Les douze nouvelles nouvelles. Arsène Houssaye

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Les douze nouvelles nouvelles - Arsène Houssaye


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l'avertir. Faites-moi le sacrifice de m'ouvrir pour cette nuit votre chambre à coucher, où vous ne serez pas.

      —De tout mon coeur, princesse.

      —A quelle heure rentre votre amant?

      —Il vient toujours à minuit et demi.

      —Eh bien! je serai là avant minuit.

      Disposez tout pour que la comédie soit bien jouée; je donnerai cinq cents francs à votre femme de chambre. Naturellement, il n'y aura pas une bougie allumée; il n'y aura pas même une bougie dans la chambre à coucher, car je ne veux pas être reconnue.

      Caroline Bertin était silencieuse. Elle ne voulait pas rendre les dix mille francs, mais elle ne voulait pas perdre le vicomte. Enfin, une idée folle lui passant pas l'esprit, elle parut se résigner.

      —Soyez tranquille, princesse. J'ai une petite gueuse de femme de chambre qui est trop futée pour faire une bêtise... Donnez-moi toujours les cinq cents francs... Ça lui donnera du coeur à l'ouvrage.

      Naturellement, elle trouvait que ce serait de la folie de donner plus de cinq louis à une femme de chambre.

      Janina, qui déjà n'avait pas une haute estime pour la Faramineuse, lui donne cinq cents francs sous un regard de pitié.

      —Donc, à minuit, dit-elle.

      Caroline Bertin tendit la main à Janina, qui ne daigna pas comprendre; la jeune femme voulait bien qu'on lui tendît la main pour recevoir de l'argent, mais non pour serrer la sienne.

      En descendant le grand escalier de l'hôtel du Louvre, la courtisane rencontra le prince Rio.

      —D'où viens-tu, Caroline?

      La Faramineuse prit un air mystérieux pour conter l'histoire au prince.

      —Voilà un mari heureux! s'écria-t-il en riant.

      —Prince, vous avez votre coupé, mettez-moi à ma porte pour causer un peu.

      Que se dirent-ils?

      Cependant la pseudo-princesse éclatait en sanglots.

      Est-il possible que je vais jouer cette comédie? Oh! non, je ne la jouerai pas.

      Elle s'offensa de toute sa dignité.

      —Et pourtant, comme je serais heureuse de dire demain à mon mari: «Comment avez-vous passé la nuit?»

      Affolée par sa passion, la téméraire jeune femme était capable de tout, hormis de trahir Fernand. Elle se disait que peut-être Mme Hamilton avait raison et qu'il fallait tout risquer pour ne pas tout perdre. Qui sait s'il ne voudrait pas recommencer toujours cette nuit-là?

       Table des matières

      Jusqu'à onze heures, Janina, comme un roseau au vent, s'inclinait tour à tour sous la volonté et l'indécision, se disant: «Je n'irai pas,» quand elle était décidée à tenter l'aventure; se disant: «J'irai,» quand elle avait renoncé à tout.

      Ce qui la décida, coûte que coûte, vaille que vaille, c'est que son mari ne rentra pas pour dîner. Il lui écrivit un mot qui la glaça.

      Comme il aspirait à un secrétariat d'ambassade, il lui parlait du ministre.

      —Encore un mensonge! dit-elle en jetant la lettre au feu. Le ministre, c'est sa maîtresse; eh bien! je serai son ministre, moi!

      La Faramineuse demeurait rue Royale, dans un petit appartement qui était une première station vers les splendeurs de la vie de courtisane. Jusque-là elle avait eu plus de dettes que de rentes sur l'État. Son capital se composait de cinquante mille francs de diamants, d'un mobilier de toutes les paroisses et d'un tempérament de soupeuse. Pas une obole de plus!

      Janina fut presque surprise de trouver cet intérieur quelque peu mélancolique.

      —Comment, murmura-t-elle en entrant, il se plaît mieux sur ce fumier que dans mon nid de dentelles!

      Elle jeta ses yeux partout, avec la curiosité d'une grande dame chez une courtisane. Elle commença par déchirer une photographie de son mari, à la glace de la cheminée. Presque aussitôt, en feuilletant un roman de cuisinière, elle trouva comme signet une autre photographie. On pourrait croire que c'était celle de M. Alphonse, placée à la bonne page. Pas du tout. C'était le portrait d'un prince Rio, qui aime toutes les compagnies—même les mauvaises.

      La Faramineuse se servait de cette photographie en guise de coupe-papier.

      Janina reconnut le prince. Elle le rencontrait dans le monde. Elle constata une fois de plus qu'il ressemblait à son mari.

      Cependant, l'heure allait sonner. La jeune femme, de plus en plus pâle, entendait battre son coeur. Il lui semblait qu'elle allait mourir. Elle tomba agenouillée et demanda pardon à Dieu.

      Quand elle se releva, le hasard la mit en présence d'une bouteille de fine champagne. Pour se donner du courage, elle fit comme ces comédiennes qui ont peur à leur entrée en scène: elle but à pleine volée.

      Je ne sais si le courage lui vint plus tard, mais la fine champagne ne l'empêcha pas de s'écrier:

      —Quoi! c'est moi, moi Janina de R., qui vais me mettre dans ce lit!

      Elle avait reconnu, d'ailleurs, que la Faramineuse lui avait donné luxe du beau linge. Caroline Bertin, en la quittant, avait acheté au Louvre une magnifique paire de draps brodés au plumetis avec une couronne de princesse.

      Ce n'était pas une vaine dépense: cela lui servirait pour les grands jours. Mais au moins la princesse en aurait la virginité!

      A peine déshabillée, Janina s'écria: «Jamais!» Un peu plus, elle remettait sa robe.

      Mais elle entendit du bruit. Il fallait franchir le Rubicon.

      Elle éteignit les deux bougies du candélabre, elle les jeta dans la cheminée et se nicha dans le lit, où elle fit semblant de dormir.

      La Faramineuse lui avait dit que son amant la surprenait toujours endormie.

      La porte s'ouvrit.

      —Lui! murmura Janina. O mon Dieu, faites-nous mourir tous les deux.

      A ce moment, la femme de chambre répétait encore au nouveau venu sa leçon—bien apprise.

       Table des matières

      Ici, les documents font absolument défaut à l'historien. Ce qu'il sait bien, c'est ceci:

      Le lendemain, bien avant l'aurore. Janina s'envola comme un oiseau qui ne bat que d'une aile; ou plutôt, pour parler en prose, elle s'habilla en toute hâte vers quatre heures du matin, l'heure où elle savait que son mari s'échappait des bras de la Faramineuse. Sa longue pelisse cachait sa tête comme son corps, mais elle ne se trouvait pas encore assez cachée pour sortir de chez une fille et pour rentrer chez une honnête femme!

      Rentra-t-elle chez une honnête femme?

      Fut-elle vraiment bien surprise quand sa fille de chambre lui dit, tout ébahie de la voir rentrer si tard sans être en toilette de bal:

       —Madame sait-elle que Monsieur est revenu de très bonne heure avec une fièvre de cheval?

      Fut-ce pour Janina le Mané, Thécel, Pharès venant la surprendre dans l'enivrement de son triomphe,—ou de sa défaite? Savait-elle, à ce moment, que le beau prince entrevu en photographie dans le vulgaire roman que lisait la Faramineuse avait pris—nouveau Jupiter—les plumes et le nid d'Amphitryon?


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