LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
Читать онлайн книгу.minutes, des minutes interminables, minutes de fièvre et d’angoisse… Des gouttes perlaient à la racine de ses cheveux et coulaient sur son front, et il lui semblait que c’était une sueur de sang qui le baignait tout entier…
Deux heures…
Et voilà que, quelque part, tout près, un bruit imperceptible frissonna, un bruit de feuilles remuées qui n’était point le bruit des feuilles que remue le souffle de la nuit…
Comme Lupin l’avait prévu, ce fut en lui, instantanément, le calme immense. Toute sa nature de grand aventurier tressaillit de joie. C’était la lutte, enfin !
Un autre bruit grinça, plus net, sous la fenêtre, mais si faible encore qu’il fallait l’oreille exercée de Lupin pour le percevoir.
Des minutes, des minutes effrayantes… L’ombre était impénétrable. Aucune clarté d’étoile ou de lune ne l’allégeait.
Et, tout à coup, sans qu’il eût rien entendu, il sut que l’homme était dans la chambre.
Et l’homme marchait vers le lit. Il marchait comme un fantôme marche, sans déplacer l’air de la chambre et sans ébranler les objets qu’il touchait.
Mais, de tout son instinct, de toute sa puissance nerveuse. Lupin voyait les gestes de l’ennemi et devinait la succession même de ses idées.
Lui, il ne bougeait pas, arc-bouté contre le mur, et presque à genoux, tout prêt à bondir.
Il sentit que l’ombre effleurait, palpait les draps du lit, pour se rendre compte de l’endroit où il allait frapper. Lupin entendit sa respiration. Il crut même entendre les battements de son cœur. Et il constata avec orgueil que son cœur à lui ne battait pas plus fort tandis que le cœur de l’autre… Oh ! Oui, comme il l’entendait, ce cœur désordonné, fou, qui se heurtait, comme le battant d’une cloche, aux parois de la poitrine.
La main de l’autre se leva…
Une seconde, deux secondes…
Est-ce qu’il hésitait ? Allait-il encore épargner son adversaire ?
Et Lupin prononça dans le grand silence :
– Mais frappe donc ! Frappe !
Un cri de rage… Le bras s’abattit comme un ressort.
Puis un gémissement.
Ce bras. Lupin l’avait saisi au vol, à la hauteur du poignet… Et, se ruant hors du lit, formidable, irrésistible, il agrippait l’homme à la gorge et le renversait.
Ce fut tout. Il n’y eut pas de lutte. Il ne pouvait même pas y avoir de lutte. L’homme était à terre, cloué, rivé par deux rivets d’acier, les mains de Lupin. Et il n’y avait pas d’homme au monde, si fort qu’il fût, qui pût se dégager de cette étreinte.
Et pas un mot ! Lupin ne prononça aucune de ces paroles où s’amusait d’ordinaire sa verve gouailleuse. Il n’avait pas envie de parler. L’instant était trop solennel.
Nulle joie vaine ne l’émouvait, nulle exaltation victorieuse. Au fond il n’avait qu’une hâte, savoir qui était là… Louis de Malreich, le condamné à mort ? Un autre ? Qui ?
Au risque d’étrangler l’homme, il lui serra la gorge un peu plus, et un peu plus, et un peu plus encore.
Et il sentit que toute la force de l’ennemi, que tout ce qui lui restait de force l’abandonnait. Les muscles du bras se détendirent, devinrent inertes. La main s’ouvrit et lâcha le poignard.
Alors, libre de ses gestes, la vie de l’adversaire suspendue à l’effroyable étau de ses doigts, il prit sa lanterne de poche, posa sans l’appuyer son index sur le ressort, et rapprocha de la figure de l’homme.
Il n’avait plus qu’à pousser le ressort, qu’à vouloir, et il saurait.
Une seconde, il savoura sa puissance. Un flot d’émotion le souleva. La vision de son triomphe l’éblouit. Une fois de plus, et superbement, héroïquement, il était le Maître.
D’un coup sec il fit la clarté. Le visage du monstre apparut.
Lupin poussa un hurlement d’épouvante.
Dolorès Kesselbach !
9
La tueuse
– 1 –
Ce fut, dans le cerveau de Lupin, comme un ouragan, un cyclone, où les fracas du tonnerre, les bourrasques de vent, des rafales d’éléments éperdus se déchaînèrent tumultueusement dans une nuit de chaos.
Et de grands éclairs fouettaient l’ombre. Et à la lueur fulgurante de ces éclairs, Lupin effaré, secoué de frissons, convulsé d’horreur, Lupin voyait et tâchait de comprendre.
Il ne bougeait pas, cramponné à la gorge de l’ennemi, comme si ses doigts raidis ne pouvaient plus desserrer leur étreinte. D’ailleurs, bien qu’il sût maintenant, il n’avait pour ainsi dire pas l’impression exacte que ce fût Dolorès. C’était encore l’homme noir, Louis de Malreich, la bête immonde des ténèbres ; et cette bête il la tenait, et il ne la lâcherait pas.
Mais la vérité se ruait à l’assaut de son esprit et de sa conscience, et, vaincu, torturé d’angoisse, il murmura :
– Oh ! Dolorès… Dolorès…
Toute de suite, il vit l’excuse : la folie. Elle était folle. La sœur d’Altenheim, d’Isilda, la fille des derniers Malreich, de la mère démente et du père ivrogne, elle-même était folle. Folle étrange, folle avec toute l’apparence de la raison, mais folle cependant, déséquilibrée, malade, hors nature, vraiment monstrueuse.
En toute certitude il comprit cela ! C’était la folie du crime. Sous l’obsession d’un but vers lequel elle marchaitautomatiquement, elle tuait, avide de sang, inconsciente et infernale.
Elle tuait parce qu’elle voulait quelque chose, elle tuait pour se défendre, elle tuait pour cacher qu’elle avait tué. Mais elle tuait aussi, et surtout, pour tuer. Le meurtrier satisfaisait en elle des appétits soudains et irrésistibles. À certaines secondes de sa vie, dans certaines circonstances, en face de tel être, devenu subitement l’adversaire, il fallait que son bras frappât.
Et elle frappait, ivre de rage, férocement, frénétiquement.
Folle étrange, irresponsable de ses meurtres, et cependant si lucide en son aveuglement ! Si logique dans son désordre ! Si intelligente dans son absurdité ! Quelle adresse ! Quelle persévérance ! Quelles combinaisons à la fois détestables et admirables !
Et Lupin, en une vision rapide, avec une acuité prodigieuse de regard, voyait la longue série des aventures sanglantes, et devinait les chemins mystérieux que Dolorès avait suivis.
Il la voyait, obsédée et possédée par le projet de son mari, projet qu’elle ne devait évidemment connaître qu’en partie. Il la voyait cherchant, elle aussi, ce Pierre Leduc que son mari poursuivait, et le cherchant pour l’épouser et pour retourner, reine, en ce petit royaume de Veldenz d’où ses parents avaient été ignominieusement chassés.
Et il la voyait au Palace-Hôtel, dans la chambre de son frère Altenheim, alors qu’on la supposait à Monte-Carlo. Il la voyait, durant des jours, qui épiait son mari, frôlant les murs, mêlée aux ténèbres, indistincte et inaperçue en son déguisement d’ombre.
Et une nuit, elle trouvait M. Kesselbach enchaîné, et elle frappait.
Et le matin, sur le point d’être dénoncée par le valet de chambre,