Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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que l'arc puisse rester libre en A pour conserver au moyen de son glissement possible la pureté de sa courbure. Ces précautions dans la combinaison de l'appareil des arcs-boutants n'ont pas été toujours prises, et la preuve qu'elles n'étaient pas inutiles, c'est que leur oubli a presque toujours produit des effets fâcheux.

      La nef de la cathédrale d'Amiens, élevée vers 1230, présente une disposition d'arcs-boutants analogue à celle du choeur de la cathédrale de Soissons, seulement les colonnes supérieures sont dégagées comme les colonnes inférieures, elles sont plus sveltes, et le chaperon du second arc-boutant sert de canal pour conduire les eaux des chéneaux du grand comble à l'extrémité inférieure de l'arc, d'où elles tombent lancées par des gargouilles (voy. CHÉNEAU, GARGOUILLE). Ce moyen de résistance opposé aux poussées des voûtes par les arcs-boutants doubles ne sembla pas toujours assez puissant aux constructeurs du XIIIe siècle; ils eurent l'idée de rendre solidaires les deux arcs par une suite de rayons qui les réunissent, les étrésillonnent et leur donnent toute la résistance d'un mur plein, en leur laissant une grande légèreté. La cathédrale de Chartres nous donne un admirable exemple de ces sortes d'arcs-boutants (54). La construction de cet édifice présente dans toutes ses parties une force remarquable, les voûtes ont une épaisseur inusitée (0m,40 environ), les matériaux employés, lourds, rugueux, compactes, se prêtant peu aux délicatesses de l'architecture gothique de la première moitié du XIIIe siècle. Il était nécessaire, pour résister à la poussée de ces voûtes épaisses et qui n'ont pas moins de 15 mètres d'ouverture, d'établir des buttées énergiques, bien assises; aussi, fig. A, on observera que tout le système des arcs pénètre dans les contre-forts, s'y loge comme dans une rainure, que tous les joints de l'appareil sont normaux aux courbes, qu'enfin c'est une construction entièrement oblique destinée à résister à des pesanteurs agissant obliquement.

      Ce système d'étrésillonnement des arcs au moyen de rayons intermédiaires ne paraît pas toutefois avoir été fréquemment adopté pendant le XIIIe siècle; il est vrai qu'il n'y avait pas lieu d'employer des moyens aussi puissants pour résister à la poussée des voûtes, ordinairement fort légères, même dans les plus grandes églises ogivales. À la cathédrale de Reims les arcs-boutants sont doubles, mais indépendants l'un de l'autre; ils deviennent de plus en plus hardis vers le milieu du XIIIe siècle, alors que les piles sont plus grêles, les voûtes plus légères. Une fois le principe de la construction des églises gothiques admis, on en vint bientôt à l'appliquer dans ses conséquences les plus rigoureuses.

      Observant avec justesse qu'une voûte bien contre-buttée n'a besoin pour soutenir sa naissance que d'un point d'appui vertical très-faible comparativement à son poids, les constructeurs amincirent peu à peu les piles et reportèrent toute la force de résistance à l'extérieur, sur les contre-forts (voy. CONSTRUCTION). Ils évidèrent complètement les intervalles entre les piles, sous les formerets, par de grandes fenêtres à meneaux; ils mirent à jour les galeries au-dessous de ces fenêtres (voy. TRIFORIUM), et tout le système de la construction des grandes nefs se réduisit à des piles minces, rendues rigides par la charge, et maintenues dans un plan vertical par suite de l'équilibre établi entre la poussée des voûtes et la buttée des arcs-boutants.

      La nef et l'oeuvre haute du choeur de l'église de Saint-Denis, bâties sous saint Louis, nous donnent une des applications les plus parfaites de ce principe (55), que nous trouvons adopté au XIIIe siècle dans les choeurs des cathédrales de Troyes, de Sées, du Mans, et plus tard, au XIVe siècle, à Saint-Ouen de Rouen. Toute la science des constructeurs d'églises consistait donc alors à établir un équilibre parfait entre la poussée des voûtes d'une part, et la poussée des arcs-boutants de l'autre. Et il faut dire que s'ils n'ont pas toujours réussi pleinement dans l'exécution, les erreurs qu'ils ont pu commettre démontrent que le système n'était pas mauvais, puisque malgré des déformations effrayantes subies par quelques-uns de ces monuments, ils n'en sont pas moins restés debout depuis six cents ans, grâce à l'élasticité de ce mode de construction. Il faut ajouter aussi que dans les grands édifices bâtis avec soin, au moyen de ressources suffisantes et par des gens habiles, ces déformations ne se rencontrent pas, et l'équilibre des constructions a été maintenu avec une science et une adresse peu communes.

      La courbure des arcs-boutants varie suivant la courbure des arcs-doubleaux, le diamètre des arcs-boutants, leur épaisseur et l'épaisseur de la culée ou contre-fort.

      Ainsi les arcs-boutants primitifs sont généralement formés d'un quart de cercle (56), mais leurs claveaux sont épais et lourds, ils résistent à l'action de la poussée des voûtes par leur poids, et venant s'appuyer au droit de cette poussée, ils ajoutent sur les piles A une nouvelle charge à celle des voûtes; c'est une pesanteur inerte venant neutraliser une poussée oblique.

      Quand on comprit mieux la véritable fonction des arcs-boutants, on vit qu'on pouvait, comme nous l'avons dit déjà, opposer à la poussée oblique une résistance oblique et non-seulement ne plus charger les piles A d'un surcroît de poids, mais même les soulager d'une partie du poids des voûtes. D'ailleurs on avait pu observer que les arcs-boutants étant tracés suivant un quart de cercle, se relevaient au point B, lorsque la poussée des voûtes était considérable et que le poids des claveaux des arcs n'était pas exactement calculé de manière à conserver leur courbure. Dès lors les arcs-boutants furent cintrés sur une portion de cercle dont le centre était placé en dedans des piles des nefs (57), ils remplissaient ainsi la fonction d'un étai, n'opposaient plus une force passive à une force active, mais venaient porter une partie du poids de la voûte, en même temps qu'ils maintenaient son action latérale, ils déchargeaient d'autant les piles A.

      Si par une raison d'économie, ou faute de place, les culées C ne pouvaient avoir une grande épaisseur, les arcs-boutants devenaient presque des piles inclinées, très-légèrement cintrées, opposant aux poussées une résistance considérable, et reportant cette poussée presque verticalement sur les contre-forts. On voit des arcs-boutants ainsi construits dans l'église Notre-Dame de Semur en Auxois (58), monument que nous citerons souvent à cause de son exécution si belle et de l'admirable entente de son mode de construction. Toutefois des arcs-boutants ainsi construits ne pouvaient maintenir que des voûtes d'une faible portée (celles de Notre-Dame de Semur n'ont que 8 mètres d'ouverture) et dont la poussée se rapprochait de la verticale par suite de l'acuité des arcs-doubleaux, car ils se seraient certainement déversés en pivotant sur leur sommier D, si les arcs-doubleaux se rapprochant du plein cintre eussent eu par conséquent la propriété de pousser suivant un angle voisin de 45 degrés. Dans ce cas, tout en cintrant les arcs-boutants sur un arc d'un très-grand rayon, et d'une courbure peu sensible par conséquent, on avait le soin de les charger puissamment au-dessus de leur naissance, près de la culée, pour éviter le déversement. Ce système a été adopté dans la construction des immenses arcs-boutants de Notre-Dame de Paris, refaits au XIVe siècle (59). Ces arcs prodigieux, qui n'ont pas moins de 15 mètres de rayon, furent élevés par suite de dispositions tout exceptionnelles (voy. CATHÉDRALE); c'est là un fait unique.

      Tous les exemples que nous venons de donner ne reproduisent que des arcs-boutants simples ou doubles d'une seule volée; mais dans les choeurs des grandes cathédrales, par exemple, ou dans les nefs des XIIIe, XIVe et XVe siècles bordées de doubles bas côtés, ou de bas côtés et de chapelles communiquant entre elles, il eût fallu établir des arcs-boutants d'une trop grande portée pour franchir ces espaces s'ils eussent été s'appuyer sur les contre-forts extérieurs, ou ces contre-forts auraient dû alors prendre un terrain considérable en dehors des édifices. Or nous ne devons pas oublier que le terrain était chose à ménager dans les villes du moyen âge. Nous le répétons,


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