Le sorcier de Meudon. Eliphas Levi

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Le sorcier de Meudon - Eliphas Levi


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Oh! que j'avais besoin de vous parler!… et puis, des fenêtres qui donnent sur le cloître, on ne voit pas la Chesnaie et la closerie où j'ai joué tant de fois lorsque j'étais encore tout enfant!

      —Ah! oui, je sais avec la petite Marjolaine, n'est-ce pas?

      —Chut! taisez-vous, maître François, s'écria le novice en rougissant jusqu'aux oreilles; si quelqu'un nous entendait!

      —Eh bien! que comprendrait-il? pourvu qu'il ne puisse pas voir, comme moi, que vous pleurez en regardant la closerie, et que vous regrettez la charmante enfant, qui est devenue une délicieuse jeune fille…

      —Oh! silence! je vous en prie, ne me dites pas de ces choses-là. Comment pouvez-vous deviner? Comment pouvez-vous savoir?… Je ne l'ai même pas dit à mon confesseur!

      —Si j'étais votre confesseur, je le saurais précisément parce que vous ne me l'auriez pas dit et vous me le dites à moi, précisément, parce que je ne suis pas votre confesseur.

      —Mais, mon Dieu, qu'est-ce que je vous dis donc, mon frère? Mais je vous assure bien que je ne vous ai rien dit du tout.

      —Pas plus qu'à Marjolaine, n'est-ce pas?

      —Oh! mais vous êtes donc sorcier! Voilà maintenant que vous savez!… Mais au surplus, je pourrais bien vous dire que non. Comment ferais-je pour lui parler, je ne puis la voir qu'à l'église?

      —Aussi y vient-elle bien régulièrement, la dévote petite fillette au nom doux et bien odorant! Et vous l'aimez bien, n'est-ce pas? J'entends d'affection fraternelle et charitable, celle que l'Évangile nous commande de partager entre tous nos frères, et ne nous défend pas non plus d'étendre un peu jusqu'à nos soeurs!

      —C'est vrai que Marjolaine est bien modeste et bien pieuse.

      —Elle est aussi bien aimable et bien jolie. C'est cela que vous diriez d'abord, si vous l'osiez.

      —Oh! pour cela, je n'en sais rien, dit le novice en prenant un air ingénu et en baissant les yeux.

      —Aussi vous voilà bien décidé à faire profession?

      —Hélas! fît en soupirant le frère Lubin; et tournant les yeux vers la closerie, il laissa tomber deux grosses larmes.

      —Frère Lubin! frère Lubin! cria dans le corridor une voix trop facile à reconnaître et trop bien connue des novices.

      —Ah! mon Dieu! voilà à présent frère Paphnuce qui me cherche dans le prieuré; s'il vient ici, je suis perdu!

      —Cachez-vous! lui dit maître François en se levant et en allant doucement vers la porte.

      —Mais où me cacher? Derrière cette pile de livres, il me verra. Mon

       Dieu! mon Dieu! que je suis malheureux!

      —Vite! dit frère François, il approche; enjambez la fenêtre, mettez vos pieds en dehors sur la corniche et cachez-vous dans l'angle du mur. Prenez garde de tomber dans la vigne, les échalas vous feraient mal.

      Le novice accomplit promptement l'évolution commandée par le médecin, et il avait à peine fini, qu'on entendit heurter assez rudement à la porte de la cellule.

      Frère François ouvrit lui-même, et vit, comme il s'en doutait bien, la figure blême et renfrognée du terrible maître des novices.

      —Frère Lubin n'est pas ici? demanda Paphnuce.

      —Vite, mon frère, asseyez-vous. Vous n'êtes pas bien, je vous assure; laissez-moi tâter votre pouls. Parbleu! cela ne m'étonne pas, il faut aller vous coucher, vous avez la fièvre.

      —Frère Lubin n'est pas ici? répéta le maître des novices avec humeur.

      Maître François éclata de rire et demanda à son tour:

      —Le père prieur est-il ici?

      —Pourquoi cette demande?

      —Pourquoi la vôtre? Frère Lubin est-il plus invisible que le frère prieur, et pourrait-il être ici sans qu'il fût possible de l'apercevoir?

      —Il y est venu du moins.

      —Doucement, doucement, mon frère! Vous me demandez s'il y est venu, bien que vous ne l'ayiez pas vu y venir, et vous me demandiez tout à l'heure s'il y était, bien que vous ne le vissiez pas; vous parlez donc métaphysiquement et en esprit? Or, qu'il soit ici en esprit et qu'il y soit venu en esprit, à cela je puis vous répondre que je vous en dirai mon sentiment quand l'Université de Paris aura sorbonificalement matagrobolisé la solution quidditative de cette question mirifique: Utrum Chimoera in vaciium bombinans possit comedere secundas intentiones.

      —Vous êtes toujours moqueur, mon frère, dit Paphnuce en radoucissant sa voix, tandis qu'il se mordait la lèvre et lançait en dessous au railleur un regard de haine implacable; je désire vous voir toujours aussi gai, et qu'au jour du jugement notre Seigneur n'ait pas à se moquer de vous à son tour!

      —Vrai! je le voudrais, ne fût-ce que pour le voir rire, ce bon Sauveur, qu'on nous peint toujours pleurant, malingre et meshaigné! Le sourire siérait si bien à son doux et beau visage! Et ses grands yeux toujours pleins de sang et de larmes s'illumineraient si bien d'un rayon de franche gaieté! M'est avis qu'alors le ciel attendri s'ouvrirait et que les pauvres pécheurs y entreraient pêle-mêle, ravis en extase et convertis par la risette du bon Dieu. Si bien que le grand diable lui-même ne pourrait se tenir d'en être ému et d'en pleurer; puis, pleurant rirait de voir rire, et riant pleurerait de n'avoir pas toujours ri d'un si aimant et si bon rire, et, pour l'enfer comme pour le ciel, ce jour-là ce serait dimanche!

      —Impie! murmura le maître des novices!

      —Soignez-vous, mon frère, dit maître François, vous avez de la bile; vos yeux sont jaunes. Prenez des remèdes, vos fonctions naturelles doivent être gênées.

      En ce moment, une femme se présenta timidement à la porte et fit une profonde révérence. Frère François, en sa qualité d'habile médecin, avait le privilège unique de recevoir des visites de toutes sortes, et c'est pourquoi on l'avait logé hors du cloître, dans les bâtiments du prieuré, qui servaient aussi d'hôtellerie pour les étrangers de distinction lorsqu'il en venait au monastère. Ce privilège déplaisait fort au frère Paphnuce, et c'était là le commencement de sa haine contre le frère médecin.

      —Entrez, ma bonne, dit frère François; justement nous ne sommes pas seuls et nous pouvons vous recevoir ici. Frère Paphnuce voudra bien rester et nous tenir compagnie.

      —Non, dit sèchement le maître des novices; que je ne vous dérange pas.

       Vous êtes en dehors de la règle; autant vaut vous y mettre tout à fait.

       Je vais chercher frère Lubin, car il faut que je sache où il peut être

       caché.

      —Bonne chance, mon frère! dit maître François. Et Paphnuce sortit, en laissait toutefois la porte ouverte.

      —Eh bien! bonne mère Guillemette, qu'y a-t-il de nouveau à la closerie de la Chesnaie? dit avec bienveillance le frère médecin en s'adossant à la fenêtre.

      —Hélas! mon frère, ma pauvre Marjolaine est malade! Cela l'a prise au retour de l'office; elle est pâle, elle pleure, elle veut être seule et ne veut pas dire ce qu'elle a.

      —Hum!… La petite n'est pas loin de ses dix-sept ans, je pense?

      —Oh! mon frère, ce n'est pas ce que vous pensez. La pauvre enfant ne songe pas à mal; elle ne se plaît qu'à l'église.

      —C'est que probablement celui qu'elle aime ne va pas à la danse?

      —Frère François! frère François! disait tout bas Lubin, caché derrière l'appui de la croisée, ne dites rien, je vous en prie!

      —Tenez, la mère Guillemette, poursuivit le frère médecin,


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