Histoire de Sibylle. Feuillet Octave

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Histoire de Sibylle - Feuillet Octave


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paradis était sans mélange: tout ce pays de fleurs et d'oiseaux, dont sa grand'mère lui semblait être la reine, l'enchantait. Elle croyait vivre dans un de ces contes de fées dont on l'avait bercée. Son grand-père, créateur de ces riantes magies, lui paraissait, sous son nuage de poudre, un être presque divin. Madame de Férias, au reste, ne considérait pas son mari d'un oeil moins favorable. Sibylle, la voyant un jour penchée, dans une attitude d'extase, hors du vitrage de la serre, se pencha à son tout et aperçut M. de Férias écussonnant un rosier au soleil du matin.

      — Mon Dieu, ma mignonne, dit la marquise, voyez comme votre grand-père est beau! Que je le trouve beau!

      Sibylle partit de son pied léger, et, s'approchant du vieux marquis, elle lui interpréta ce message affectueux dans sa langue un peu fière:

      — Grand-père, la marquise de Férias m'envoie vous dire qu'elle vous trouve beau.

      Le marquis sourit.

      — Quelle folie! Allez lui dire que c'est elle qui est charmante.

      Puis, la rappelant:

      — Portez-lui cette fleur, ajouta-t-il.

       Table des matières

      LE FOU DE SIBYLLE

      En été, quand l'aube s'est levée radieuse dans un azur immaculé, les premières heures du jour ont une pureté et un calme que l'on croirait éternels. Cependant des brises folles s'élèvent tout à coup, inclinent les herbes et agitent le feuillage; des réseaux blanchâtres s'entre-croisent dans le ciel, d'un horizon à l'autre, comme des voiles tendus soudain par des mains invisibles. On s'inquiète, et l'on se dit qu'il pourrait bien venir de l'orage dans la journée.

      Aucune image ne saurait aussi exactement que cette vieille image indiquer la phase nouvelle dans laquelle parut entrer l'enfance de Sibylle après cinq ou six ans de la parfaite sérénité que nous avons essayé de peindre. Son humeur devint subitement inégale. Elle avait des instants de folle gaieté; plus souvent, un souffle inconnu semblait faire frissonner son jeune coeur, et courbait sa blonde tête comme la cime d'un épi. En même temps une vague poésie chantait à son oreille, et elle se prenait par accès d'un goût bizarre pour la solitude. Elle entraînait alors sa nourrice dans les bois qui s'étendaient autour du parc de Férias, et ne rentrait que le soir au château.

      — Que peut-elle faire tout le jour dans ces bois? Quel plaisir y trouve-t-elle, nourrice? demanda enfin M. de Férias, se préoccupant de ces étranges allures.

      — Monsieur le marquis, répondit la nourrice, voici ce qui se passe. Nous nous promenons d'abord tranquillement un bon bout de temps, et mademoiselle est sage comme une image. Seulement, si elle vient à apercevoir entre les arbres un coin du bleu de la mer, elle s'affole, elle bat des mains, elle de met à crier: "Nourrice, la mer! la mer!" et puis elle me saisit par la main et me force à courir avec elle jusqu'à ce que je tombe, et elle crie toujours: "la mer! la mer! la mer!" et elle rit de toutes ses forces. Alors je m'assois au pied d'un arbre et je prends mon ouvrage; mademoiselle s'assoit le plus souvent à côté de moi; un rien l'amuse: c'est un feuillage, monsieur le marquis, une fleurette, un brin de mousse, qu'elle regardera avec son grand sérieux pendant des heures. D'autres fois elle s'en va en plein fourré, se couche dans les herbes et s'endort comme une perdrix dans un sillon. Je dis qu'elle dort, monsieur le marquis, mais je n'en sais rien, car aujourd'hui, quand j'ai relevé son chapeau, qu'elle avait rabattu sur ses yeux, elle pleurait. C'était peut-être un rêve qu'elle faisait.

      Cette dernière circonstance alarma la sollicitude du marquis.

       Sibylle fut mandée.

      — Pourquoi avez-vous pleuré aujourd'hui dans les bois, ma chérie? lui dit-il. Avez-vous quelque chagrin? êtes-vous malheureuse?

      — Oh! Dieu, non! dit vivement l'enfant en sautant au cou de son aïeul.

      — Pourquoi donc avez-vous pleuré?

      — Je ne sais pas… pour rien.

      Il fallut se contenter de cette réponse.

      Il y avait dans les bois de Férias un site pour lequel Sibylle témoignait une prédilection spéciale. C'était un étroit vallon fort retiré, dans le creux duquel courait un ruisseau à demi caché sous la verdure de ses bords. A la naissance du ruisseau, le sol était profondément déchiré en travers du bois. Une roche était adossée contre cet escarpement et laissait filtrer de minces filets d'eau limpide qui se réunissaient dans un bassin d'antique maçonnerie, dont le trop-plein s'échappait ensuite vers le vallon. Cette roche pleurante, dominée par d'épais ombrages, festonnée de lianes, tapissée d'une mousse humide et de grandes feuilles vernissées, avait dans cette solitude un aspect sauvage et charmant, qui lui avait apparemment valu autrefois les honneurs d'une légende dont il ne restait plus que le nom: on l'appelait la Roche à la Fée. Ce nom, qui évoquait tous les romans de son enfance, contribuait beaucoup sans doute à faire de ce lieu une des stations favorites de Sibylle. Elle demeurait là avec une singulière persévérance, surveillant d'un oeil curieux cette merveilleuse roche, — à demi craintive, à demi enchantée. Elle attendait une aventure. Il lui en arrive deux.

      Un soir d'été, elle était venue rendre visite à la Roche-Fée, tandis que sa nourrice, suivant l'usage, travaillait au pied d'un arbre dans la partie supérieure du bois. Sibylle aimait à être seule avec sa roche. Mademoiselle de Férias était à cette époque une fillette de sept à huit ans, grande pour son âge, élégante et marchant bien. La masse épaisse de ses cheveux blonds était emprisonnée dans un réseau dont le poids semblait faire fléchir sa tête en arrière par un mouvement d'une grâce hautaine. Elle portait habituellement un chapeau à bords plats autour duquel était roulée une plume noire qui retombait légèrement sur son front et qui jetait sur ses yeux, naturellement profonds, une ombre un peu farouche; mais quelquefois elle avait la fantaisie d'enlacer dans ses cheveux des lianes, des feuillages et des fleurs qui formaient sur sa tête une de ces épaisses couronnes qui ombragent le front des jeunes pâtres joueurs de flûte dans les scènes figurées des âges mythologiques. — Elle avait eu, ce soir-là, cette fantaisie, et, se servant de la petite fontaine comme d'un miroir, elle s'était composé une coiffure d'une grâce sauvage. — Elle tenait à la main une baguette qu'elle avait dépouillée de son écorce: debout sur le bord du bassin, le regard vague et perdu, elle levait le bras de temps à autre et dessinait lentement dans l'air avec sa baguette blanche des signes mystérieux, comme si elle eût joué un rôle dans quelque idylle féerique dont elle s'enchantait elle-même. Tout à coup, en face d'elle, la taillis s'entr'ouvrit, et un homme sauta légèrement sur le terre-plein qui entourait la fontaine. Sibylle fit un mouvement en arrière et entr'ouvrit les lèvres pour crier: puis elle demeura immobile, une main appuyée sur sa baguette, dans une pose intrépide, l'oeil fixé sur l'inconnu. Cet inconnu n'avait à la vérité rien d'effrayant: c'était un jeune homme d'une vingtaine d'années au plus, en tenue de voyage, grand, souple, avec un reste de grâce adolescente et une douce flamme dans des yeux bien ouverts. L'aspect imprévu de l'enfant, sa beauté, sa couronne étrange, son attitude héroïque, avaient d'abord jeté ce jeune homme dans un étonnement silencieux. Il murmura enfin quelques mots en souriant et en se parlant à lui-même, puis il dit à haute voix:

      — Pardon, mademoiselle… Je suis peut-être ici chez vous?

      — Oui, dit Sibylle.

      — Excusez mon indiscrétion. Je vais me retirer. J'étais venu, ajouta-t-il en montrant un album, pour dessiner dans ces bois que je croyais ouverts au public.

      Sibylle ne répondant point, il fit deux pas comme pour s'éloigner.

      — C'est dommage, reprit-il gaiement. Quel joli endroit! Puis-je vous demander comment on l'appelle?

      — La Roche à la Fée.

      — Ah! Et vous êtes la fée? dit le jeune homme,


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