Le parfum de la Dame en noir. Гастон Леру
Читать онлайн книгу.s'était laissé choir sur une chaise. C'est d'une voix presque tremblante qu'il me confia à son tour qu'il n'avait cru réellement à sa mort qu'une fois la cérémonie du mariage terminée. Il ne pouvait entrer dans l'esprit du jeune homme que Larsan eût laissé s'accomplir l'acte qui donnait Mathilde Stangerson à M. Darzac, s'il avait été encore vivant. Larsan n'avait qu'à se montrer pour empêcher le mariage; et, si dangereuse qu'eût été, pour lui, cette manifestation, il n'eût point hésité à se livrer, connaissant les sentiments religieux de la fille du professeur Stangerson, et sachant bien qu'elle n'eût jamais consenti à lier son sort à un autre homme, du vivant de son premier mari, se trouvât-elle même délivrée de celui-ci par la loi humaine? En vain eût-on invoqué auprès d'elle la nullité de ce premier mariage au regard des lois françaises, il n'en restait pas moins qu'un prêtre avait fait d'elle la femme d'un misérable, pour toujours!
Et Rouletabille, essuyant la sueur qui coulait de son front, ajoutait:
«Hélas! rappelez-vous, mon ami… aux yeux de Larsan "le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat"!»
Je mis ma main sur la main de Rouletabille. Il avait la fièvre. Je voulus le calmer, mais il ne m'entendait pas:
– Et voilà qu'il aurait attendu après le mariage, quelques heures après le mariage, pour apparaître, s'écria-t-il. Car, pour moi, comme pour vous, Sainclair, n'est-ce pas? la dépêche de M. Darzac ne signifierait rien si elle ne voulait pas dire que l'autre est revenu.
– Évidemment!… Mais M. Darzac a pu se tromper!…
– Oh! M. Darzac n'est pas un enfant qui a peur… cependant, il faut espérer, il faut espérer, n'est-ce pas, Sainclair? Qu'il s'est trompé!… Non, non! ça n'est pas possible, ce serait trop affreux!… trop affreux… Mon ami! Mon ami!… oh! Sainclair, ce serait trop terrible!…»
Je n'avais jamais vu, même au moment des pires événements du Glandier, Rouletabille aussi agité. Il s'était levé, maintenant… il marchait dans la chambre, déplaçait sans raison des objets, puis me regardait en répétant: «Trop terrible!… trop terrible!»
Je lui fis remarquer qu'il n'était point raisonnable de se mettre dans un état pareil, à la suite d'une dépêche qui ne prouvait rien et pouvait être le résultat de quelque hallucination… Et puis, j'ajoutai que ce n'était pas dans le moment que nous allions sans doute avoir besoin de tout notre sang-froid, qu'il fallait nous laisser aller à de semblables épouvantes, inexcusables chez un garçon de sa trempe.
«Inexcusables!… Vraiment, Sainclair… inexcusables!…
– Mais, enfin, mon cher… vous me faites peur!… que se passe- t-il?
– Vous allez le savoir… La situation est horrible… Pourquoi n'est-il pas mort?
– Et qu'est-ce qui vous dit, après tout, qu'il ne l'est pas.
– C'est que, voyez-vous, Sainclair… Chut!… Taisez-vous… Taisez-vous, Sainclair!… C'est que, voyez-vous, s'il est vivant, moi, j'aimerais autant être mort!
– Fou! Fou! Fou! c'est surtout s'il est vivant qu'il faut que vous soyez vivant, pour la défendre, elle!
– Oh! oh! c'est vrai! Ce que vous venez de dire là, Sainclair!…
C'est très exactement vrai!… Merci, mon ami!… Vous avez dit le seul mot qui puisse me faire vivre: «Elle!» Croyez-vous cela!…
Je ne pensais qu'à moi!… Je ne pensais qu'à moi!…»
Et Rouletabille ricana, et, en vérité, j'eus peur, à mon tour, de le voir ricaner ainsi et je le priai, en le serrant dans mes bras, de bien vouloir me dire pourquoi il était si effrayé, pourquoi il parlait de sa mort à lui, pourquoi il ricanait ainsi…
«Comme à un ami, comme à ton meilleur ami, Rouletabille!… Parle, parle! Soulage-toi!… Dis-moi ton secret! Dis-le moi, puisqu'il t'étouffe!… Je t'ouvre mon coeur…»
Rouletabille a posé sa main sur mon épaule… Il m'a regardé jusqu'au fond des yeux, jusqu'au fond de mon coeur, et il m'a dit:
«Vous allez tout savoir, Sainclair, vous allez en savoir autant que moi, et vous allez être aussi effrayé que moi, mon ami, parce que vous êtes bon, et que je sais que vous m'aimez!»
Là-dessus, comme je croyais qu'il allait s'attendrir, il se borna à demander l'indicateur des chemins de fer.
«Nous partons à une heure, me dit-il, il n'y a pas de train direct entre la ville d'Eu et Paris, l'hiver; nous n'arriverons à Paris qu'à sept heures. Mais nous aurons grandement le temps de faire nos malles et de prendre, à la gare de Lyon, le train de neuf heures pour Marseille et Menton.»
Il ne me demandait même pas mon avis; il m'emmenait à Menton comme il m'avait emmené au Tréport; il savait bien que dans les conjonctures présentes je n'avais rien à lui refuser. Du reste, je le voyais dans un état si anormal que, n'eût-il point voulu de moi, je ne l'aurais pas quitté. Et puis, nous entrions en pleines vacations et mes affaires du palais me laissaient toute liberté.
«Nous allons donc à la ville d'Eu? demandai-je.
– Oui, nous prendrons le train là-bas. Il faut une demi-heure à peine pour aller en voiture du Tréport à Eu…
– Nous serons restés peu de temps dans ce pays, fis-je.
– Assez, je l'espère… assez pour ce que je suis venu y chercher, hélas!…»
Je pensai au parfum de la Dame en noir, et je me tus. Ne m'avait- il point dit que j'allais tout savoir. Il m'emmena sur la jetée. Le vent était encore violent et nous dûmes nous abriter derrière le phare. Il resta un instant songeur et ferma les yeux devant la mer.
«C'est ici, finit-il par dire, que je l'ai vue pour la dernière fois.»
Il regarda le banc de pierre.
«Nous nous sommes assis là; elle m'a serré sur son coeur. J'étais un tout petit enfant; j'avais neuf ans… elle m'a dit de rester là, sur ce banc, et puis elle s'en est allée et je ne l'ai plus jamais revue… C'était le soir… un doux soir d'été, le soir de la distribution des prix… Oh! elle n'avait pas assisté à la distribution, mais je savais qu'elle viendrait le soir… un soir plein d'étoiles et si clair que j'ai espéré un instant distinguer son visage. Cependant, elle s'est couverte de son voile en poussant un soupir. Et puis elle est partie. Je ne l'ai plus jamais revue.
– Et vous, mon ami?
– Moi?
– Oui; qu'avez-vous fait? Vous êtes resté longtemps sur ce banc?…
– J'aurais bien voulu… Mais le cocher est venu me chercher et je suis rentré…
– Où?
– Eh bien, mais… au collège…
– Il y a donc un collège au Tréport?
– Non pas, mais il y en a un à Eu… Je suis rentré au collège d'Eu…»
Il me fit signe de le suivre.
«Nous y allons, dit-il… Comment voulez-vous que je sache ici?…
Il y a eu trop de tempêtes!…»
Une demi-heure plus tard nous étions à Eu. Au bas de la rue des marronniers, notre voiture roula bruyamment sur les pavés durs de la grande place froide et déserte, pendant que le cocher annonçait son arrivée en faisant claquer son fouet à tour de bras, remplissant la petite ville morte de la musique déchirante de sa lanière de cuir.
Bientôt, on entendit, par-dessus les toits, sonner une horloge – celle du collège, me dit Rouletabille – et tout se tut. Le cheval, la voiture, s'étaient immobilisés sur la place. Le cocher avait disparu dans un cabaret. Nous entrâmes dans l'ombre glacée de la haute église gothique qui bordait, d'un côté, la grand'place. Rouletabille jeta un coup d'oeil sur le château dont on apercevait l'architecture de briques roses couronnées de vastes toits Louis XIII, façade morne qui semble pleurer ses