Symbolistes et Décadents. Gustave Kahn

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Symbolistes et Décadents - Gustave Kahn


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guère des novateurs, si ce sont des symbolistes; et vraiment si M. Lemaître a raison, il a raison trop facilement, et sans fruit.

      Pourquoi accuser des écrivains de noctambulisme et d'alcoolisme? Qu'en sait-il? de quels renseignements use-t-il ou abuse-t-il? Ce ne serait de la critique que s'il était plus complet et démontrait chez ces écrivains des dérivations de pensée sous l'influence de l'alcool; mais il ne l'a pas voulu, et peut-être ne le pourrait-il pas.

      Il n'y a ni alcoolisme, ni noctambulisme, ni névrose en jeu, ici, du moins, pas plus que dans la plupart des opérations intellectuelles de notre temps. Ce malheureux temps est bien loin d'être normal; et, si l'on admet que c'est une des gloires du Moyen Age, que dans cette période de force et de guerre, il ait existé de purs mystiques affolés d'amour de Dieu et d'espoir en Dieu, pourquoi ne point vouloir qu'en notre période d'affaires, strictement d'affaires, il soit des poètes se confinant dans l'intellect pur et disant pour eux, pour les initiés existants, pour les initiés à venir, la chanson de leurs sensations, sans s'occuper des exigences populaires, sans travestir le schéma de leur pensée sous la forme de conversation qu'utilisent les poètes et les romanciers classés; et si parfois le but peut-être est dépassé, si le livre ou le poème ne contiennent pas toute la sérénité qui pare l'œuvre d'un classique, peut-être cela vient-il de ceci, que:

      Si l'on développe une idée, en voulant enfermer dans sa traduction ses origines et son mouvement et l'accent personnel d'émotion qu'elle eut en émergeant de votre inconscience, on est exposé à faire un peu embrouillé en croyant faire complet;

      Que si l'on se borne à donner de cette idée la grosse carrure, presque le fait matériel dont elle est la représentation, on a bien des chances de la traduire sans nouveauté: car, comme dit M. Lemaître, toutes choses ont bien près de six mille ans, elles ont peut-être davantage.

      Le premier jour où un pâtre arya modula une onomatopée admirative ou joyeuse ou éclata en sanglots, le poème était fondé, et le poème ne servit depuis qu'à développer le cri de joie et le cri de douleur de l'humanité. Or, les sérénités pures se traduisirent habituellement par les architectures théoriques des Moïse, des Pythagore, des Platon, etc., les besoins de certitude par les Euclide, les Galilée, etc. Toute l'expérience, toute la science des formes tangibles s'analysa. Le poème fut sans cesse ou l'évocation de la légende (la concrétion des aspirations d'une race) ou son cri d'amour joyeux ou triste. Ajouter à cela qu'alternativement ce poème fut en son écriture abstrait et quasi blanc, soit que le mysticisme humain fût, dans le plus large sens du mot, religieux (charité, solidarité, passion), soit qu'il fût idolâtre (coloré, païen, réaliste); au premier cas la recherche d'une forme fluide, libre, musicale et vraie, car en l'essence même de là poésie elle s'adresse à l'oreille tout en cherchant à fixer des attitudes; en l'autre cas, souvent rocailleuse et dure un peu, préoccupée de figer de simples et élémentaires polychromies. Mais ces deux formes d'art qui parfois en des époques troubles peuvent être maniées par le même poète, sont surtout et avant tout différentes et de la forme expérimentale de la science courante, et de l'allure explicative de la littérature courante. En somme, la marque de cette poésie serait d'être purement intuitive et personnelle, en opposition aux formes traditionnelles, qui sont simples car déjà vues, claires parce qu'explicatives. Or, le lyrisme est exclusivement d'allure intuitive et personnelle, et la poésie va dans ce sens depuis cinquante ans (Hugo, Gautier, Nerval, Baudelaire, Heine), et rien d'étonnant à ce qu'un nouveau pas en avant fasse paraître le poète comme chantant pour lui-même, tandis qu'il ne fait au fond que syllabiser son moi d'une façon assez profonde pour que ce moi devienne un soi, c'est-à-dire l'âme de tous; et si tous ne s'y reconnaissent pas tout de suite, c'est peut-être que les formes sensationnelles perçues par le poète ne se sont pas encore produites en eux, que peut-être il fallait que le poète les perçût le premier pour qu'une génération nouvelle inconsciemment s'en imprégnât et finît par s'y reconnaître. En face, la littérature traditionnelle continue son train-train, de concessions en concessions, et détient l'intelligence populaire, ravie d'entrer sans efforts dans des œuvres d'apparence renouvelée.

      Ces théories ici trop rapides, vagues à force d'être condensées expliqueront-elles à M. Lemaître la prétendue obscurité de certains vers? Faut-il ajouter qu'en un art serré, une technique bien comprise du vers, il faut éviter toute explication, toute parenthèse inutile, et que peut-être ces nécessités imposent au lecteur de se placer d'abord, par une première lecture, en l'état d'esprit du poète, et de ne comprendre complètement qu'à une seconde lecture.

      Quant au symbole, très justement le critique remarque sa perpétuelle utilisation; tout beau poème est un symbole; une tragédie de Racine peut, étant une étude du jeu des passions, être considérée comme symbolique. Mais il y a des mauvais poèmes, des mauvais genres de poème qui ne sont pas symboliques et que l'évolution de la poésie ébranche, on a vu disparaître l'épître, le conte, la satire; M. de Banville n'admet plus, en somme, qu'une ode multiforme; Baudelaire n'admet plus que la notation brève de multiples sensations concourant à former un livre de poèmes écrits dans les mêmes tonalités. J'inclinerais à ne plus admettre qu'un poème évoluant sur lui-même, présentant toutes les facettes d'un sujet, chacune isolément traitée, mais étroitement et strictement enchaînées par le lien d'une idée unique.

      Mais toutes ces choses ne préoccupent pas essentiellement Verlaine. Il n'est ni décadent (personne ne l'est), ni symboliste au sens actuel du mot (si ce mot n'est pas pure inutilité). Il est avant tout lui-même, un élégiaque, un spontané, de la lignée des Villon et des Heine. Il n'a point cru qu'il fallût enfermer sa pensée dans le moule d'un plan de drame ou de poème unique; il interprète, il cliche ses sensations au passage en toute sincérité; et son critérium est sa sincérité même. Toute idée qui traverse son cerveau est à ses yeux une idée humaine et naturelle: autrement d'où la percevrait-il? or, il l'écrit, et son seul devoir est de la nettifier, de la clarifier le plus possible, et quoi qu'on en puisse dire il y arrive toujours. Rien de plus net, de plus joli, comme un Watteau, que les Uns et les Autres; rien de plus charmant que les Fêtes Galantes. M. Lemaître l'accuse de ne point rappeler Bernis et Dorat; mais que sont au XVIIIe siècle Bernis et Dorat? Voyez dans les lettres de Mlle de Lespinasse l'admirable épisode de Mme de la Moussetière, toute la vie de Mlle de Lespinasse; voyez dans Casanova l'épisode de la Charpillon; regardez les Watteau et croyez ce siècle autrement complexe dans sa sensation amoureuse, que ne le traduisent les petits poètes comme Bernis. Verlaine a surtout regardé les Watteau, il a considéré les personnages des bergeries et de la Comédie Italienne comme des types immortels, pouvant contenir toute fantaisie; et si vous voulez qu'il y ait symbole, ce serait dans les Fêtes Galantes, toutes les gaietés et les petits pas du début se terminant par le si triste colloque sentimental. Il y a là un jeu de Verlaine, parant de costumes amusants des pensées à lui, et nullement un pastiche des temps éteints, ni un air de flûte.

      Cette façon de prendre, d'objectiver son âme en formes tangibles et extérieures, Verlaine l'abandonna. Dans Sagesse, c'est un dialogue entre lui et Dieu, bien plus encore un dialogue entre deux instants perpétuels de sa conscience, l'instant trouble, humain, souffrant des choses, l'instant calme, renouvelé, rajeuni; et le décor, c'est la pure mentalité du poète.

      Est-il nécessaire pour comprendre le merveilleux sonnet:

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