Histoire de la Guerre de Trente Ans. Friedrich von Schiller
Читать онлайн книгу.de Bavière fut le prix de cette apostasie, et la puissante protection de la Bavière et de l'Espagne la conséquence naturelle des deux événements. Pour aider le comte palatin à s'assurer la possession exclusive de Juliers, les troupes espagnoles furent attirées des Pays-Bas dans le duché. Pour se délivrer de ces hôtes, l'électeur de Brandebourg appela les Hollandais dans le pays, et, pour leur complaire, il embrassa le calvinisme. Les Espagnols et les Hollandais parurent, mais on put voir que c'était uniquement en vue de conquérir pour eux-mêmes.
La guerre voisine, des Pays-Bas, sembla vouloir prendre alors pour théâtre le territoire germanique, et quelle abondance de matières inflammables n'y trouvait-elle pas toute prête! L'Allemagne protestante vit avec effroi les Espagnols prendre pied sur le bas Rhin, et l'Allemagne catholique avec plus d'effroi encore les Hollandais franchir les limites de l'Empire. C'était à l'occident que devait éclater la mine depuis longtemps creusée sous tout le sol de l'Allemagne; la terreur et les alarmes s'étaient tournées de ce côté, et ce fut de l'orient que vint le coup qui amena l'explosion.
Le repos que la lettre de Majesté de Rodolphe II avait procuré à la Bohême se prolongea encore quelque temps sous le règne de Matthias, et jusqu'au jour où fut nommé un nouveau successeur à la couronne de ce royaume, dans la personne de Ferdinand de Grætz.
Ce prince, que nous apprendrons à mieux connaître dans la suite, sous le nom de Ferdinand II, s'était annoncé comme un zélateur inexorable de l'Église romaine, en extirpant par violence le protestantisme de ses États héréditaires: aussi la partie catholique de la nation bohême voyait-elle en lui le futur soutien de son Église. La santé caduque de Matthias rapprochait cette époque prévue, et les catholiques bohêmes, dans la confiance que leur inspirait un si puissant protecteur, commençaient déjà à traiter leurs adversaires avec moins de ménagements. Les sujets protestants de seigneurs catholiques étaient surtout exposés aux plus durs traitements. Plusieurs catholiques commirent même l'imprudence de parler assez haut de leurs espérances, et leurs menaces éveillèrent dans l'autre parti une fâcheuse méfiance contre leur futur souverain. Mais elle n'aurait jamais éclaté par des actes, si l'on s'en était tenu à des menaces générales, et si des attaques particulières contre certaines personnes n'avaient donné au mécontentement populaire des chefs entreprenants.
Henri Matthias, comte de Thurn, n'était pas né Bohême, mais il possédait quelques domaines dans le royaume; et son zèle pour la religion protestante, un amour enthousiaste pour sa nouvelle patrie, lui avaient gagné toute la confiance des utraquistes, ce qui lui ouvrit le chemin des postes les plus importants. Il avait servi avec gloire contre les Turcs. Par ses manières insinuantes, il gagna les cœurs de la multitude. Esprit ardent, impétueux; aimant le trouble, parce que ses talents y brillaient; assez inconsidéré et téméraire pour entreprendre des choses qu'une froide prudence et un sang plus tranquille ne hasardent point; assez peu scrupuleux pour jouer le sort des peuples, lorsqu'il s'agissait de satisfaire ses passions; assez habile pour mener à la lisière une nation telle qu'était alors la Bohême: il avait déjà pris la part la plus active aux troubles sous le règne de Rodolphe, et c'était à lui principalement qu'on devait la lettre impériale, arrachée à ce prince par les états. La cour avait mis sous sa garde, comme burgrave de Karlstein, la couronne de Bohême et les chartes du royaume; mais, dépôt bien plus important, la nation s'était livrée elle-même à lui, en le nommant défenseur ou protecteur de la foi. Les grands qui gouvernaient l'empereur arrachèrent maladroitement au comte de Thurn la garde de choses mortes pour lui laisser son influence sur les vivants. Ils lui enlevèrent la dignité de burgrave, qui le faisait dépendre de la faveur de la cour, comme pour lui ouvrir les yeux sur l'importance de ce qui lui restait; ils blessèrent sa vanité, qui rendait pourtant son ambition inoffensive. Dès lors, il fut dominé par le désir de la vengeance, et l'occasion de le satisfaire ne lui manqua pas longtemps.
Dans la lettre de Majesté arrachée par les Bohêmes à Rodolphe II, aussi bien que dans la paix de religion des Allemands, un article important était resté indécis. Tous les droits que la paix de religion assurait aux protestants étaient pour les membres de la diète, pour le souverain, et non pour les sujets; on avait seulement stipulé pour les sujets des États ecclésiastiques une vague liberté de conscience. La lettre impériale de Bohême ne parlait non plus que des seigneurs, membres des états, et des villes royales, dont les magistrats avaient su conquérir des droits égaux à ceux des membres des états. A ces villes seules fut accordée la liberté d'établir des églises, des écoles, et d'exercer publiquement le culte protestant. Dans toutes les autres villes, c'était aux seigneurs dont elles relevaient de statuer quel degré de liberté religieuse ils voulaient permettre aux sujets. Les membres de l'Empire germanique avaient usé de ce droit dans toute son étendue: les séculiers, sans opposition; les ecclésiastiques, auxquels une déclaration de l'empereur Ferdinand contestait ce droit, avaient combattu, non sans fondement, la validité de cette déclaration. Ce qui était contesté dans le traité de paix était indéterminé dans la lettre de Rodolphe; là, l'interprétation n'était pas douteuse, mais il était douteux de savoir si l'on devait l'obéissance; ici, l'interprétation était laissée aux seigneurs. Les sujets des membres ecclésiastiques des états de Bohême croyaient donc avoir le même droit que la déclaration de Ferdinand accordait aux sujets des évêques allemands: ils s'estimaient égaux aux sujets des villes royales, parce qu'ils rangeaient les domaines ecclésiastiques parmi les domaines de la couronne. Dans la petite ville de Klostergrab, qui dépendait de l'archevêque de Prague, et à Braunau, qui appartenait à l'abbé du couvent de ce nom, les sujets protestants osèrent bâtir des églises de leur propre autorité, et en terminèrent la construction malgré l'opposition de leurs seigneurs et même l'improbation de l'empereur.
Cependant, la vigilance des défenseurs s'était un peu ralentie, et la cour crut pouvoir hasarder un coup décisif. Sur un ordre impérial, l'église de Klostergrab fut démolie, celle de Braunau fermée de force, et les bourgeois les plus turbulents furent jetés en prison. Un mouvement général parmi les protestants fut la suite de ces mesures; on cria à la violation de la lettre de Majesté. Le comte de Thurn, animé par la vengeance et pressé plus encore par son office de défenseur, se montra surtout très-actif pour échauffer les esprits. A son instigation, des députés de tous les cercles du royaume furent convoqués à Prague, pour prendre les mesures nécessaires dans ce danger commun. On convint de rédiger une supplique à l'empereur et d'insister sur l'élargissement des prisonniers. La réponse de l'empereur, déjà très-mal reçue des états parce qu'il ne l'avait pas adressée à eux-mêmes, mais à ses lieutenants, improuvait leur conduite, comme illégale et séditieuse, justifiait par un ordre impérial ce qui s'était fait à Klostergrab et à Braunau, et renfermait quelques passages qu'on pouvait interpréter comme des menaces.
Le comte de Thurn ne manqua pas d'augmenter la fâcheuse impression que cet écrit de l'empereur produisit sur l'assemblée des états. Il leur représenta le danger de tous ceux qui avaient pris part à la supplique et sut les entraîner par la peur et la colère à des résolutions violentes. Les soulever immédiatement contre l'empereur, c'eût été un pas encore trop hardi. Il ne les amena que par degrés à ce but inévitable. Il jugea bon de détourner d'abord leur mécontentement sur les conseillers de l'empereur, et fit répandre, à cet effet, le bruit que l'écrit impérial avait été rédigé à la lieutenance à Prague, et seulement signé à Vienne. Parmi les lieutenants impériaux, le président de la chambre Slawata et le baron de Martinitz, nommé burgrave de Karlstein à la place de Thurn, étaient l'objet de la haine universelle. Depuis longtemps, l'un et l'autre avaient laissé voir assez clairement leurs dispositions hostiles aux membres protestants des états, en refusant seuls d'assister à la séance où la lettre impériale avait été enregistrée dans les statuts de Bohême. Dès lors, on les avait menacés de les rendre responsables de toute atteinte future portée à cet acte, et, depuis, tout ce qui était arrivé de fâcheux aux protestants leur avait été imputé, et non sans raison. Parmi tous les seigneurs catholiques, nuls ne s'étaient montrés aussi durs que ces deux hommes envers leurs sujets protestants. On les accusait de lâcher des chiens après eux, pour les pousser à la messe, et de les ramener de force au papisme, par le refus du baptême, du mariage et de la sépulture. Il n'était pas difficile d'enflammer la colère de la nation contre deux personnages si détestés, et on les