Nouveaux mystères et aventures. Arthur Conan Doyle

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Nouveaux mystères et aventures - Arthur Conan Doyle


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que je tiens une place prédominante dans le testament du vieil oncle Jérémie. Aussi mon père a-t-il cru que c’était un devoir élémentaire pour moi de venir et de me montrer poli. Étant donnée la situation, je ne puis guère me dispenser de me faire valoir un peu de temps en temps.

      —Oh! certes, dis-je.

      —En outre, c’est un excellent vieux bonhomme. Cela vous divertira de voir notre ménage. Une princesse comme gouvernante, cela sonne bien, n’est-ce pas? Je m’imagine que notre imperturbable secrétaire s’est hasardé quelque peu de ce côté-là. Relevez le collet de votre pardessus, car il fait un vent glacial.

      La route franchit une série de collines faibles, pelées, dépourvues de toute végétation, à l’exception d’un petit nombre de bouquets de ronces, et d’un mince tapis d’une herbe coriace et fibreuse, où un troupeau épais de moutons décharnés, à l’air affamé, cherchaient leur nourriture.

      Nous descendions et montions tour à tour dans un creux, tantôt au sommet d’une hauteur, d’où nous pouvions voir les sinuosités de la route, comme un mince fil blanc passant d’une colline à une autre plus éloignée.

      Çà et là, la monotonie du paysage était diversifiée par des escarpements dentelés, formés par de rudes saillies du granit gris.

      On eût dit que le sol avait subi une blessure effrayante par où les os fracturés avaient percé leur enveloppe.

      Au loin se dressait une chaîne de montagnes que dominait un pic isolé surgissant parmi elles, et se drapant coquettement d’une guirlande de nuages, où se réfléchissait la nuance rouge du couchant.

      —C’est Ingleborough, dit mon compagnon en me désignant la montagne avec son fouet, et ici ce sont les Landes du Yorkshire. Nulle part en Angleterre, vous ne trouverez de région plus sauvage, plus désolée. Elle produit une bonne race d’hommes. Les milices sans expérience qui battirent la chevalerie écossaise à la Journée de l’Étendard venaient de cette partie du pays. Maintenant, sautez à bas, vieux camarade, et ouvrez la porte.

      Nous étions arrivés à un endroit où un long mur couvert de mousse s’étendait parallèlement à la route.

      Il était interrompu par une porte cochère en fer, à moitié disloquée, flanquée de deux piliers, au haut desquels des sculptures, taillées dans la pierre, paraissaient représenter quelque animal héraldique, bien que le vent et la pluie les eussent réduites à l’état de blocs informes.

      Un cottage en ruine qui avait peut-être, il y a longtemps, servi de loge, se dressait, à l’un des côtés.

      J’ouvris la porte d’une poussée, et nous parcourûmes une avenue longue et sinueuse, encombrée de hautes herbes, au sol inégal, mais bordée de chênes magnifiques, dont les branches, en s’entremêlant au-dessus de nous, formaient une voûte si épaisse que le crépuscule du soir fit place soudain à une obscurité complète.

      —Je crains que notre avenue ne vous impressionne pas beaucoup, dit Thurston, en riant. C’est une des idées du vieux bonhomme, de laisser la nature agir en tout à sa guise. Enfin, nous voici à Dunkelthwaite.

      Comme il parlait, nous contournâmes un détour de l’avenue marqué par un chêne patriarcal qui dominait de beaucoup tous les autres, et nous nous trouvâmes devant une grande maison carrée, blanchie à la chaux, et précédée d’une pelouse.

      Tout le bas de l’édifice était dans l’ombre, mais en haut une rangée de fenêtres, éclairées d’un rouge de sang, scintillaient au soleil couchant.

      Au bruit des roues, un vieux serviteur en livrée vint, tout courant, prendre la bride du cheval dès que nous avançâmes.

      —Vous pouvez le rentrer à l’écurie, Élie, dit mon ami, dès que nous eûmes sauté à bas... Hugh, permettez-moi de vous présenter à mon oncle Jérémie.

      —Comment allez-vous? Comment allez-vous? dit une voix chevrotante et fêlée.

      Et, levant les yeux, j’aperçus un petit homme à figure rouge qui nous attendait debout sous le porche.

      Il avait un morceau d’étoffe de coton roulée autour de la tête, comme dans les portraits de Pope et d’autres personnages célèbres du XVIIIe siècle.

      Il se distinguait en outre par une paire d’immenses pantoufles.

      Cela faisait un contraste si étrange avec ses jambes grêles en forme de fuseaux qu’il avait l’air d’être chaussé de skis, et la ressemblance était d’autant plus frappante qu’il était obligé, pour marcher, de traîner les pieds sur le sol, afin que ces appendices encombrants ne l’abandonnassent pas en route.

      —Vous devez être las, Monsieur, et gelé aussi, Monsieur, dit-il d’un ton étrange, saccadé, en me serrant la main. Nous devons être hospitaliers pour vous, nous le devons certainement. L’hospitalité est une de ces vertus de l’ancien monde que nous avons conservées. Voyons, ces vers, quels sont-ils:

      Le bras de l’homme du Yorkshire est leste et fort Mais ô! comme il est chaud, le cœur de l’homme du Yorkshire!

      «Voilà qui est clair, précis, Monsieur. C’est pris dans un de mes poèmes. Quel est ce poème, Copperthorne?

      —La Poursuite de Borrodaile, dit une voix derrière lui, en même temps qu’un homme de haute taille, à la longue figure, venait se placer dans le cercle de lumière que projetait la lampe suspendue en haut du porche.

      John nous présenta, et je me souviens que le contact de sa main me parut visqueux et désagréable.

      Cette cérémonie accomplie, mon ami me conduisit à ma chambre, en me faisant traverser bien des passages et des corridors reliés entre eux à la façon de l’ancien temps par des marches inégales.

      Chemin faisant, je remarquai l’épaisseur des murs, l’étrangeté et la variété des pentes du toit, qui faisait supposer l’existence d’espaces mystérieux dans les combles.

      La chambre qui m’était destinée était, ainsi que me l’avait dit John, un charmant petit sanctuaire, où pétillait un bon feu, et où se trouvait une étagère bien garnie de livres.

      Et, en mettant mes pantoufles, je me dis que j’aurais eu tort sans doute de refuser cette invitation à venir dans le Yorkshire.

       Table des matières

      Lorsque nous descendîmes à la salle à manger, le reste de la maisonnée était déjà réuni pour le dîner.

      Le vieux Jérémie, toujours coiffé de sa singulière façon, occupait le haut bout de la table.

      À côté de lui, et à droite, était une jeune dame très brune, à la chevelure et aux yeux noirs, qui me fut présentée sous le nom de miss Warrender.

      À côté d’elle étaient assis deux jolis enfants, un garçon et une fille, ses élèves, évidemment.

      J’étais placé vis-à-vis d’elle, ayant à ma gauche Copperthorne.

      Quant à John, il faisait face à son oncle.

      Je crois presque voir encore l’éclat jaune de la grande lampe à huile qui projetait des lumières et des ombres à la Rembrandt sur ce cercle de figures, parmi lesquelles certaines étaient destinées à prendre tant d’intérêt pour moi.

      Ce fut un repas agréable, en dehors même de l’excellence de la cuisine et de l’appétit qu’avait aiguisé mon long voyage.

      Enchanté d’avoir trouvé un nouvel auditeur, l’oncle Jérémie débordait d’anecdotes et de citations.

      Quant à miss Warrender


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