Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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voyageurs passent indifférents au milieu de leurs rues neuves, n'accordant pas même un regard au frontispice à colonnes du palais de justice, ou à la façade de l'hôpital nouveau que l'on confond volontiers avec une caserne.

      La disposition des lits de l'hôpital de Tonnerre, logés chacun dans une cellule avec galerie de service supérieure, mérite de fixer notre attention. Chaque malade, en étant soumis à une surveillance d'autant plus facile qu'elle s'exerçait de la galerie, se trouvait posséder une véritable chambre. Il profitait du cube d'air énorme que contient la salle et recevait du jour par les fenêtres latérales; sa tête étant placée du côté du mur et abritée par la saillie du balcon, il ne pouvait être fatigué par l'éclat de la lumière. On objectera peut-être que la ventilation de ces cellules était imparfaite; mais la salle ne contenant que quarante lits, les fenêtres latérales pouvant être ouvertes, et le vaisseau étant fort élevé, ventilé par les trous percés dans le lambrissage de la charpente, on peut admettre que les conditions de salubrité étaient bonnes.

      Pour faire saisir à nos lecteurs la disposition des cellules et des galeries de surveillance, nous présentons(8) une vue perspective d'une des travées de la salle.

      Les fenêtres de la galerie étaient garnies de vitraux en grisaille, celles du sanctuaire en vitraux colorés. Une longue flèche en charpente surmontait ce sanctuaire; elle était couverte de plomberie peinte et dorée, et ne fut détruite qu'en 1793. Toute la charpente de la salle est couverte en tuiles vernies avec faîtières en terre cuite émaillée.

      Par l'escalier carré pratiqué vers le nord, à côté de l'une des deux chapelles du chevet, on arrivait à une salle voûtée bâtie au-dessus de cette chapelle, et servant autrefois, comme encore aujourd'hui, de trésor et de chartrier. Le tympan de la porte principale s'ouvrant sous le porche du côté de la rue était décoré d'un bas-relief représentant le Jugement dernier, dont il existe encore quelques fragments 64.

      Tous ceux qui s'intéressent quelque peu à nos anciens édifices ont visité le charmant Hôtel-Dieu de Beaune, fondé en 1443 par Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne. Cet établissement est à peu près tel que le XVe siècle nous l'a laissé, bien qu'il soit construit, en grande partie, en bois. Il se compose de trois corps de logis élevés autour d'une cour quadrangulaire. Dans le bâtiment qui donne sur la rue est placée la grande salle, avec sa chapelle à l'extrémité, la porterie et quelques pièces voûtées destinées aux provisions. Les deux autres corps de logis, devant lesquels passe une galerie à deux étages, contiennent le noviciat des soeurs, trois salles, la cuisine et la pharmacie. De grands gâbles en charpente, vitrés, donnent du jour dans les salles par-dessus les galeries du dehors, tandis que l'aération se fait par les galeries mêmes et par les faces opposées (voy. l'Architecture civile et domestique de MM. Verdier et Cattois, t. I). La cour de cet établissement, d'un aspect riant, bien proportionnée, contenant encore son puits du XVe siècle, son lavoir et sa chaire, donnerait presque envie de tomber malade à Beaune. La porte sur la rue est protégée par un auvent en charpente couvert en ardoise (voy. AUVENT).

      Nous donnons (9) le plan de l'Hôtel-Dieu de Beaune, et (10) la vue de l'angle de la cour du côté de l'escalier principal desservant les deux étages. En A (voy. le plan) est l'entrée; en B, un passage de service; en C, la grande salle lambrissée 65 avec sa chapelle D, maintenant séparée de la salle; en E, le réfectoire des soeurs et le salon de la supérieure; en F, les salles aux provisions; en G, le noviciat des soeurs; en H, des salles de malades; en I, un passage donnant sur un jardin; en K, la cuisine, et en L la pharmacie; le puits est placé en O, la chaire en M, et le lavoir en P.

      Examinons maintenant un de ces établissements plus modestes qui, éloignés des grands centres, voisins de quelque abbaye ou de quelque prieuré, étaient si fort répandus sur le sol français au moyen âge. Entrons dans la maladrerie dite du Tortoir, non loin de la route qui mène de Laon à la Fère (Aisne). Nous allons retrouver là les curieuses dispositions intérieures de l'hôpital de Tonnerre. La maladrerie du Tortoir date, croyons-nous, de la première moitié du XIVe siècle 66.

      L'ensemble de l'établissement, compris dans un carré, contient encore trois bâtiments de l'époque de la construction (11). A, la salle des malades; B, une chapelle; C, un corps de logis à deux étages, pour les religieux probablement et pour la cuisine. Les autres bâtiments qui existent aujourd'hui dans l'enceinte sont d'une époque assez récente. Occupons-nous de cette salle A. Ses deux extrémités sont fermées par deux pignons avec cheminées. Sur le préau, à l'intérieur de l'enceinte, s'ouvre une large porte, avec guichet à côté; sur cette face, pas d'autres ouvertures que deux fenêtres relevées. Devant cette large porte était suspendu un appentis très-saillant (si l'on en juge par ses amorces et les entailles de la charpente), qui servait d'abri aux chariots amenant les malades. Pour l'usage ordinaire, on se contentait de passer par la petite porte. Sur les dehors, au contraire, cette salle de malades était percée de deux rangs de larges fenêtres disposées de telle façon que celles du bas éclairaient des cellules en bois, semblables à celles de l'hôpital de Tonnerre, et celles du haut s'ouvraient sur une galerie, à laquelle on montait par un escalier ménagé dans la travée I (voy. le plan) dépourvue de fenêtre. À Tonnerre, l'intervalle entre chaque cloison est de 2 toises (3m,95); même espace entre les axes des contre-forts de la salle du Tortoir (voy., fig. 12, un angle de la face de la salle du côté extérieur).

      En supposant les cloisons des cellules de la même profondeur que celles de l'hôpital de Tonnerre, et plaçant sept cloisons dans l'axe de chaque contre-fort, la salle ayant dix mètres de large, il restait six mètres pour la circulation du côté de l'entrée, en dehors des cellules (voy. le plan), et on pouvait placer sept lits dans celles-ci, l'escalier de la galerie prenant la place d'une cellule. Or ce nombre de sept lits est très-fréquemment admis dans ces petits établissements de charité. Si nous nous rappelons que les maladreries étaient spécialement réservées aux malheureux affectés de maladies contagieuses, et que des précautions minutieuses étaient prises non-seulement pour les séparer des populations, mais aussi pour les isoler entre eux, nous comprendrons ici cette disposition des cellules avec fenêtres, qui permettaient à ces pauvres gens de voir la campagne et de se réchauffer aux premiers rayons du soleil, car ces fenêtres donnent au levant. Elles étaient d'ailleurs munies de volets à l'intérieur, de manière à éviter la trop grande chaleur. Un chemin de ronde avec mâchicoulis réunissait les bâtiments et était mis en communication, par des portes percées dans les pignons, avec la galerie intérieure. Un fossé entourait l'enceinte, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant les soubassements extérieurs de la grande salle. On n'arrivait au sommet des quatre tourelles que par la galerie et des échelles posées dans ces tourelles servant d'échauguettes.

      Le moyen âge montrait donc dans la composition de ces établissements de bienfaisance l'esprit ingénieux qu'on lui accorde dans la construction des monuments religieux. C'est un singulier préjugé, en effet, de vouloir que ces architectes eussent été si subtils lorsqu'il s'agissait d'élever des églises, et en même temps si grossiers lorsqu'il fallait élever des édifices civils. Ce n'est pas leur faute si l'on a détruit, depuis le XVIe siècle, la plupart de ces établissements de bienfaisance divisés à l'infini, mais généralement bien disposés d'ailleurs, pour les remplacer par des hôpitaux dans lesquels, au contraire, on a cherché, peut-être à tort, à concentrer le plus grand nombre de malades possible. Louis XIV, le grand niveleur de toute chose et de tout état en France, a gratifié les hôpitaux élevés sous son règne des biens de ces nombreuses maladreries et léproseries qui n'avaient plus guère de raison d'exister, puisque, de son temps, il n'y avait pas de lépreux à soigner; mais ce n'est pas à


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<p>64</p>

C'est à M. Lefort, architecte à Sens, que nous devons un relevé minutieux de cette grande salle de l'hôpital de Tonnerre. M. Lefort a eu l'obligeance de mettre tous ses dessins à notre disposition.

<p>65</p>

Un plafond a été établi sous la voûte en bardeau et a détruit l'aspect grandiose de cette salle.

<p>66</p>

Voy. l'Archit. civ. et domest. de MM. Verdier et Cattois, t. II, p. 107.