L’utopie Pragmatique. Domenico Villano

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L’utopie Pragmatique - Domenico Villano


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perdu en bonheur, en foi et en sociabilité. Personne ne voulait plus l’accompagner à l’église le dimanche. La ville regorgeait pourtant d’églises, mais elles étaient presque toutes vides, encore fréquentées par quelque vieillard. Quand on devait aller quelque part ou rencontrer quelqu’un, on restait des heures dans la voiture, coincé dans le trafic, ou il fallait prendre les «transports en commun ». Tout le monde était pressé et un peu éteint. Et pourtant, il avait appris que Naples était une des villes les plus vivantes et joyeuses du monde … alors, il n’osait pas imaginer pas les autres! La famille, telle qu’il l’avait connue, n’existait plus. Les oncles, les tantes, les cousins étaient dispersés aux quatre coins du monde, les membres de la famille … oubliés. Seul le noyau papa-maman-enfants résistait encore malgré les divorces fréquents. Et puis, les enfants, on n’en faisait plus beaucoup, un ou deux maximum – on ne peut pas se le permettre – on lui disait. Mais avec toute cette nourriture sur la table, il avait du mal à y croire!

      La campagne, l’odeur de la terre et ses bruits lui manquait ; ici, il n’y avait que l’asphalte et la brique, comme une immense forêt de béton. Mais le pire était tous ces écrans lumineux, les télés, les ordinateurs, les téléphones portables, le cinéma. Tout le monde passait son temps devant ces appareils, pour le travail ou pour se divertir et il n’y avait plus personne avec qui parler. Tout compte fait, c’est vrai que ce monde moderne avait de nombreux avantages, car on y vivait incroyablement bien et longtemps. C’était facile de fonder une famille et d’élever ses enfants, sans devoir s’épuiser à la tâche, risquer de mourir d’un refroidissement ou tomber dans une embuscade tendue par des canailles meurtrières. Mais quelque chose avait dérapé dans ce monde où les machines fabriquaient du bonheur, car la plupart des gens vivaient dans la tristesse et dans la solitude. Il y avait seulement une poignée d’hommes qui possédaient des richesses inimaginables, sans même lever le petit doigt, tandis que la majorité devait se battre pour s’en sortir. Tout ce bien-être visible n’était rien face à la richesse des puissants, peut-être parce que dans son monde à lui, il n’y avait pas non plus tellement de différences avec la modernité. On disait qu’il fallait continuer à travailler tous les jours du matin au soir. Et pourquoi ? Pour produire et acheter plus de caoutchouc plastique ? Ce système, Procolo ne le comprenait vraiment pas!

      Il se réveilla brusquement. Sa femme Nunzia, cachée derrière le lit de paille, était en proie à la panique : la mule avait défoncé la porte de bois et s’était enfuie. Il sentit d’abord des démangeaisons à la tête, puis la chaleur de la laine de sa veste crasseuse et les odeurs de la terre, et enfin, l’agitation des ruelles animées de son village. Il était finalement de retour chez lui, dans sa maison, après toutes ces aventures! Il avait désormais l’envie de conquérir l’avenir, mais sans commettre les erreurs de ses arrière-petits-enfants. L’avenir, ils allaient s’en emparer tous ensemble : Procolo et ses concitoyens, en harmonie avec la Nature et l’Au-delà.

      Le lecteur va sans doute penser s’être trompé de livre, en lisant ces premières pages. Il s’attendait à ce que le livre lui parle de communautés et d’écovillages, de développement durable et de vie conviviale, mais le voilà plongé dans les rêves d’un paysan méridional du dix-neuvième siècle. Et bien, je voudrais dire au lecteur que les expériences communautaires, qu’il découvrira dans les prochaines pages, fournissent des réponses aux questions du vieux Procolo: comment redonner la chaleur de la vie en communauté à la modernité? Comment concilier la rationalité du progrès avec nos aspirations spirituelles, la force de la technique avec l’harmonie de la nature, le bien-être avec l’égalité sociale? Les communautés apportent des réponses utopiques, qui sont les avant-gardes de la pensée et qui se font pratiques, en se heurtant aux difficultés de la réalité.

      Bonne Lecture !

      Introduction

      Utopie et Communauté

      En 1516, l’humaniste londonien, Thomas More, publia son célèbre ouvrage, L’Utopie. Ce terme, qu’il a inventé, renferme une ambiguïté fondamentale qui est voulue par son créateur. En effet, le terme utopie, d’origine grecque, pourrait indiquer un «non-lieu», un lieu qui n’est pas, dans le cas où il serait créé par l’union du préfixe ou (non) et du mot topos (lieu). Il pourrait également signifier un lieu favorable, s’il procède de l’union de topos avec le préfixe eu (bien). L'oeuvre de More parle justement d’une cité idéale et parfaite, mais, en même temps, irréalisable. Bien que le terme utopia ait, jusqu’à nos jours, conservé ce sens, à savoir le rêve irréalisable d’une société parfaite, il faut admettre que l’histoire de l’Occident, et pas seulement, est constellée d’exemples de groupes de personnes qui ont tenté de fonder des communautés, en ayant des objectifs spécifiques et programmatiques. Il suffit de songer aux monastères médiévaux, aux communautés anabaptistes des Hussites, à l’école pythagoricienne et aux collectivités américaines des années 70. La différence fondamentale entre ces expériences et n’importe quelle autre expérience rurale ou nomade, à chaque époque et sur chaque continent, réside dans l’intentionnalité. Selon la définition de Zablocki, une communauté intentionnelle est:

      Tout groupe de cinq individus adultes, voire plus, avec ou sans enfants, sans lien de sang ni rapport conjugal, ayant choisi de vivre ensemble, pour une durée indéterminée, afin d’atteindre un objectif idéologique, fondé sur la vie communautaire, où la cohabitation est jugée nécessaire.

      Cette réalité a tendance à apparaître et à s’épanouir cycliquement aux époques de crise systémiques et de récession économique, mais aussi durant les périodes de profonde transformation culturelle, où l’on assiste au déclin des modèles établis et à l’affirmation de nouveaux systèmes de pensée. Le rapport entre communauté et société est un des thèmes fondateurs de la sociologie. Cette discipline scientifique est sans doute née pour donner une réponse précise aux questions que la modernité posait au XIXème siècle : la transformation brutale du mode de vie de millions de personnes issues des campagnes, venues grossir les villes industrielles naissantes. En fait, à ce moment-là, on observe une désagrégation des réalités communautaires millénaires, définies par les premiers sociologues allemands comme Gemeinschaft, et, en même temps, la formation d’une société urbaine, dynamique et complexe, constituée d’individus, c’est-à-dire la Gesellschaft. Les premières générations de sociologues, de Durkheim à Tönnies, élaborèrent des systèmes théoriques pour tenter d’expliquer ces transformations et d’analyser ces configurations sociétales extrêmement hétérogènes. Aujourd’hui, en revanche, à une époque où, en Occident, le processus d’urbanisation et d’individualisation a atteint un stade avancé, il peut être intéressant d’aller étudier ces communautés intentionnelles, composées de personnes qui ont décidé d’abandonner la dimension individualiste de la société, urbaine ou rurale, pour vivre en communauté.

      Types de communautés

      Pour réaliser une classification des réalités communautaires contemporaines, il faut envisager une multitude de paramètres. En effet, on constate des variations significatives en termes de longévité, de peuplement, de position géographique, de système de production et, surtout d’orientation idéologique. D’après la classification de Diana Leafe


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