Pour cause de fin de bail. Alphonse Allais

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Pour cause de fin de bail - Alphonse Allais


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le chien est appelé à jouer un rôle considérable dans les grandes guerres européennes.

      Chiens sentinelles, chiens éclaireurs, chiens anticyclistes, chiens estafettes, on les met à toutes les sauces, les pauvres toutous.

      Dans ce curieux sport, l'Allemagne, sans contredit, marche à la tête des autres nations militaires, et, chaque jour, c'est à qui de MM. les officiers prussiens imaginera une nouvelle application du chien à un emploi militaire.

      Me promenant récemment dans les environs les moins explorés de Koenigsberg, j'ai été assez heureux pour assister (par le plus grand des hasards, d'ailleurs, car je m'étais trompé de route) à des exercices infiniment suggestifs et qu'il importe de dévoiler au plus tôt.

      On jugera de la stupeur qui m'envahit quand, d'un petit bois où je me trouvais égaré, j'aperçus la scène suivante:

      Des soldats français et des soldats russes (je crus rêver!) ou plutôt—disons-le dès maintenant—des Allemands déguisés en Français et en Russes, fantassins, cavaliers, artilleurs, etc., etc., donnaient à manger à une forte meute de chiens, de ces gros chiens comme on en rencontre dans les Flandres, qui traînent des voitures à lait.

      Et c'étaient des caresses, et c'étaient des bonnes paroles et de gros morceaux de viande!

      Quand les chiens furent bien gavés, tous ces faux Français, tous ces pseudo-Russes les attelèrent à de petits chariots, les attachèrent à des piquets, grimpèrent à cheval et disparurent bientôt au loin.

      Quelques instants plus tard surgissaient d'autres soldats, d'uniforme allemand ceux-là, qui se précipitèrent sur les chiens à coups de pied, à coups de fouet, et arrachant aux pauvres animaux les quelques os qu'ils rongeaient encore.

      Après quoi, ils les détachèrent au son de mille horribles clameurs.

      Comme bien vous le pensez, les infortunées bêtes n'attendirent point leur reste: en quelques minutes, tous les chiens, au grand galop, avaient rejoint leurs bienfaiteurs français et russes, là-bas, dans la campagne.

      Qu'est-ce que cet étrange manège pouvait bien signifier?

      Je résolus d'en avoir le coeur net et, au risque de me faire coffrer, je prolongeai mon séjour à Koenigsberg, poursuivant sans relâche et avec une remarquable intelligence mes patriotiques investigations.

      La conversation d'un lieutenant pris de boisson me mit bientôt au courant.

      Les chiens dont je viens de parler sont en cas de guerre, dressés à fuir, eux et leurs attelages, les troupes allemandes, pour aller rejoindre ces Français, ces Russes, dont ils n'ont jamais reçu que de bons traitements.

      Les petites voitures qu'ils traînent derrière eux seront alors chargées d'effroyables substances dont l'explosion mettra fin à des milliers d'existences.

      Le moment de la détonation peut être déterminé à une seconde près, grâce à un système d'horlogerie qu'on règle selon la distance qui sépare de l'ennemi.

      Et ça n'est pas plus difficile que ça!

      J'ajouterai que, ces chiens étant rendus aphones par une opération chirurgicale et les roulements des chariots se faisant sur caoutchouc, pas un bruit ne saurait révéler l'approche de cette terrible et ambulante machine infernale.

      Messieurs les Français, vous voilà avertis!

      UN BIZARRE ACCIDENT

      Voulez-vous, mes petits amis, pour nous délasser un instant de la fixité de nos regards vers l'Est, jeter un léger coup d'oeil sur le laps de ces trente derniers ans passés, et alors, nous serons stupéfaits en considérant les progrès énormes accomplis par la pratique du vélocipède.

      Avant les regrettables événements de 70-71, le vélocipède existait bien, mais sous la forme de rares spécimens. (Vous êtes trop jeunes pour vous rappeler cela.)

      Il n'avait pas, d'ailleurs, revêtu la forme que nous lui connaissons actuellement, et même il prêtait au sourire de la grande majorité des Français d'alors.

      Quelques rares originaux et qui ne craignaient point d'affronter les ricanements de leurs contemporains faisaient, seuls, usage de bicycles (comme on désignait les dites machines) et s'attiraient des piétons la spirituelle appellation d'imbéciles à roulettes!

      Comme c'est loin, tout ça!

      Aujourd'hui, en dépit de quelques grincheux, le cyclisme semble être entré définitivement en nos moeurs.

      Dans les bourgades les plus reculées, on rencontre de nombreux vélocipédistes dont certains appartiennent parfois à d'humbles conditions, car, ainsi que la démocratie, la bicyclette coule à pleins bords.

      Je n'entreprendrai pas l'apologie de ce nouveau mode de locomotion: des plumes autrement autorisées que la mienne l'ont déjà fait avec un rare bonheur. (Avez-vous lu Voici des ailes, de Maurice Leblanc? Non. Eh bien, lisez-le, et vous me remercierez du tuyau.)

      Ah! dame! la bécane procure quelquefois de petits ennuis. Cette médaille a un côté pile, ou plutôt pelle, pas toujours drôle, sans compter le passage du sportsman sous la roue de pesants camions, ou le piquage de tête dans les gouffres embusqués au coin d'insidieux tournants.

      Ou des accidents plus étranges encore, témoin celui que voici:

      Dimanche dernier, un groupe joyeux d'environ vingt vélocipédistes de l'A. T. C. H. O. U. M. (Association des Terrassiers Cyclistes du Havre et des Organistes Unis de Montivilliers) remontait, en peloton compact, le chemin creux qui, partant de la route de Cabourg à Étretat, aboutit au plateau de Notre-Dame de Grâce, près Honfleur.

      Tout à coup, pareillement au crépitus d'un canon à tir rapide, une série de détonations déchira l'air.

      Les vingt pneux des camarades venaient d'éclater.

      (Accident? Malveillance? C'est ce que l'enquête ouverte par l'A.T.C.H.O.U.M. établira.)

      Nos gaillards eurent bientôt fait de réparer le désastre, mais au moment où, d'un énergique et simultané travail, ils regonflaient leurs pneumatiques, voici qu'ils tombèrent tous sur le sol, en proie à des mouvements spasmodiques, et comme asphyxiés, les pauvres!

      L'explication du phénomène est bien simple: les vingt-cinq pompes de ces messieurs, absorbant l'air ambiant pour l'enfourner au sein des caoutchoucs, avaient fait le vide dans le chemin creux et les cyclistes subissaient les affres du petit oiseau que, dans les laboratoires, on met sous la cloche de la machine pneumatique.

      L'accident, par bonheur, n'eut pas de suite, une forte brise ayant ramené de l'air dans ces parages; mais tous les affiliés de l'A.T.C.H.O.U.M. ont bien juré que cette mésaventure leur servirait de leçon.

      PÉNIBLES DÉBUTS

      Une des premières visites que fit ce jeune homme, débarquant à Paris, fut pour moi, moi son vieux concitoyen.

      –Une place? lui répondis-je, une belle place? Vous cherchez une belle place?

      –Dam! aussi belle que possible.

      –Eh bien, mon cher ami, je puis vous en indiquer une superbe!

      –Ah! vraiment. Laquelle?

      –La place de la Concorde.

      Cette facile plaisanterie, vieille déjà de pas mal d'années, continue à m'enchanter comme aux premiers jours (ainsi certains vieillards conservent jusqu'au seuil du sépulcre la plus réjouissante allégresse).

      Le jeune homme consentit à sourire, mais je vis bien qu'il ne goûtait pas intégralement ma petite facétie.

      Pour le remettre en joie, je l'entraînai vers un bar voisin que je connais et où l'on rencontre le seul gin buvable de Paris.

      Un vieux camarade, étrange type et fertile en avatars, s'y trouvait déjà.

      –Comment va?

      –Et toi?… Rien de neuf?

      Je présentai mon jeune ami au personnage.

      Justement


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