Physiologie de l'amour moderne. Paul Bourget

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Physiologie de l'amour moderne - Paul Bourget


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ne le redoutez pas, le familier, mais bien plutôt le personnage parfaitement élevé, qui s'approche de votre maîtresse avec un visible respect, et de vous avec des formes irréprochables. Observez son œul discret et fin, entre ses paupières un peu bridées. Remarquez comme votre maîtresse, qui plaisante si aisément, si gaiement, avec l'un et avec l'autre, prend une nuance de sérieux rien que pour offrir à celui-là une tasse de thé. Parlez de lui avec elle et voyez comme elle s'attache aussitôt à endormir votre jalousie, elle qui d'ordinaire s'amuse à l'éveiller. «Ce qu'il y a de charmant avec M. N——» vous dira-t-elle, «c'est qu'on voit si bien qu'il sait que je suis à vous....» Je l'ai entendu, ce mot, voici des années, et j'y ai cru! Deux ou trois phrases comme celle-là, et la présence de plus en plus fréquente de M. N—— chez votre amie, sans qu'il semble faire aucun progrès dans son intimité,—vous pourrez être convaincu que votre bonheur, ou ce que vous appelez de ce nom, court un très grand risque, et convaincu aussi que vous êtes en présence du véritable homme à femmes. C'est son procédé. Avec lui, un minimum de drame, de scandale et d'étalage. Il n'opère qu'à coup sûr et dans le tête-à-tête. Sur quoi, si vous appartenez à la catégorie des «combinaisons financières», ou «mondaines», ou «littéraires»,—il en est de tous ordres,—c'est-à-dire si vous n'êtes pas aimé pour vous-même, soyez raisonnable, on vous gardera. Votre rival a trop de tact pour demander qu'on vous sacrifie. Mais n'essayez pas de lutter contre lui. Si vous appartenez au groupe des faux hommes à femmes, ne luttez pas non plus. Passez la main avec grâce. C'est la seule manière de garder l'amitié d'une ancienne maîtresse, quand elle vaut la peine qu'on reste son ami. Si vous êtes vous-même un amant de la véritable espèce, passez la main encore. Vous devez savoir qu'aucun homme d'amour ne s'occupe d'une femme sans y avoir été encouragé. Concluez-en que votre maîtresse aguiche votre rival. Par conséquent il faut déménager, sous peine d'essuyer tous les plâtres de la petite maison où vous aviez niché votre cœur et qui est en train de s'écrouler. Malheureusement, ce passage de main est quelquefois difficile. L'amour-propre de l'homme s'y oppose, et, qui pis est, celui de la femme. Elle veut bien vous trahir et vous mettre à la porte. Elle ne veut pas que vous prévoyiez sa trahison et que vous la preniez de vous-même, cette porte. Et puis il arrive que l'on aime encore au moment où l'on n'est plus aimé. Tâchez cependant de partir, même amoureux, en vous souvenant de ce principe:

      IX

      Un bonheur qui a passé par la jalousie est comme un joli visage qui a passé par la petite vérole. Il reste grêlé.

      Les amants supérieurs préféreront toujours le chagrin immédiat de l'abandon à cette avilissante et indéfinie douleur du soupçon. Mais toutes les supériorités sont rares, et la supériorité sentimentale plus que toutes les autres.

       Table des matières

       Table des matières

      —«Tu ne peux pas comprendre ça, papa, tu n'es pas assez fin de siècle [1]

      Cette phrase dédaigneuse se prononçait dans une salle à manger d'un délicieux appartement de la rue François-Ier, toute garnie de tapisseries à personnages représentant des scènes d'auberges, d'après Téniers. La mère du jeune homme qui parlait ainsi était absente. Nous achevions de déjeuner, le père, le fils et moi: le père, grand et fort, un vrai type d'homme du second Empire, fils d'un paysan, un self made man, comme disent les Anglais, avec de gros os, de larges mains, une immédiate hérédité de rudes travailleurs dans ses larges épaules et son teint rouge; le fils, long et maigriot, ayant déjà dans son torse étriqué, dans sa pâleur, dans ses muscles appauvris, cette espèce d'épuisement sans aristocratie qui se produit dès la troisième génération dans notre bourgeoisie issue de la glèbe.—Cela n'empêche pas nos politiciens, qui se soucient du problème de la race autant que de leur premier programme, de s'extasier sur la société contemporaine et de considérer comme un progrès l'universelle accession du peuple à cet épuisement. Ils n'ont jamais compris qu'en mettant quelques obstacles au passage des classes les unes dans les autres on ne fait arriver que les familles vraiment dignes de primer. C'est rendre service aux autres que de les maintenir dans la modestie de leurs habitudes.—Quand cette belle phrase fut tombée de cette jeune bouche, le père et moi, nous nous regardâmes, et nous devînmes tristes au lieu de sourire; lui, parce que ce gommeux, dévirilisé déjà, était son fils; et moi, parce que j'avais encore, en ces temps-là, l'observation amère, un des ridicules pédantismes de l'époque, dont je ne suis pas assez guéri. Nos, aïeux-y voyaient aussi avant que nous dans la sottise et l'infamie humaines. Seulement, ils savaient raconter gaiement leur misanthropie. Et elle était si gaie, je le comprends aujourd'hui, la mine de cet évidé à monocle, jetant par-dessus bord sa vieille baderne d'honnête homme de père,—lequel avait plus de jeunesse dans son petit doigt que l'autre dans toute sa personne! Puis la formule était excellente et digne de faire fortune. Elle marquait bien qu'il y a en France une nouvelle poussée depuis la funeste guerre, de nouveaux venus et qui s'installent dans la décadence nationale avec sérénité, presque avec verve. Et moi, sur le point de rechercher quelques-uns des traits qui, dans la grande espèce des amants, distinguent l'amant actuel, à la date du jour et de l'heure, je me souviens de l'aimable évidé, et je l'entends qui ricane: «Non, ce n'est pas encore assez fin de siècle....» Ce n'est pas faute, enfant dégénéré, d'avoir regardé à la loupe le progrès que le cancer parisien a fait dans ton cœur. Hélas! Je devrais ajouter, dans nos cœurs.

      Ce sont toujours les mêmes qui sont Amants, disais-je ou à peu près dans la Méditation III, pour faire pendant au mot célèbre: «A la guerre, ce sont toujours les mêmes qui se font tuer.» Or, ce qui constitue l'Amant, par-dessous l'enguirlandage des théories romanesques ou cyniques,—c'est le Sexe. Pour bien définir la nuance des sentiments que les hommes dont l'amour est l'unique affaire éprouvent auprès d'une femme, c'est leur histoire sexuelle qu'il faudrait établir. Un laboureur, nourri de lard, de fromage et de pommes de terre, qui peine tout le jour, qui n'ouvre jamais un livre, quand il est assailli par la puberté, comme une bête, vers ses dix-huit ans, peut-il être comparé à ce que nous étions, vous ou moi, à cet âge où notre innocence valait à peu près celle d'un capitaine de hussards? J'ai parlé du lard, du fromage et des pommes de terre, car ce n'est pas seulement le plus ou moins de pratiques amoureuses qui modifie l'instinct sexuel, c'est la nourriture et c'est la boisson, c'est les occupations et c'est l'air respiré. L'ouvrier qui travaille le caoutchouc perd sa virilité par la seule influence du sulfure de carbone, et celui qui fabrique des allumettes, par celle du phosphore. Voilà deux cas extrêmes d'un fait constant. L'hérédité apparaît aussi comme un puissant modificateur de cet instinct. Entre la fille d'un père chaste et celle d'un père qui a vécu, entre le fils d'une honnête femme et le fils d'une femme galante; il y a la même différence qu'entre les enfants d'un goutteux et ceux d'un phtisique.... Imaginons maintenant le jeune homme d'aujourd'hui, que la nature destine à jouer le rôle d'Amant, et suivons les étapes de sa sensualité, en tenant compte de ces quelques réflexions qui ne sont qu'un commentaire du vieil adage: «Totus homo semen est....» lequel correspond à cet autre: «Tota mulier in utero....» Je laisse au lecteur le soin de traduire ces deux petites formules à mes lectrices, s'il en est qui aient pu supporter l'atmosphère de laboratoire répandue à dessein sur ces Méditations, pour en écarter le public à qui elles pourraient nuire.

      Le futur Amant vient d'entrer dans sa dixième année. Des deux animaux qui vivent en nous, celui qui se nourrit, celui qui se reproduit, le premier seul fonctionne en plein travail. Le second sommeille. C'est le moment où d'ordinaire les parents mettent le petit garçon interne au lycée. Si le père est occupé, il a trop de soucis en tête pour suivre l'éducation du fils. S'il n'est pas occupé, il a trop de soucis encore, entre le cercle et le théâtre, les visites et ses maîtresses.


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