Le Rideau levé; ou l'Education de Laure. Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau

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Le Rideau levé; ou l'Education de Laure - Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau


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Gabriel de Riqueti Mirabeau

      Le Rideau levé; ou l'Education de Laure

      LETTRE DE SOPHIE AU CHEVALIER D'OLZAN

      Je t'envoie, cher Chevalier, un petit manuscrit gaillard.

      Tu aurais de la peine à t'imaginer où je l'ai pris. C'est une bagatelle sortie d'une jolie main de mon sexe; et c'est un délassement badin adressé dans un cloître. Comment un tel bréviaire se put-il introduire parmi les guimpes d'une religieuse? C'est ce que mes yeux eurent de la peine à me persuader; rien n'est cependant plus vrai, cher Chevalier, et c'était un présent digne de sa destination. L'amour n'est point étranger dans ces lieux; le sentiment constitue le naturel du beau sexe; la sensibilité forme la principale partie de son essence; la volupté exerce un empire vainqueur sur ces êtres délicats. A ces dispositions originaires, qu'on joigne les effets échauffants d'une imagination exaltée dans la retraite et l'oisiveté, on trouvera la raison de cette fureur intestine qui nous maîtrise dans les couvents.

      C'est ainsi que les femmes de ces pays, où les hommes jaloux les tiennent prisonnières, trouvent si précieuses des jouissances dont l'idée habituelle qu'elles en ont n'est point contrebalancée par d'autres objets de dissipation. Dans la société, un tumulte de soins et de plaisirs énerve les passions au lieu de les concentrer; l'éclat séduisant d'une vaine coquetterie entraîne les femmes les plus sensuelles; l'amour impétueux reste en partage à la solitude obscure et mélancolique: il n'est donc pas étonnant que les mystères consignés ici se soient glissés dans une cellule pour en occuper tendrement les loisirs.

      Ton absence me rendait tout le monde à charge, et ma soeur, la religieuse, me sollicitait d'aller passer quelques jours avec elle: je me suis rendue à son envie. Ah! cher ami, que je suis pénétrée, quoique sa soeur, des tourments qu'elle doit endurer. Elle a le coeur tendre, l'esprit vif, le goût délicat; elle possède les grâces et la beauté; elle s'est trouvée cloîtrée avant de se connaître. A sa place, que je serais malheureuse, moi qui ai moins qu'elle de droit au bonheur! Elle attendait avec impatience une amie qui devait bientôt la rejoindre. Dès le premier jour, elle m'en parla avec des transports d'une tendresse inouïe; elle me la dépeignait avec des couleurs tout à fait animées: elle tournait sans cesse la conversation sur cet objet intéressant. Elle reçut de sa part un coffre très joli; il était plein de petits ustensiles et de chiffons propres à une religieuse.

      Il attira les regards, selon l'usage, des bonnes Mères tourières et supérieures, toutes plus curieuses ordinairement que rusées. Une découverte précieuse leur échappa. Ma soeur m'ayant laissée seule, la curiosité me prit à mon tour.

      Je m'aperçus que le fond était bien épais pour une si petite boîte; en effet, il se trouva double, et il renfermait le petit détail que je t'envoie. J'en ai secrètement tiré copie dans les heures de prière de ma recluse. Puisse la lecture que te procure la main de ton amante te dérober des moments aux belles de Paris! Ton absence me tue. Rapporte-moi, cher Chevalier, ton coeur et ma vie, ainsi que ce joli manuscrit: nous le relirons ensemble.

      Le chevalier d'Olzan y a substitué d'autres noms, et l'a fait imprimer, sans toucher au style; il a pensé que la plume d'une femme ne pouvait être que mal taillée par la main d'un homme.

      LAURE A EUGENIE

      Loin de moi, imbéciles préjugés, il n'y a que les âmes craintives qui vous soient asservies: Eugénie, accablée d'ennui dans sa solitude, exige de sa chère Laure ce petit amusement tendre. Il n'y a plus rien qui puisse me retenir.

      Oui, ma chère Eugénie, ces moments délicieux, dont je t'ai quelquefois entretenue dans ton lit; ces transports des sens, dont nous avons cherché à répéter les plaisirs dans les bras l'une de l'autre; ces tableaux de ma jeunesse, dont nous avons voulu réaliser la volupté: eh bien! pour te satisfaire, je vais, sous des traits ressemblants, les retracer ici.

      Tout ce que j'ai fait et pensé dès ma plus tendre enfance, tout ce que j'ai vu et ressenti va reparaître sous tes yeux.

      Je ferai renaître dans toi ces sensations vives, ces mouvements précieux, dont l'ivresse a tant de charmes. Mes expressions seront vraies, naturelles et hardies; j'oserai même dessiner de ma main des figures dignes du sujet et de tes désirs enflammés; je ne crains pas de manquer d'énergie. Eugénie, c'est toi qui m'inspires et qui m'échauffes. Tu es ma Vénus et mon Apollon; mais garde-toi, chère amie, que ma confidence échappe de tes mains; souviens-toi que tu es dans le sanctuaire de l'imbécillité ou de la dissimulation: celles même des religieuses qui sont dans la bonne foi ont un zèle mille fois moins à craindre que celles qui goûtent, sous un voile hypocrite, la volupté la plus exquise et la plus raffinée. Tu ne serais que criminelle aux yeux des unes, et les autres crieraient hautement à l'infamie.

      Le bonheur des femmes aime partout l'ombre et le mystère; mais la crainte et la décence donnent du prix à leurs plaisirs. Cet ouvrage-ci ne doit jamais voir le jour: il n'est point fait pour les yeux du vulgaire; il serait indigné de la franchise d'une femme, et son impertinente crédulité lui donne de l'horreur pour la nudité des productions de la nature.

      Tu ne le croirais pas, ma chère Eugénie, c'est que les hommes, même les plus libres, nous envient jusqu'aux privautés de l'imagination. Ils ne veulent nous permettre que les plaisirs qu'ils nous départissent. Nous ne sommes, à leurs yeux, que des esclaves qui ne devons rien tenir que de la main du maître impérieux qui nous a subjuguées.

      Tout est pour eux, ou doit se rapporter à eux; ils deviennent des tyrans dès qu'on ose diviser leurs plaisirs; ils sont jaloux, si l'on ose s'envisager à son tour. Egoïstes, ils prétendent l'être seuls, et que personne ne le soit.

      Dans les plaisirs qu'ils prennent avec nous, il en est peu qui pensent à nous les faire partager. Il y en a même qui cherchent à s'en procurer en nous tourmentant et en nous faisant éprouver des traitements douloureux. A quelles bizarreries leur extravagance ne les porte-t-elle pas? Leur imagination ardente, fougueuse et remplie d'écarts s'éteint avec la même facilité qu'elle s'allume; leurs désirs licencieux, sans frein, inconstants et perfides errent d'un objet vers l'autre. Par une contradiction perpétuelle avec leurs sentiments, ils exigent que nous ne jouissions pas des privilèges qu'ils se sont arrogés; nous, dont la sensibilité est plus grande, dont l'imagination est encore plus vive et plus inflammable par la nature de notre constitution.

      Ah! les cruels qu'ils sont! Ils veulent anéantir nos facultés, tandis que notre froideur insipide ferait leur tourment et leur malheur. Quelques-uns, à la vérité, suivent une ligne écartée du tourbillon ordinaire; mais il serait toujours imprudent de nous dévoiler à leurs yeux.

      Cet ouvrage ne serait pas moins déplacé devant ces êtres engourdis que l'amour ne peut émouvoir: je parle de ces femmes flegmatiques que les empressements des hommes aimables ne peuvent exciter, et de ces graves personnages que la beauté ne peut réveiller. Il en existe, Eugénie, de ces animaux indéfinis, parés du titre fastueux de virtuoses et de philosophes, livrés à l'effervescence d'une bile noire, aux vapeurs sombres et malfaisantes de la mélancolie, qui fuient le monde dont ils sont méprisés: ces gens-là, comme la vieillesse inutile, blâment amèrement tous les plaisirs dont ils sont déchus.

      Il en est d'autres, au contraire, d'un tempérament fougueux, mais que les préjugés de l'éducation et la timidité ont enthousiasmés pour le nom d'une vertu dont ils ne connurent jamais l'essence; ils détournent les éjaculations naturelles de leur coeur pour en diriger les élans vers des êtres fantastiques. L'amour est un dieu profane qui ne mérite pas leur encens; et si, sous le nom d'hymen, ils lui sacrifient quelquefois, ils deviennent des fanatiques qui, sous le titre d'honneur, déguisent leur dure jalousie. C'est pour nous un blasphème que d'exprimer l'amour.

      Ainsi, ma chère Eugénie, il ne faut choquer personne; gardons nos confidences libertines pour nous égayer dans le particulier; c'est à toi seule que je veux ouvrir mon coeur; c'est uniquement pour toi que je ne couvrirai d'aucune gaze les tableaux que je mettrai sous tes yeux. Ils seront cachés pour les autres, ainsi que les libertés que nous avons prises ensemble.

      Il n'y a que l'amitié ou l'amour qui puissent arrêter des regards de complaisance sur les objets licencieux que ma plume et mes crayons vont tâcher d'exprimer.

      EDUCATION DE LAURE

      Je sortais de ma dixième année; ma mère tomba dans un état de


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