Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
Читать онлайн книгу.en face de lui dans le compartiment du wagon; ils étaient seuls. Elle ne lui avait rien dit depuis le matin; il avait dû s’occuper de tout, pour le départ; elle se laissait faire; elle semblait n’avoir plus conscience de rien. Il lui a pris les mains; mais elle regardait fixement devant elle, hagarde, comme sans le voir, et ses lèvres s’agitaient. Il s’est penché vers elle. Elle disait: “Un amant! Un amant. J’ai un amant.” Elle répétait cela sur le même ton; et toujours le même mot revenait, comme si elle n’en connaissait plus d’autres… Je vous assure, mon cher, que quand il m’a fait ce récit, je n’avais plus envie de rire du tout. De ma vie, je n’ai entendu rien de plus pathétique. Mais tout de même, à mesure qu’il parlait, je comprenais qu’il se détachait de tout cela. On eût dit que son sentiment s’en allait avec ses paroles. On eût dit qu’il savait gré à mon émotion de relayer un peu la sienne.
– Je ne sais pas comment vous diriez cela en russe ou en anglais, mais je vous certifie qu’en français, c’est très bien.
– Merci. Je le savais. C’est à la suite de cela qu’il m’a parlé d’histoire naturelle; et j’ai tâché dé le persuader qu’il serait monstrueux de sacrifier sa carrière à son amour.
– Autrement dit, vous lui avez conseillé de sacrifier son amour. Et vous vous proposez de lui remplacer, cet amour?
Lilian ne répondit rien.
– Cette fois-ci, je crois que c’est lui, reprit Robert en se levant… Vite encore un mot avant qu’il n’entre. Mon père est mort tantôt.
– Ah! fit-elle simplement.
– Cela ne vous dirait rien de devenir comtesse de Passavant?
Lilian, du coup, se renversa en arrière en riant aux éclats.
– Mais, mon cher… c’est que je crois bien me souvenir que j’ai oublié un mari en Angleterre. Quoil je ne vous l’avais pas déjà dit?
– Peut-être pas.
– Un Lord Griffith existe quelque part.
Le comte de Passavant, qui n’avait jamais cru à l’authenticité du titre de son amie, sourit. Celle-ci reprit:
– Dites un peu. Est-ce pour couvrir votre vie que vous imaginez de me proposer cela? Non, mon cher, non. Restons comme nous sommes. Amis, hein? et elle lui tendit une main qu’il baisa.
– Parbleu, j’en étais sûr, s’écria Vincent en entrant. Il s’est mis en habit, le traître.
– Oui, je lui avais promis de rester en veston pour ne pas faire honte au sien, dit Robert. Je vous demande bien pardon, cher ami, mais je me suis souvenu tout d’un coup que j’étais en deuil.
Vincent portait la tête haute; tout en lui respirait le triomphe, la joie. A son arrivée, Lilian avait bondi. Elle le dévisagea un instant, puis s’élança joyeusement sur Robert dont elle bourra le dos de coups de poing en sautant, dansant et criant (Lilian m’agace un peu lorsqu’elle fait ainsi l’enfant):
– Il a perdu son pari! Il a perdu son pari.
– Quel pari? demanda Vincent.
– Il avait parié que vous alliez de nouveau perdre. Allons! dites vite: gagné combien?
– J’ai eu le courage extraordinaire, la vertu, d’arrêter à cinquante mille, et de quitter le jeu là-dessus.
Lilian poussa un rugissement de plaisir.
– Bravo! Bravo! Bravo! criait-elle. Puis elle sauta au cou de Vincent, qui sentit tout le long de son corps la souplesse de ce corps brûlant à l’étrange parfum de santal, et Lilian l’embrassa sur le front, sur les joues, sur les lèvres. Vincent, en chancelant, se dégagea. Il sortit de sa poche une liasse de billets de banque.
– Tenez, reprenez votre avance, dit-il en en tendant cinq à Robert.
– C’est à Lady Lilian que vous les devez à présent.
Robert lui passa les billets, qu’elle jeta sur le divan. Elle était haletante. Elle alla jusqu’à la terrasse pour respirer. C’était l’heure douteuse où s’achève la nuit, et où le diable fait ses comptes. Dehors, on n’entendait pas un bruit. Vincent s’était assis sur le divan. Lilian se retourna vers lui, et, pour la première fois, le tutoyant:
– Et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire?
Il prit sa tête dans ses mains et dit dans une sorte de sanglot:
– Je ne sais plus.
Lilian s’approcha de lui et posa sa main sur son front qu’il releva; ses yeux étaient secs et ardents.
– En attendant, nous allons trinquer tous les trois, dit-elle, et elle remplit de tokay les trois verres.
Après qu’ils eurent bu:
– Maintenant, quittez-moi. Il est tard, et je n’en puis plus. Elle les accompagna vers l’antichambre, puis, comme Robert passait devant, glissa dans la main de Vincent un petit objet de métal et chuchota:
– Sors avec lui, tu reviendras dans un quart d’heure.
Dans l’antichambre sommeillait un laquais, qu’elle secoua par le bras.
– Éclairez ces messieurs jusqu’en bas.
L’escalier était sombre, où il eût été simple, sans doute, de faire jouer l’éleftricité; mais Lilian tenait à ce qu’un domestique, toujours, vît sortir ses hôtes.
Le laquais alluma les bougies d’un grand candélabre qu’il tint haut devant lui, précédant Robert et Vincent dans l’escalier. L’auto de Robert attendait devant la porte que le laquais referma sur eux.
– Je crois que je vais rentrer à pied. J’ai besoin de marcher un peu pour retrouver mon équilibre, dit Vincent, comme l’autre ouvrait la portière de l’auto et lui faisait signe de monter.
– Vous ne voulez vraiment pas que je vous raccompagne? Brusquement, Robert saisit la main gauche de Vincent, que celui-ci tenait fermée. – Ouvrez la main! Allons! montrez ce que vous avez là.
Vincent avait cette naïveté de craindre la jalousie de Robert. Il rougit en desserrant les doigts. Une petite clef tomba sur le trottoir. Robert la ramassa tout aussitôt, la regarda; en riant, la rendit à Vincent.
– Parbleu! fit-il; et il haussa les épaules. Puis, entrant dans l’auto, il se pencha en arrière, vers Vincent qui demeurait penaud:
– C’est jeudi. Dites à votre frère que je l’attends ce soir dès quatre heures – et vite il referma la portière, sans laisser à Vincent le temps de répliquer.
L’auto partit. Vincent fit quelques pas sur le quai, traversa la Seine, gagna cette partie des Tuileries qui se trouve en dehors des grilles, s’approcha d’un petit bassin et trempa dans l’eau son mouchoir qu’il appliqua sur son front et ses tempes. Puis, lentement, il revint vers la demeure de Lilian. Laissons-le, tandis que le diable amusé le regarde glisser sans bruit la petite clef dans la serrure…
C’est l’heure où, dans une triste chambre d’hôtel, Laura, sa maîtresse d’hier, après avoir longtemps pleuré, longtemps gémi, va s’endormir. Sur le pont du navire qui le ramène en France, Edouard, à la première clarté de l’aube, relit la lettre qu’il a reçue d’elle, lettre plaintive et où elle appelle au secours. Déjà, la douce rive de son pays natal est en vue, mais, à travers la brume, il faut un oeil exercé pour la voir. Pas un nuage au ciel, où le regard de Dieu va sourire. La paupière de l’horizon rougissant déjà se soulève. Comme il va faire chaud dans Paris! Il est temps de retrouver Bernard. Voici que dans le lit d’Olivier il s’éveille.
VI
We are ail bastards; And that most vénérable man which I Did call my father, was I know not where When