Ma conversion; ou le libertin de qualité. Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau

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Ma conversion; ou le libertin de qualité - Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau


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Gabriel de Riqueti Mirabeau

      Ma conversion; ou le libertin de qualité

      Monsieur Satan,

      Vous avez instruit mon adolescence; c'est à vous que je dois quantité de tours de passe-passe qui m'ont servi dans mes premières années.

      Vous savez si j'ai suivi vos leçons, si je n'ai pas sué nuit et jour pour agrandir votre empire, vous fournir des sujets nouveaux.

      Mais, Monsieur Satan, tout est bien changé dans ce pays; vous devenez vieux; vous restez chez vous; les moines même ne peuvent vous en arracher. Vos diablereaux, pauvres hères! n'en savent pas autant que des récits infidèles, parce que nos femmes les attrapent et les bernent.

      Je trouve donc une occasion de m'acquitter envers vous; je vous offre mon livre. Vous y lirez la gazette de la cour, les nouvelles à la main des filles, des financiers et des dévotes. Vous serez instruit de quelques tours de bissac où, tout fin diable que vous êtes, vous auriez eu un pied de nez. Mais que votre chaste épouse n'y fourre pas le sien; car aussitôt cornes de licornes s'appliqueraient sur votre front séraphique.

      Défiez-vous surtout de ces grandes manches à gros vit, et ne laissez pas aller votre femme en confrérie sans une ceinture. Cependant, que la jalousie ne trouble pas votre repos; car voyez-vous, Monsieur Satan, si elle le veut, cocu serez, et quand vous la mettriez en poche, s'y foutrait-elle par la boutonnière.

      Puissent les tableaux que j'ai l'honneur de mettre sous vos yeux ranimer un peu votre antique paillardise. Puisse cette lecture faire branler tout l'univers!

      Daignez recevoir ces voeux comme un témoignage du profond respect avec lequel je suis,

      Monsieur Satan,

      de votre altesse diabolique

      le très humble, très obéissant

      et très dévoué serviteur,

      CON-DESIROS.

      Jusqu'ici, mon ami, j'ai été un vaurien; j'ai couru les beautés, j'ai fait le difficile: à présent, la vertu rentre dans mon coeur; je ne veux plus foutre que pour de l'argent; je vais m'afficher étalon juré des femmes sur le retour, et je leur apprendrai à jouer du cul à tant par mois.

      Il me semble déjà voir une dondon, qui n'a plus que six mois à passer pour finir sa quarantaine, m'offrir la molle épaisseur d'une ample fressure. Elle est fraîche encore dans sa courte grosseur; ses tétons rougissants d'une substance très abondante sont d'accord avec ses petits yeux pour exprimer tout autre chose que de la pudeur; elle me patine la main; car la financière, comme son mari, patine tout et toujours; je rougis: ah! voyez comme cela me va, comme mes yeux s'animent, comme mon pucelage m'étouffe; car vous noterez que j'ai mon pucelage et que je cherche à me faire élever. On m'offre plus que je ne veux; les agaceries sont de vraies orgies… Foin! je ne bande point… Je deviens triste; mes malheurs me tourmentent; des créanciers avides… Pendant ce temps-là, ma main erre; elle s'anime; quelle légèreté! comme la cadence est brillante! Ma voix exprime l'adagio d'un presto vigoureux et soutenu. Ah! mon ami, voyez cul de ma dondon, comme il bondit!… Sa poitrine siffle, son gosier se serre, son con décharge, elle est en fureur, elle veut m'entraîner… Là, là, tout doux… La douleur me ressaisit… On me fait des offres: hélas! comment se résoudre à accepter d'une femme à qui on voudrait témoigner le sentiment le plus pur! On redouble; je pleure: l'or paraît. L'or!… Sacredieu! je bande et je la fous.

      Mais ma chaste dondon en paie plus d'un; aussi, bientôt après ma facile victoire, je me fais présenter chez Mme Honesta (famille presque éteinte). Tout y respire la pudeur et l'honnêteté; tout prêche l'abstinence, jusqu'à son visage, dont la tournure, quoique assez piquante, n'a cependant aucun de ces détails qui inspirent la tendresse.

      Mais elle a des yeux, de la physionomie, une taille qui serait trop maigre, si toute l'habitude du corps ne s'y proportionnait pas. Je ne louerai pas sa gorge, quoiqu'une gaze qui s'est dérangée m'ait permis d'entrevoir du lointain; ses bras sont un peu longs, mais ils sont flexibles, on pourrait souhaiter une jambe plus régulière; telle qu'elle est, un joli pied la termine. Nous avons les grands airs, des nerfs, des migraines, un mari que l'on ne voit qu'à table, des gens discrets, de l'esprit bizarre, capricieux, mais vif, mais quelquefois ne ressemblant qu'à soi… Pardieu! allez-vous me dire, celle-là ne vous paiera pas… Oh! que si! parce qu'elle est vaniteuse, parce qu'elle se pique de générosité, parce qu'elle veut primer.

      D'abord, vous imaginez bien que nous faisons du respect, de l'esprit, des pointes, des calembours; que madame a raison, que tout chez elle est au mieux possible… Irai-je à sa toilette? Pourquoi non?… Je placerai une mouche; je donnerai à cette boucle tout le jeu dont elle est susceptible… Un chapeau arrive… Bon dieu! les grâces l'ont inventé; le dieu du goût lui-même a placé les fleurs, et tous les zéphyrs jouent dans les plumes qui le couvrent. Comme cette gaze prune-de-monsieur coupe avec ce vert anglais… Mais qui l'a envoyé?… Vous sentez que je suis le coupable; et pourquoi un coupable ne rougirait-il pas?… Je suis trahi, déconcerté, boudé… Victoire, que son emploi de femme de chambre, quelques baisers des plus vifs et un louis ont mise dans mes intérêts, les plaide en mon absence… Ah! Madame, si vous saviez ce que l'on me dit de vous!… Combien ce monsieur est aimable! Il vaut bien mieux que votre chevalier, et je suis sûre qu'il ne vous coûterait qu'une misère… Il n'est pas joueur, je le sais de son laquais; c'est un coeur tout neuf. – Mais crois-tu que je sois assez aimable pour… – Ah! Dieu! Madame, comme ce chapeau est tourné! Vous voilà à l'âge de vingt ans. – Tais-toi, folle, sais-tu que j'en ai trente, et passés?… (Pardieu, oui, passés, et il y a dix ans que cela est public…) Je reviens l'après-midi; on est seule: pourquoi ne le serait-on pas? Je demande pardon en offensant davantage; on s'attendrit, je me passionne; on se… (foutre! attendez donc… cette femme-là est d'une précipitation à me faire perdre les frais de mon chapeau.) Vous sentez bien que mon laquais n'est pas assez bête pour ne pas me faire avertir que le ministre (ah! pardieu! tout au moins) m'attend. Je jette un coup d'oeil assassin; j'embrasse cette main qui tremble dans la mienne… Je me relève et je pars.

      Pendant ce temps-là, je fais connaissance avec une de ces femmes qui, blasées sur tout, cherchent des plaisirs à quelque prix que ce soit. Elle me fait des avances, parce que son honneur, sa réputation, la bienséance… Tout cela est aussi loin que sa jeunesse. Nous sommes bientôt arrangés; elle me paie, je la lime; car je ne veux, sacredieu! pas décharger… Mon infante le sait; les tracasseries viennent. Ah! doux argent! je sens que ton auguste présence!… Enfin, on se détermine; il y a déjà quinze mortels jours qu'on languit. Je fais entendre, modestement, que la reconnaissance m'attache, que j'ai des obligations d'un genre… N'est-ce que cela?… On me paie au double; et dès lors je suis quitte avec ma messaline; je vole dans les bras qui m'ont comblé de bienfaits nouveaux, et je goûte… non pas du plaisir… mais la satisfaction de prouver que je ne suis pas ingrat.

      Las! que voulez-vous? Quand on a engraissé la poule, elle ne pond plus; les honoraires se ralentissent, et je dors. – Comment! tu dors? – Oui, la nuit, et, qui plus est, le matin… Ce matin chéri qui anime l'espérance, qui éclaire les combats amoureux. On se plaint, je me fâche; on me parle de procédés, d'ingratitude, et je démontre que l'on a tort, car je m'en vais.

      Dieu Plutus, inspire-moi!… Un dieu m'apparaît; mais il n'est point chargé de ses attributs heureux: c'est le dieu du conseil, le diligent Mercure, il me console et m'envoie chez M. Doucet. Vous ne le connaissez sûrement pas: or, écoutez.

      Une taille qu'une soutane et un manteau long font paraître dégagée; un visage qui rassemble la maturité de l'âge, l'embonpoint et la fraîcheur; des yeux de lynx, une perruque adonisée; l'esprit en a tracé la coupe; sa physionomie ouverte, mais décente, répand l'éclat de la béatitude; il ne se permet qu'un sourire, mais ce sourire laisse voir de belles dents… Tel est le directeur à la mode; les troupeaux de dévotes abondent, les consultations ne tarissent pas.

      Mais il existe des privilégiées, de ces femmes ensevelies dans un parfait quiétisme de conscience et dont la charnière n'en est que plus mobile. Le père en Dieu cache sous un maintien hypocrite une âme ardente et de très belles qualités occultes… Vous vous doutez bien que c'est à ces femmes qu'il faut parvenir. Je m'insinue donc dans la confiance du bonhomme, je lui découvre que je suis presque aussi tartuffe que lui: il m'éprouve; et quand toutes ses sûretés sont prises, il m'introduit


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