Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Читать онлайн книгу.des effets extraordinaires, la profusion des ornements, des pénétrations de moulures, l'emportent sur l'appareil raisonné prenant pour base la nature des matériaux employés. C'est alors la décoration qui commande l'appareil souvent en dépit des hauteurs de bancs; il en résulte de fréquents décrochements dans les lits et les joints, des déchets considérables de pierre, des moyens factices pour maintenir ces immenses galbes à jour, ces porte-à-faux; le fer vient en aide au constructeur pour accrocher ces décorations qui ne sauraient tenir sans son secours, et par les règles naturelles de la statique. Cependant encore ne voit-on jamais un ornement coupé par un lit, les corniches sont prises dans une hauteur d'assise, les arcs sont extradossés, les meneaux appareillés suivant la méthode employée par les constructeurs antérieurs, bien qu'ils affectent des formes qui se concilient difficilement avec les qualités ordinaires de la pierre. On ne peut encore signaler ces énormités si fréquentes un siècle plus tard, où l'architecte du château d'Écouen appareillait des colonnes au moyen de deux blocs posés en délit avec un joint vertical dans toute la hauteur, ou comme au château de Gaillon on trouvait ingénieux de construire des arcs retombant sur un cul-de-lampe suspendu en l'air, où l'on prodiguait ces clefs pendantes dans les voûtes d'arêtes, accrochées aux charpentes.
Constatons, en finissant, ce fait principal qui résume toutes les observations de détail contenues dans cet article. Du XIe siècle à la fin du XIVe, quand la décoration des édifices donne des lignes horizontales, la construction est horizontale; quand elle donne des lignes verticales, la construction est verticale; l'appareil suit naturellement cette loi. Au XVe siècle la décoration est toujours verticale, les lignes horizontales sont rares, à peine indiquées, et cependant la construction est toujours horizontale, c'est-à-dire en contradiction manifeste avec les formes adoptées.
APPENTIS, s. m. C'est le nom que l'on donne à certaines constructions de bois qui sont accolées contre des édifices publics ou bâtiments privés, et dont les combles n'ont qu'un égout; l'appentis a toujours un caractère provisoire, c'est une annexe à un bâtiment achevé que l'on élève par suite d'un nouveau besoin à satisfaire, ou qu'on laisse construire par tolérance.
Encore aujourd'hui, un grand nombre de nos édifices publics, et particulièrement de nos cathédrales, sont entourés d'appentis élevés contre leurs soubassements, entre leurs contre-forts. Ces constructions parasites deviennent une cause de ruine pour les monuments, et il est utile de les faire disparaître. Quelquefois aussi elles ont été élevées pour couvrir des escaliers extérieurs, tel est l'appentis construit au XVe siècle contre l'une des parois de la grande salle du chapitre de la cathédrale de Meaux (1); pour protéger des entrées ou pour établir des marchés à couvert autour de certains grands édifices civils.
APPLICATION, s. f. On désigne par ce mot, en architecture, la superposition de matières précieuses ou d'un aspect décoratif sur la pierre, la brique, le moellon ou le bois. Ainsi on dit l'application d'un enduit peint sur un mur; l'application de feuilles de métal sur du bois, etc. Dans l'antiquité grecque l'application de stucs très-fins et colorés sur la pierre, dans les temples ou les maisons, était presque générale. À l'époque romaine on remplaça souvent ces enduits assez fragiles par des tables de marbre, ou même de porphyre, que l'on appliquait au moyen d'un ciment très-adhérent sur les parois des murs en brique ou en moellon. Cette manière de décorer les intérieurs des édifices était encore en usage dans les premiers siècles du moyen âge en Orient, en Italie et dans tout l'Occident. Les mosaïques à fond d'or furent même substituées aux peintures, sur les parements des voûtes et des murs, comme plus durables et plus riches. Grégoire de Tours cite quelques églises bâties de son temps, qui étaient décorées de marbres et de mosaïques à l'intérieur, entre autres l'église de Châlon-sur-Saône, élevée par les soins de l'évêque Agricola. Ces exemples d'application de mosaïques, si communs en Italie et en Sicile, sont devenus fort rares en France, et nous ne connaissons guère qu'un spécimen d'une voûte d'abside décorée de mosaïques, qui se trouve dans la petite église de Germigny-les-Prés, près de Saint-Benoît-sur-Loire, et qui semble appartenir au Xe siècle. Depuis l'époque carlovingienne jusqu'au XIIe siècle le clergé en France n'était pas assez riche pour orner ses églises par des procédés décoratifs aussi dispendieux; il se préoccupait surtout, et avec raison, de fonder de grands établissements agricoles, de policer les populations, de lutter contre l'esprit quelque peu désordonné de la féodalité. Mais pendant le XIIe siècle, devenu plus riche, plus fort, possesseur de biens immenses, il put songer à employer le superflu de ses revenus à décorer d'une manière somptueuse l'intérieur des églises. De son côté, le pouvoir royal disposait déjà de ressources considérables dont il pouvait consacrer une partie à orner ses palais. L'immense étendue que l'on était obligé alors de donner aux églises ne permettait plus de les couvrir à l'intérieur de marbres et de mosaïques; d'ailleurs ce mode de décoration ne pouvait s'appliquer à la nouvelle architecture adoptée; la peinture seule était propre à décorer ces voûtes, ces piles composées de faisceaux de colonnes, ces arcs moulurés. L'application de matières riches sur la pierre ou le bois fut dès lors réservée aux autels, aux retables, aux jubés, aux tombeaux, aux clôtures, enfin à toutes les parties des édifices religieux qui, par leur dimension ou leur destination, permettaient l'emploi de matières précieuses. Suger avait fait décorer le jubé de l'église abbatiale de Saint-Denis par des applications d'ornements en bronze et de figures en ivoire. Il est souvent fait mention de tombeaux et d'autels recouverts de lames de cuivre émaillé ou d'argent doré. Avant la révolution de 1792, il existait encore en France une grande quantité de ces objets (voy. TOMBEAUX) qui ont tous disparu aujourd'hui. Sur les dossiers des stalles de cette même église de Saint-Denis, qui dataient du XIIIe siècle, on voyait encore du temps de D. Doublet, au commencement du XVIIe siècle, des applications de cuirs couverts d'ornements dorés et peints. Les portes principales de la façade étaient revêtues d'applications de lames de cuivre émaillées et d'ornements de bronze doré (D. Doublet, t. 1, p. 240 et suiv. Paris, 1625).
Nos monuments du moyen âge ont été complètement dénaturés dans le dernier siècle, et radicalement dévastés en 1793; nous ne voyons plus aujourd'hui que leurs murs dépouillés, heureux encore quand nous ne leur reprochons pas cette nudité. Le badigeon et la poussière ont remplacé les peintures; des scellements arrachés, des coups de marteau sont les seules traces indiquant les revêtements de métal qui ornaient les tombes, les clôtures, les autels. Quant aux matières moins précieuses et qui ne pouvaient tenter la cupidité des réformateurs, on en rencontre d'assez nombreux fragments. Parmi les applications le plus fréquemment employées depuis le XIIe siècle jusqu'à la renaissance, on peut citer le verre, la terre cuite vernissée et les pâtes gaufrées. Les marbres étaient rares dans le nord de la France pendant le moyen âge, et souvent des verres colorés remplaçaient cette matière; on les employait alors comme fond des bas-reliefs, des arcatures, des tombeaux, des autels, des retables; ils décoraient aussi les intérieurs des palais. La Sainte-Chapelle de Paris nous a laissé un exemple complet de ce genre d'applications. L'arcature qui forme tout le soubassement intérieur de cette chapelle contient des sujets représentant des martyrs; les fonds d'une partie de ces peintures sont remplis de verres bleus appliqués sur des feuilles d'argent et rehaussés à l'extérieur par des ornements très-fins dorés. Ces verres d'un ton vigoureux, rendus chatoyants par la présence de l'argent sous-apposé, et semés d'or à leur surface, jouent l'émail. Toutes les parties évidées de l'arcature, les fonds des anges sculptés et dorés qui tiennent des couronnes ou des encensoirs sont également appliqués de verres bleus ou couleur écaille, rehaussés de feuillages ou de treillis d'or. On ne peut concevoir une décoration d'un aspect plus riche, quoique les moyens d'exécution ne soient ni dispendieux ni difficiles. Quelquefois aussi ce sont des verres blancs appliqués sur de délicates peintures auxquelles ils donnent l'éclat d'un bijou émaillé. Il existe encore à Saint-Denis de nombreux fragments d'un autel dont le fond était entièrement revêtu de ces verres blancs appliqués sur des peintures presque aussi fines que celles qui ornent les marges des manuscrits. Ces procédés si simples ont été en usage pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, mais plus particulièrement à l'époque