Les énigmes de l'Univers. Ernst Haeckel
Читать онлайн книгу.plus tard encore,—il y a seulement 40 ans—que Darwin, par sa théorie de la descendance réformée, nous a fourni la clef capable d'ouvrir la porte fermée, derrière laquelle l'embryologie abrite ses secrets et les moyens d'en pénétrer les causes. Ayant donné de ces faits,—du plus haut intérêt mais d'une interprétation difficile,—un exposé à la portée de tous et développé, dans mon Embryologie de l'homme (1re partie de l'anthropogénie, 4e éd., 1891), je me bornerai ici à résumer et interpréter brièvement les phénomènes principaux. Jetons d'abord un regard en arrière afin d'avoir un aperçu historique de ce que furent, dans le passé, l'Ontogénie et, s'y rattachant, la théorie de la préformation.
Théorie de la préformation.—L'embryologie à ses débuts (cf. la leçon II de mon Anthropogénie). De même que, pour l'anatomie comparée, les œuvres classiques d'Aristote, du «Père de l'histoire naturelle», dans toutes ses branches, sont encore pour l'embryologie la source scientifique la plus ancienne que nous connaissions (IVe siècle avant J.-C.). Non seulement dans sa grande Histoire des animaux, mais encore dans un traité spécial et plus petit, Cinq livres sur la génération et le développement des animaux, le grand philosophe nous rapporte une masse de faits intéressants et il y joint des considérations relatives à leur interprétation; beaucoup d'entre elles n'ont été appréciées à leur juste valeur qu'en ces derniers temps et même on peut dire qu'on les a découvertes à nouveau. Naturellement il s'y trouve aussi beaucoup de fables et d'erreurs, et quant au développement caché de l'embryon humain, on ne savait rien de précis à cette époque. Mais pendant la longue période suivante, pendant un espace de temps de deux mille ans, la science sommeilla sans faire aucun progrès. C'est seulement au début du XVIIe siècle qu'on recommença à s'occuper de ces questions; l'anatomiste italien, Fabrice d'Aquapendente (de Padoue) publia en 1600 les plus anciennes figures et descriptions que nous ayons d'embryons humains et d'animaux supérieurs; tandis que le célèbre Malpighi (de Bologne), novateur en zoologie comme en botanique, donna en 1687 le premier exposé complet de la formation du jeune poulet dans l'œuf, après l'incubation.
Tous ces anciens observateurs étaient dominés par cette idée que dans l'œuf des animaux, comme dans la semence des plantes supérieures, le corps tout entier, avec toutes ses parties existait déjà préformé, mais si ténu et si transparent qu'on ne pouvait le reconnaître; le développement tout entier n'était, par suite, rien d'autre que la croissance ou l'évolution (evolutio) des parties enveloppées (partes involutæ). Le meilleur nom qui convienne à cette théorie erronée, qui a été presque universellement admise jusqu'au commencement de notre siècle, c'est celui de théorie de la préformation; on l'appelle souvent aussi «théorie de l'évolution», mais par ce terme beaucoup d'auteurs modernes entendent également la théorie, tout autre, de la transformation.
Théorie de l'emboîtement. (Théorie de la scatulation).—En rapport étroit avec la théorie de la préformation et comme sa conséquence légitime, nous rencontrons au siècle dernier une théorie plus vaste qui occupa vivement les biologistes capables de penser: c'est l'étrange «théorie de l'emboîtement». Puisqu'on admettait que dans l'œuf, l'ébauche de l'organisme entier avec toutes ses parties existait déjà, il fallait que l'ovaire du jeune fœtus avec les œufs de la génération suivante y fût préformé et que ceux-ci, à leur tour, continssent les œufs de la génération d'après, et ainsi de suite à l'infini! Là-dessus, le célèbre physiologiste Haller calcula qu'il y a 6.000 ans, le sixième jour de la création, le bon Dieu avait produit en même temps les germes de 200.000 millions d'hommes et les avait habilement emboîtés l'un dans l'autre dans l'ovaire de notre respectable mère Ève. Un philosophe, qui n'était rien moins que le grand Leibniz, adopta ces vues et en tira parti pour sa théorie des Monades; et comme en vertu de celle-ci le corps et l'âme sont éternellement et indissolublement unis, Leibniz appliqua sa théorie du corps à l'âme. «Les âmes des hommes ont toujours existé sous la forme de corps organisés en la personne de leurs ancêtres jusqu'à Adam, c'est-à-dire depuis le commencement des choses!!!»
Théorie de l'épigenèse.—En novembre 1758, à Halle, un jeune médecin de 26 ans, G. Fr. Wolff (le fils d'un cordonnier de Berlin), soutenait sa thèse de doctorat, laquelle avait pour titre Theoria generationis. Appuyant sa démonstration sur une série d'expériences aussi laborieuses que soigneusement faites, il établissait que toute la théorie régnante de la préformation et de la scatulation était fausse.
Dans l'œuf de poule, après l'incubation, il n'y a, au début, aucune trace de ce qui sera plus tard le corps de l'oiseau avec ses différentes parties; mais au lieu de cela nous trouvons en haut, sur la sphère jaune de vitellus, un petit disque circulaire, blanc. Ce mince disque germinatif devient ovale et se subdivise alors en quatre couches situées l'une au-dessus de l'autre et qui sont les ébauches des quatre systèmes les plus importants d'organes: d'abord, le plus superficiel, le système nerveux; au-dessous, la masse charnue (système musculaire); puis le système vasculaire (avec le cœur) et enfin le canal intestinal. Ainsi, disait Wolff avec raison, la formation du fœtus consiste, non pas dans le développement d'organes préformés, mais dans une chaîne de néoformations, dans une vraie «épigenèse»; les parties apparaissent l'une après l'autre et toutes sous une forme simple, absolument différente de celle qui se développera plus tard: celle-ci ne se produit que par une série de transformations merveilleuses. Cette grande découverte—une des plus importantes du XVIIIe siècle—bien qu'elle ait pu être confirmée immédiatement par la seule vérification des faits observés, et bien que la Théorie de la génération fondée sur elle ne fût pas à proprement parler une théorie mais un simple fait, demeura complètement méconnue pendant un demi-siècle.
La principale entrave lui venait de la puissante autorité de Haller qui la combattait avec obstination, lui opposant ce dogme: «Il n'y a pas de devenir! aucune partie du corps n'est formée avant l'autre, toutes se produisent en même temps.» Wolff, qui avait dû partir pour Pétersbourg, était mort depuis longtemps lorsque ses découvertes, oubliées depuis, furent reproduites par Lorenz Oken, à Iéna (1806).
Théorie des feuillets germinatifs.—Après que la théorie de l'épigenèse de Wolff eût été confirmée par Oken et par Meckel (1812) et que l'important travail de celui-ci sur le développement du tube intestinal eût été traduit du latin en allemand, beaucoup de jeunes naturalistes, en Allemagne, se mirent avec le plus grand zèle à l'étude précise de l'embryologie. Le plus célèbre et le plus heureux d'entre eux fut C. E. Baer; son fameux ouvrage parut en 1828 sous ce titre: Embryologie des animaux. Observation et réflexion. Non seulement le processus de développement du germe y est décrit d'une façon complète et remarquablement claire, mais on trouve, en outre, dans ce livre nombre de réflexions profondes au sujet des faits observés. C'est à décrire la formation de l'embryon chez l'homme et les Vertébrés, que l'auteur s'est surtout attaché, mais il examine, en outre, l'ontogénie toute différente des animaux inférieurs, invertébrés. Les deux assises en forme de feuillets qui apparaissent les premières dans le disque rond germinatif des Vertébrés supérieurs, se subdivisent d'abord chacune, selon Baer, en deux feuillets et les quatre feuillets germinatifs se transforment en quatre tubes qui donnent les organes fondamentaux: couche épidermique, couche musculaire, couche vasculaire et couche muqueuse. A la suite de processus d'épigenèse très compliqués, les organes définitifs se constituent et cela de la même manière chez l'homme et chez tous les Vertébrés. Il en va tout autrement dans les trois groupes principaux d'Invertébrés, qui d'ailleurs diffèrent encore à ce point de vue les uns des autres. Parmi les nombreuses découvertes particulières de Baer, l'une des plus importantes fut l'œuf humain. Jusqu'alors, chez l'homme comme chez tous les Mammifères, on avait considéré comme des ovules certaines petites vésicules, abondantes dans l'ovaire. Baer, le premier, montra en 1827 que les véritables ovules sont enfermés dans ces vésicules, les «follicules de Graaf», qu'ils sont beaucoup plus petits qu'elles, que ce sont de petites sphères n'ayant que 0,2 millimètres de diamètre, visibles à l'œil nu dans des circonstances favorables. Le premier, Baer s'aperçut encore que, chez tous les Mammifères, ces petits ovules fécondés,