevoir les nouveaux venus, et pendant qu'on accomplissait les formalités cérémonieuses des introductions, M. Pickwick eut le loisir d'examiner la figure des assistants et de spéculer sur leur caractère et sur leurs occupations. C'était un genre d'amusement auquel il se livrait volontiers, ainsi que beaucoup d'autres grands hommes.
Une très-vieille dame, avec un énorme bonnet et une robe de soie fanée, occupait le poste d'honneur à l'angle droit de la cheminée. Ce n'était pas un moindre personnage que la mère de M. Wardle. Plusieurs certificats, prouvant qu'elle avait été bien élevée et n'avait pas quitté la bonne route en vieillissant, étaient appendus aux murailles, sous la forme d'antiques paysages en tapisserie, d'alphabets en point de marque, non moins antiques, et de poignées à bouilloires en soie cramoisie, d'une plus récente période. La tante demoiselle, les deux jeunes filles et M. Wardle, groupés autour de la vieille dame, semblaient disputer à qui lui témoignerait les attentions les plus infatigables. L'une tenait son cornet acoustique, l'autre une orange, la troisième un flacon d'odeurs, tandis que M. Wardle tamponnait soigneusement les coussins qui la supportaient. De l'autre côté de la cheminée était assis un vieux gentleman, doué d'une contenance bienveillante et d'une tête chauve c'était le vicaire de Dingley-Dell; auprès de lui se trouvait sa femme, bonne vieille dame dont la physionomie robuste et le teint animé semblaient annoncer que, si elle était savante dans la confection de tous les cordiaux fabriqués par une bonne ménagère, elle savait aussi se les administrer à propos. Un petit homme, porteur d'une tête semblable à une pomme de reinette, causait dans un coin avec un gentleman vieux et gros, tandis que deux ou trois autres vieillards et tout autant de vieilles ladies étaient assis, roides et immobiles sur leurs chaises, considérant impitoyablement M. Pickwick et ses compagnons de voyage.
«Ma mère!» dit M. Wardle, de toute l'étendue de sa voix, M. Pickwick!
– Oh! fit la vieille lady, en secouant la tête, je ne vous entends pas.
– M. Pickwick! grand'maman! crièrent ensemble les deux jeunes demoiselles.
– Ah! reprit la vieille dame, c'est bon; cela ne fait pas grand'chose. Il ne se soucie guère d'une vieille femme comme moi, j'en suis certaine.
– Je vous assure, madame, dit M. Pickwick, en saisissant la main de la vieille lady, et en parlant tellement fort, que sa bienveillante figure en devint écarlate, je vous assure, madame, que rien ne me charme autant que de voir, à la tête d'une si belle famille, une personne de votre âge, paraissant aussi jeune et aussi bien portante.
– Ah! reprit la vieille dame, après une courte pose, tout cela est fort joli, j'en suis sûre; mais je ne peux pas l'entendre.
– Grand'maman est mal disposée maintenant, dit doucement miss Isabella Wardle,