Césarine Dietrich. George Sand

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Césarine Dietrich - George Sand


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une lettre d'affaires, il arrivât le lendemain de cette soirée, à sept heures du matin. On s'était couché tard, les valets dormaient encore, et les appartements étaient restés en désordre. M. Dietrich, qui avait conservé les habitudes de simplicité de sa jeunesse, n'éveilla personne; mais, avant de gagner sa chambre, il voulut se rendre compte par lui-même du tardif réveil de ses gens, et il entra dans le petit salon où la danse avait commencé. Elle y avait laissé peu de traces, vu que, s'y trouvant trop à l'étroit, on avait fait invasion, tout en sautant et pirouettant, dans la grande salle des fêtes. On y avait allumé à la hâte des lustres encore garnis des bougies à demi consumées qui avaient éclairé les derniers bals donnés par madame Dietrich. Elles avaient vite brûlé jusqu'à faire éclater les bobèches, ce qui avait été cause d'un départ précipité: des voiles et des écharpes avaient été oubliés, des cristaux et des porcelaines où l'on avait servi des glaces et des friandises étaient encore sur les consoles. C'était l'aspect d'une orgie d'enfants, une débauche de sucreries, avec des enlacements de traces de petits pieds affolés sur les parquets poudreux. M. Dietrich eut le coeur serré, et, dans un mouvement d'indignation et de chagrin, il vint écouter à ma porte si j'étais levée. Je l'étais en effet; je reconnus son pas, je sortis avec lui dans la galerie, m'attendant à des reproches.

      Il n'osa m'en faire:

      —Je vois, me dit-il avec une colère contenue, que vous n'avez pas pris part à des folies que vous n'avez pu empêcher….

      —Pardon, lui dis-je, je n'ai eu aucune velléité d'amusement, mais je n'ai pas quitté Césarine d'un instant, et je me suis retirée la dernière. Si vous me trouvez debout, c'est que je n'ai pas dormi. J'avais du souci en songeant qu'on vous cacherait cette petite fête et en me demandant si je devais me taire ou faire l'office humiliant de délateur. Nous voici, monsieur Dietrich, dans des circonstances que je n'ai pu prévoir et aux prises avec des obligations qui n'ont jamais été définies. Que dois-je faire à l'avenir? Je ne crois pas possible d'imposer mon autorité, et je n'accepterais pas le rôle désagréable de pédagogue trouble-fête; mais celui d'espion m'est encore plus antipathique, et je vous prie de ne pas tenter de me l'imposer.

      —Je ne vois rien d'embrouillé dans les devoirs que vous voulez bien accepter, reprit-il. Vous ne pouvez rien empêcher, je le sais; vous ne voulez rien trahir, je le comprends; mais vous pouvez user de votre ascendant pour détourner Césarine de ses entraînements. N'avez-vous rien trouvé à lui dire pour la faire réfléchir, ou bien vous a-t-elle ouvertement résisté?

      —Je puis heureusement vous dire mot pour mot ce qui s'est passé. Césarine n'a rien provoqué, elle a laissé faire. Je lui ai dit à l'oreille:

      »—C'est trop tôt, votre père blâmera peut-être.

      »Elle m'a répondu:

      »—Vous avez raison; c'est probable.

      » Elle a voulu avertir ses compagnes, elle ne l'a pas fait. Au moment où la danse tournoyait dans le petit salon, mademoiselle Helmina, voyant qu'on étouffait, a ouvert les portes du grand salon, et l'on s'y est élancé. En ce moment, Césarine a tressailli et m'a serré convulsivement la main; j'ai cru inutile de parler, j'ai cru qu'elle allait agir. Je l'ai suivie au salon; elle me tenait toujours la main, elle s'est assise tout au fond, sur l'estrade destinée aux musiciens, et là, derrière un des socles qui portent les candélabres, elle a regardé la danse avec des yeux pleins de larmes.

      —Elle regrettait de n'oser encore s'y mêler! s'écria M. Dietrich irrité.

      —Non, repris-je, ses émotions sont plus compliquées et plus mystérieuses.—Mon amie, m'a-t-elle dit, je ne sais pas trop ce qui se passe en moi. Je fais un rêve, je revois la dernière fête qu'on a donnée ici, et je crois voir ma mère déjà malade, belle, pâle, couverte de diamants, assise là-bas tout au fond, en face de nous, dans un véritable bosquet de fleurs, respirant avec délices ces parfums violents qui la tuaient et qu'elle a redemandés jusque sur son lit d'agonie. Ceci vous résume la vie et la mort de ma pauvre maman. Elle n'était pas de force à supporter les fatigues du monde, et elle s'enivrait de tout ce qui lui faisait mal. Elle ne voulait rien ménager, rien prévoir. Elle souffrait et se disait heureuse. Elle l'était, n'en doutez pas. Que nos tendances soient folles ou raisonnables, ce qui fait notre bonheur, c'est de les assouvir. Elle est morte jeune, mais elle a vécu vite, beaucoup à la fois, tant qu'elle a pu. Ni les avertissements des médecins, ni les prières des amis sérieux, ni les reproches de mon père n'ont pu la retenir, et en ce moment, en voyant l'ivresse et l'oubli assez indélicat de mes compagnes, je me demande si nous n'avions pas tort de gâter par des inquiétudes et de sinistres prédictions les joies si intenses et si rapides de notre chère malade. Je me demande aussi si elle n'avait pas pris le vrai chemin qu'elle devait suivre, tandis que mon père, marchant sur un sentier plus direct et plus âpre, n'arrivera jamais au but qu'il poursuit, la modération. Vous ne le connaissez pas, ma chère Pauline, il est le plus passionné de la famille. Il a aimé les affaires avec rage. C'était un beau joueur, calme et froid en apparence, mais jamais rassasié de rêves et de calculs. Aujourd'hui l'amour de la terre se présente à lui comme une lutte nouvelle, comme une fièvre de défis jetés à la nature. Vous verrez qu'il ne jouira d'aucun succès, parce qu'il n'avouera jamais qu'il ne sait pas supporter un seul revers. Ses passions ne le rendent pas heureux, parce qu'il les subit sans vouloir s'y livrer. Il se croit plus fort qu'elles, voilà l'erreur de sa vie; ma mère n'en était pas dupe, je ne le suis pas non plus. Elle m'a appris à le connaître, à le chérir, à le respecter, mais à ne pas le craindre. Il sera mécontent quand il saura ce qui se passe ici, soit! Il faudra bien qu'il m'accepte pour sa fille, c'est-à-dire pour un être qui a aussi des passions. Je sens que j'en ai ou que je suis à la veille d'en avoir. Par exemple, je ne sais pas encore lesquelles. Je suis en train de chercher si la vue de cette danse m'enivre ou si elle m'agace, si je reverrai avec joie les fêtes qui ont charmé mon enfance, ou si elles ne me seront pas odieuses, si je n'aurai pas le goût effréné des voyages ou un besoin d'extases musicales, ou bien encore la passion de n'aimer rien et de tout juger. Nous verrons. Je me cherche, n'est-ce pas ce que vous voulez?

      «On est venu nous interrompre. On partait, car en somme on n'a pas dansé dix minutes, et, pour se débarrasser plus vite de la gaieté de ses amis, Césarine, qui, vous le voyez, était fort sérieuse, a promis que l'année prochaine on danserait tant qu'on voudrait chez elle.

      —L'année prochaine! C'est dans quinze jours, s'écria M. Dietrich, qui m'avait écoutée avec émotion.

      —Ceci ne me regarde pas, repris-je, je n'ai ni ordre ni conseils à donner chez vous.

      —Mais vous avez une opinion; ne puis-je savoir ce que vous feriez à ma place?

      —J'engagerais Césarine à ne pas livrer si vite aux violons et aux toilettes cette maison qui lui était sacrée il y a un an. Je lui ferais promettre qu'on n'y dansera pas avant une nouvelle année révolue: ce qu'elle aura promis, elle le tiendra; mais je ne la priverais pas des réunions intimes, sans lesquelles sa vie me paraîtrait trop austère. La solitude et la réflexion sans trêve ont de plus grands dangers pour elle que le plaisir. Je craindrais aussi que ses grands partis-pris de soumission n'eussent pour effet de lui créer des résistances intérieures invincibles, et qu'en la séparant du monde vous n'en fissiez une mondaine passionnée.

      M. Dietrich me donna gain de cause et me quitta d'un air préoccupé. Le jugement que sa fille avait porté sur lui, et que je n'avais pas cru devoir lui cacher, lui donnait à réfléchir. Dès le lendemain, il reprit avec moi la conversation sur ce sujet.

      —Je n'ai fait aucun reproche, me dit-il. J'ai fait semblant de ne m'être aperçu de rien, et je n'ai pas eu besoin d'arracher la promesse de ne pas danser avant un an; Césarine est venue d'elle-même au-devant de mes réflexions. Elle m'a raconté la soirée d'avant-hier; elle a doucement blâmé l'irréflexion, pour ne pas dire la légèreté de sa tante; elle m'a fait l'aveu qu'elle avait promis de m'engager à rouvrir les salons, en ajoutant qu'elle me suppliait de ne pas le permettre encore. Je n'ai donc eu qu'à l'approuver au lieu de la gronder; elle s'était arrangée pour cela, comme toujours!

      —Et vous croyez qu'il en


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