Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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en guerrier qu'en politique.

      Quand les Anglais furent en possession de la Guyenne, ils suivirent avec méthode ce principe de défense, et tous les châteaux qu'ils ont élevés dans cette contrée ont, indépendamment de leur force particulière, une assiette choisie au point de vue stratégique. Nous trouvons en Bourgogne l'influence de la même pensée. Nulle contrée peut-être ne présentait un système de défense solidaire plus marqué. Les cours d'eau, les passages, sont hérissés d'une suite de châteaux ou postes dont l'emplacement est merveilleusement choisi, tant pour la défense locale que pour la défense générale contre une invasion. Ces points fortifiés se donnent la main comme le faisaient nos tours de télégraphes aériens; et la preuve en est que la plupart de ces postes télégraphiques, en Bourgogne, s'établirent sur les restes des forteresses des XIIIe et XIVe siècles. Considérant donc les châteaux à ce point de vue, on comprend l'importance des tours dont nous nous occupons; elles constituaient une défense sérieuse par elles-mêmes, et assuraient d'autant mieux ainsi la communication entre les garnisons féodales, leur action commune. Il importait surtout, si l'un de ces châteaux était pris par trahison ou par un coup de main, que des hommes dévoués pussent tenir encore quelques jours ou seulement quelques heures dans ces réduits, du haut desquels il était facile de communiquer, par signaux, avec les forteresses les plus rapprochées; car, alors, les garnisons voisines pouvaient, à leur tour, envahir la place tombée et mettre l'agresseur dans la plus fâcheuse position. C'est ce qui arrivait fréquemment. En France, les cours d'eau ont un développement considérable, les bassins sont parfaitement définis; il s'établissait ainsi forcément, par la configuration même du terrain, de longues lignes de forteresses solidaires qui préparaient merveilleusement l'unité d'action en un moment donné. Ce sont là des vues qui nous semblent n'avoir pas été suffisamment appréciées dans l'histoire de notre pays, et qui expliqueraient en partie certains phénomènes politiques que l'on énonce trop souvent sans en rechercher les causes diverses. Mais toute notre histoire féodale est à faire, et, pour l'écrire, il serait bon, une fois pour toutes, de laisser de côté ces lieux communs sur les abus du régime féodal. Il est bien certain que nous ne pourrons posséder une histoire de notre pays que du jour où nous cesserons d'apprécier notre passé avec les partis pris qui nous troublent l'entendement, du jour où nous saurons appliquer à cette étude l'esprit d'analyse et de méthode que notre temps apporte dans l'observation des phénomènes naturels, du jour, enfin, où nous comprendrons que l'histoire n'est pas un réquisitoire ou un plaidoyer, mais un procès-verbal fidèle et impartial dressé pour éclairer des juges, non pour faire incliner leur opinion vers tel ou tel système.

      Mais laissons là ces considérations un peu trop générales relativement à l'objet qui nous occupe, et revenons à nos tours.

      Parmi ces tours de la Bourgogne dont la destination est bien marquée, c'est-à-dire qui servaient à la fois de réduits au besoin et de postes d'observation, il faut citer la tour de Montbard, du sommet de laquelle on aperçoit la tour du petit château qui domine le village de Rougemont, sur la Brenne, et le château de Montfort, qui, par une suite de postes, mettait Montbard en communication avec le château de Semur en Auxois, sur l'Armançon.

      Montbard était un point très-fort; le château occupait un large mamelon escarpé, de roches jurassiques, à la jonction de trois vallées. De ce château il ne reste que l'enceinte, et la grosse tour à six pans, qui occupe un angle de cette enceinte au point culminant, de telle sorte qu'elle donne directement sur les dehors, au-dessus de roches abruptes.

      La figure 46 donne les plans de cette tour, qui date de la fin du XIIIe siècle. Le rez-de-chaussée A se compose d'une salle dans laquelle on n'entre que par la porte a, percée au niveau du sol du terre-plein; en b et c sont les deux courtines. L'angle d profite d'une saillie du rocher et contient des latrines. Un caveau est creusé dans le roc, au-dessous de cette salle; son orifice est en e. La salle basse est éclairée par deux fenêtres et possède une meurtrière sur les dehors; elle est voûtée en arcs d'ogive et n'est pas mise en communication avec les étages supérieurs. On ne peut pénétrer dans la salle du premier étage que par les chemins de ronde des courtines (voyez en B). L'angle g est couvert par un talus de pierre; puis, à partir de ce niveau, un pan coupé h correspond au pan coupé i. Le pan coupé h est porté sur l'arc inférieur j. La salle du premier étage est éclairée par deux fenêtres donnant sur les dehors. Un escalier, pratiqué dans l'épaisseur du mur, du côté du terre-plein, monte au deuxième étage, semblable en tout au troisième, dont nous donnons le plan (voyez en C). Ce troisième étage possède trois fenêtres et deux armoires k qui n'existent pas dans l'étage du dessous, à cause du passage de l'escalier. Ces pièces sont voûtées comme le rez-de-chaussée.

      Un escalier à vis monte à la plate-forme, dont nous donnons le plan figure 47. Cette plate-forme est défendue par un crénelage, et, sur chaque face, par un mâchicoulis avec meurtrière 126.

      La figure 48 donne la coupe de cet ouvrage sur la ligne op. Des pinacles, dressés sur le crénelage supérieur, font reconnaître au loin le sommet de la tour. Le couronnement du donjon de Coucy présente une disposition analogue 127. Ces pinacles pouvaient d'ailleurs faciliter l'intelligence des signaux, puisqu'une bannière posée au droit de tel pinacle indiquait un mouvement de l'ennemi, ou les dispositions prises par la garnison, ou la nature des secours qu'elle attendait.

      La porte A de l'étage inférieur était masquée par le terre-plein du château, dont le niveau s'élevait au-dessus de son linteau. Les défenseurs préposés à la garde de la tour, postés dans les étages supérieurs, commandaient les deux courtines, et tous les efforts d'un assaillant qui, après s'être emparé du château, aurait cherché à pénétrer dans l'étage inférieur de la tour,--ce qui était difficile, puisque sa porte est percée dans un angle rentrant,--n'auraient abouti qu'à le faire tomber dans une véritable souricière, puisque cet étage n'a pas de communication avec les salles supérieures. D'ailleurs, un mâchicoulis est directement placé au-dessus de cette porte et en rendait l'accès fort périlleux. Si, du dehors, l'assaillant, au moyen d'échelles, gravissant le rocher à pic sur lequel la tour est bâtie, parvenait à attacher le mineur au pied de cette tour et pénétrait dans la salle du rez-de-chaussée,--opération qui n'était guère praticable,--il n'était pas pour cela maître de l'ouvrage. Ici le système angulaire est adopté pour le plan de la tour, conformément à la méthode admise vers la fin du XIIIe siècle pour les tours-réduits couronnées par des plates-formes, particulièrement dans les provinces méridionales. Cette configuration se prêtait mieux au logement des hommes et aux dispositions d'habitation que la forme circulaire; elle donnait des faces inabordables, et l'on comptait sur la force passive des saillants pour résister aux attaques. Ceux-ci étaient d'ailleurs flanqués par des échauguettes supérieures, ou, vers le milieu du XIVe siècle, dominés par des mâchicoulis.

      C'est en 1318 que l'archevêque Gilles Ascelin construisit la grosse tour quadrangulaire du palais archiépiscopal de Narbonne. Cet ouvrage est un réduit, en même temps qu'il commande la place de la ville, les quais de l'ancien port, les rues principales et tous les alentours. Bâti à l'angle aigu formé par les bâtiments d'habitation, il peut être isolé, puisqu'il n'avait, avec ces corps de logis, aucune communication directe 128. Cette tour renferme quatre étages et une plate-forme ou place d'armes, en contre-bas du crénelage, bien abritée du vent, terrible en ce pays, et pouvant contenir une masse considérable de projectiles. Trois échauguettes flanquent, au sommet de la tour, les angles vus, et le quatrième angle, qui est engagé dans le palais, contient l'escalier couronné par une guette.

      Voici (fig. 49) les plans de cette tour, en A, au niveau du sol extérieur, et en B, au niveau du premier


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<p>126</p>

Voyez MÂCHICOULIS, fig. 6 et 7.

<p>127</p>

Beaucoup de ces tours étaient couronnées de pinacles isolés les uns des autres.

<p>128</p>

Voyez le plan du palais archiépiscopal de Narbonne à l'article PALAIS, fig. 11, 12 et 13.