Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Читать онлайн книгу.autres services, leur peu de communications directes avec les défenses, le voisinage de vastes caves ou magasins propres à contenir des vivres, des armes, etc.
Ces salles basses sont en effet ouvertes sur la cour du château, mais ne communiquent aux défenses que par les dehors ou par des postes, c'est-à-dire par des escaliers passant dans des tours. Ainsi le seigneur avait-il moins à craindre la trahison de ces soldats d'aventure, puisqu'ils ne pouvaient arriver aux défenses que commandés et sous la surveillance de capitaines dévoués. À plus forte raison, les occupants de ces salles basses ne pouvaient-ils pénétrer dans le donjon que s'ils y étaient appelés. Dès la fin du XIIIe siècle, ces dispositions sont déjà apparentes, quoique moins bien tracées que pendant les XIVe et XVe siècles. Cela s'explique. Jusqu'à la fin du XIIIe siècle, le régime féodal, tout en s'affaiblissant, avait encore conservé la puissance de son organisation. Les seigneurs pouvaient s'entourer d'un nombre d'hommes sûrs, assez considérable pour pouvoir se défendre dans leurs châteaux; mais à dater du XIVe siècle, les liens féodaux tendent à se relâcher, et les seigneurs possédant de grands fiefs sont obligés, en cas de guerre, d'avoir recours aux soldats mercenaires. Les vassaux, les hommes liges mêmes, les vavasseurs, les villages ou bourgades, rachètent à prix d'argent le service personnel qu'ils doivent au seigneur féodal; et celui-ci, qui, en temps de paix, trouvait un avantage à ces marchés, en cas de guerre, se voyait obligé d'enrôler ces troupes d'aventuriers qui, à dater de cette époque, n'ont d'autre métier que de louer leurs services, et qui deviennent un fléau pour le pays, si les querelles entre seigneurs s'éteignent. Pendant le temps de calme qui permit à la France de respirer, sous Charles V, après les désastres du milieu du XIVe siècle, ces troupes devinrent un si gros embarras, que le sage roi ne trouva rien de mieux que de les placer sous le commandement de du Guesclin, pour les emmener en Espagne, contre don Pedro.
À l'époque où l'on éleva la grand'salle du château de Montargis, l'état féodal n'en était pas arrivé à cette extrémité fâcheuse de recruter ses défenseurs parmi ce ramassis de routiers, et déjà, cependant, on voit que la salle basse est isolée, n'ayant d'issues que sur la cour, sans communications directes avec les défenses. Nous verrons comment, dans des châteaux plus récents, cette disposition fut plus nettement accusée, et quelles sont les précautions prises par les seigneurs féodaux pour tenir ces troupes de mercenaires sous une surveillance constante.
Avant d'en venir à donner des exemples de ces dispositions toutes particulières, nous devons, en suivant l'ordre chronologique, parler ici de la grand'salle du palais de Paris, bâtie sous Philippe le Bel, par Enguerrand de Marigny, comte de Longueville. De cette salle, la plus grande du royaume de France, il reste aujourd'hui l'étage inférieur, des plans, et une précieuse gravure de du Cerceau, non terminée, dont on ne possède qu'un très-petit nombre d'épreuves. Cet étage inférieur est voûté sur trois rangs de piliers, ceux du milieu plus robustes, pour supporter l'épine de l'étage supérieur.
Nous donnons (fig. 5) le plan du premier étage au-dessus du rez-de-chaussée voûté. En A, était le grand perron qui, de la cour du May, donnait entrée dans cette salle. En B, s'élevait une galerie accolée à la salle du côté du midi, laquelle communiquait à une sorte de vestibule C, d'où l'on entrait soit dans la grand'salle, soit dans les galeries D, bâties de même par Enguerrand de Marigny. Deux escaliers à vis E mettaient en outre la galerie basse voûtée en communication avec la galerie haute. Bien que la grand'salle haute eût été rebâtie après l'incendie de 1618, par l'architecte de Brosse, ces dispositions de galeries existaient encore presque entières en 1777, ainsi que le constatent deux dessins provenant de la collection de M. de Monmerqué, et qui ont été reproduites en fac-simile par Lassus. En effet, ces dessins exécutés pendant les démolitions, laissent voir la porte G, tout l'ouvrage C, les deux tourelles E, la galerie D d'Enguerrand, et le perron A. Par la galerie D on arrivait de plain-pied au porche supérieur de la sainte Chapelle 42.
La grand'salle proprement dite a 70m,50 de long sur 27m,50 de large dans oeuvre. Par la porte F, on entrait dans la salle dorée, bâtie sous Louis XII; la grand'chambre du parlement, où le roi tenait son lit de justice 43. Les escaliers à vis H montaient de fond; ceux I ne commençaient qu'au premier étage, pour monter aux combles. Quatre cheminées, K, chauffaient cet immense vaisseau. En L, était la fameuse table de marbre 44, et en M une chapelle bâtie par Louis XI. Adossée à chacun des piliers était une statue des rois de France, depuis Pharamond.
Nous donnons (fig. 6) la coupe de la grand'salle du palais, faite sur ab. De grandes fenêtres s'ouvraient dans les quatre pignons, et latéralement d'autres fenêtres pourvues de meneaux, mais dont les alléges se relevaient plus ou moins, suivant la hauteur des bâtiments accolés, éclairaient largement les deux nefs lambrissées en berceau, avec en traits et poinçons apparents.
Ces lambris, ainsi que les piliers et statues des rois, étaient peints et dorés 45. Corrozet 46 nous a conservé le catalogue des rois dont les effigies décoraient les piliers isolés ou adossés.
Des supports avaient été réservés pour les successeurs de Philippe le Bel, puisque ce même Corrozet nous donne quarante-deux noms jusqu'à ce prince, et depuis, onze rois dont les statues ont été posées après la construction de la salle. Il annonce en outre que les statues des rois François Ier, Henri II, François II et Charles IX doivent être prochainement montées sur leurs supports vides. Il y avait donc place pour cinquante-sept statues. En effet, nous trouvons cinquante-cinq supports. Louis XI ayant fait enlever deux de ces statues pour les loger aux deux côtés de la chapelle élevée par lui, Charlemagne et saint Louis, le nombre donné par Corrozet est conforme aux indications du plan, car on observera qu'il n'existait pas de statues aux deux angles O, non plus que sur le trumeau de la porte G. Des bancs de pierre étaient disposés latéralement dans les renfoncements formés par les alléges des fenêtres. Notre figure 6 donne en A une travée double le long des murs de la salle, et en B une travée des piliers de l'épine.
La salle du palais de Paris était élevée d'après un programme qui ne touchait en rien à la défense de la place. Lorsqu'elle fut bâtie, en effet, il n'était plus question de considérer le palais comme un château fortifié propre à la défense. Le palais n'était plus au XIVe siècle qu'une demeure souveraine et le siége du parlement. Cependant les dispositions féodales sont encore apparentes ici; la salle basse conserve sa disposition secondaire, n'ayant de communication qu'avec les cours, tandis que de la salle haute on pouvait se rendre aux galeries, à la sainte Chapelle et aux appartements.
Mais si nous jetons les yeux sur le plan de la grand'salle du château de Coucy, salle qui fut reconstruite par Louis d'Orléans pendant les premières années du XVe siècle, nous voyons que le programme du château féodal est ici rigoureusement rempli. La salle basse n'est nullement en communication avec les défenses, tandis que la salle haute donne à la fois accès à tous les grands appartements, à la chapelle, aux tours et fronts de la défense (voy. CHÂTEAU, fig. 16 et 17).
Ce même programme est rempli encore d'une manière plus complète dans le château de Pierrefonds, construit d'un seul jet par ce prince et suivant des dispositions très-arrêtées. À Coucy, Louis d'Orléans avait dû conserver des tours et courtines anciennes et tout un système de défense du commencement du XIIIe siècle, fort bien entendu et complet. À Pierrefonds, il avait carte blanche, et ce château s'éleva sur les données admises à cette époque pour un château qui était à la fois une demeure princière, une habitation commode et une place importante au point de vue de la défense. Aussi la grand'salle du château de Pierrefonds nous paraît-elle résumer le programme complet de ces vastes vaisseaux.
Le bâtiment qui renferme la grand'salle du château de Pierrefonds occupe le côté occidental du parallélogramme formant le périmètre de cette résidence seigneuriale.
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Les bâtiments modernes existant aujourd'hui ont d'ailleurs élevés sur les anciennes fondations.
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Ce fut en 1550 que fut percée la porte F, ainsi que le rapporte Corrozet (
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«À l'autre bout de la salle (opposé à celui où était la chapelle), dit Sauval, étoit dressée une table qui en occupoit presque toute la largeur, et qui de plus portoit tant de longueur, de larguer et d'épaisseur, qu'on tient que jamais il n'y a eu de tranches de marbre plus épaisses, plus larges ni plus longues. Elle servoit à deux usages bien contraires: pendant deux ou trois cents ans, les clercs de la basoche n'ont point eu d'autre théâtre pour leurs farces et leurs momeries; et cependant c'étoit le lieu où se faisoient les festins royaux, et où l'on n'admettoit que les empereurs, les rois, les princes du sang, les pairs de France et leurs femmes, tandis que les autres grands seigneurs mangeoient à d'autres tables.» Maître Henri Baude, poëte du XVe siècle, décrit ainsi les environs de la table de marbre de la grand'salle du palais:
Ce «vieil cerf» était un modèle de bois d'un cerf qui devait être fait en or fin pour le trésor du roi, lequel modèle avait été déposé dans la grand'salle. Quant à la «grand lizarde», c'était probablement un crocodile empaillé déposé dans le même lieu, comme objet de curiosité. La table de marbre était, semble-t-il, revêtue d'une estrade de bois, destinée aux «momeries» des clercs de la basoche.
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Voyez Sauval, t. II, p. 3.
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