La femme au collier de velours. Alexandre Dumas
Читать онлайн книгу.de la verve, c'était de l'entrain, c'était de la jeunesse; mais ce n'était point cette bonhomie, ce charme inexprimable, cette grâce infinie, où, comme dans un filet tendu, l'oiseleur prend tout, grands et petits oiseaux. Ce n'était pas Nodier.
C'était un pis-aller dont on se contentait, voilà tout.
Mais parfois je boudais, parfois je ne voulais pas parler, et, à mon refus de parler, il fallait bien, comme il était chez lui, que Nodier parlât; alors tout le monde écoutait, petits enfants et grandes personnes. C'était à la fois Walter Scott et Perrault, c'était le savant aux prises avec le poète, c'était la mémoire en lutte avec l'imagination. Non seulement alors Nodier était amusant à entendre, mais encore Nodier était charmant à voir. Son long corps efflanqué, ses longs bras maigres, ses longues mains pâles, son long visage plein d'une mélancolique bonté, tout cela s'harmonisait avec sa parole un peu traînante, que modulait sur certains tons ramenés périodiquement un accent franc-comtois que Nodier n'a jamais entièrement perdu. Oh! alors le récit était chose inépuisable, toujours nouvelle, jamais répétée. Le temps, l'espace, l'histoire, la nature, étaient pour Nodier cette bourse de Fortunatus d'où Pierre Schlemihl tirait ses mains toujours pleines. Il avait connu tout le monde. Danton, Charlotte Corday, Gustave III, Cagliostro, Pie VI, Catherine II, le grand Frédéric, que sais-je? Comme le comte de Saint-Germain et le taratantaleo, il avait assisté à la création du monde et traversé les siècles en se transformant. Il avait même, sur cette transformation, une théorie des plus ingénieuses, selon Nodier, les rêves n'étaient qu'un souvenir des jours écoulés dans une autre planète, une réminiscence de ce qui avait été jadis. Selon Nodier, les songes les plus fantastiques correspondaient à des faits accomplis autrefois dans Saturne, dans Vénus ou dans Mercure: les images les plus étranges n'étaient que l'ombre des formes qui avaient imprimé leurs souvenirs dans notre âme immortelle. En visitant pour la première fois le Musée fossile du Jardin des Plantes, il s'est écrié, retrouvant des animaux qu'il avait vus dans le déluge de Deucalion et de Pyrrha, et parfois il lui échappait d'avouer que, voyant la tendance des Templiers à la possession universelle, il avait donné à Jacques de Molay le conseil de maîtriser son ambition. Ce n'était pas sa faute si Jésus-Christ avait été crucifié; seul parmi ses auditeurs, il l'avait prévenu des mauvaises intentions de Pilate à son égard. C'était surtout le Juif errant que Nodier avait eu l'occasion de rencontrer: la première fois à Rome du temps de Grégoire VII; la seconde fois à Paris, la veille de la Saint-Barthélemy, et la dernière fois à Vienne en Dauphiné, et sur lequel il avait des documents les plus précieux. Et à ce propos il relevait une erreur dans laquelle étaient tombés les savants et les poètes, et particulièrement Edgar Quinet: ce n'était pas Ahasvérus, qui est un nom moitié grec moitié latin, que s'appelait l'homme aux cinq sous, c'était Isaac Laquedem: de cela il pouvait en répondre, il tenait le renseignement de sa propre bouche. Puis de la politique, de la philosophie, de la tradition, il passait à l'histoire naturelle. Oh! comme dans cette scène Nodier distançait Hérodote, Pline, Marco Polo, Buffon et Lacépède! Il avait connu des araignées près desquelles l'araignée de Pélisson n'était qu'une drôlesse; il avait fréquenté des crapauds près desquels Mathusalem n'était qu'un enfant; enfin il avait été en relation avec des caïmans près desquels la tarasque n'était qu'un lézard.
Aussi il tombait à Nodier de ces hasards comme il n'en tombe qu'aux hommes de génie. Un jour qu'il cherchait des lépidoptères, c'était pendant son séjour en Styrie, pays des roches granitiques et des arbres séculaires, il monta contre un arbre afin d'atteindre une cavité qu'il apercevait, fourra sa main dans cette cavité, comme il avait l'habitude de le faire, et cela assez imprudemment, car un jour il retira d'une cavité pareille son bras enrichi d'un serpent qui s'était enroulé à l'entour; un jour donc qu'ayant trouvé une cavité il fourrait sa main dans cette cavité, il sentit quelque chose de flasque, et de gluant qui cédait à la pression de ses doigts. Il ramena vivement sa main à lui, et regarda: deux yeux brillaient d'un feu terne au fond de cette cavité. Nodier croyait au diable; aussi, en voyant ces deux yeux qui ne ressemblaient pas mal aux yeux de braise de Charon, comme dit Dante, Nodier commença par s'enfuir, puis il réfléchit, se ravisa, prit une hachette, et, mesurant la profondeur du trou, il commença de faire une ouverture à l'endroit où il présumait que devait se trouver cet objet inconnu. Au cinquième ou sixième coup de hache qu'il frappa, le sang coula de l'arbre, ni plus ni moins que, sous l'épée de Tancrède, le sang coula de la forêt enchantée du Tasse. Mais ce ne fut pas une belle guerrière qui lui apparut, ce fut un énorme crapaud encastré dans l'arbre où, sans doute, il avait été emporté par le vent quand il était de la taille d'une abeille. Depuis combien de temps était-il là? Depuis deux cents ans, trois cents ans, cinq cents ans peut-être. Il avait cinq pouces de long sur trois de large.
Une autre fois, c'était en Normandie, du temps où il faisait avec Taylor le voyage pittoresque de la France: il entra dans une église à la voûte de cette église étaient suspendus une gigantesque araignée et un énorme crapaud. Il s'adressa à un paysan pour demander des renseignements sur ce singulier couple.
Et voici ce que le vieux paysan lui raconta, après l'avoir mené près d'une des dalles de l'église sur laquelle était sculpté un chevalier couché dans son armure.
Ce chevalier était un ancien baron, lequel avait laissé dans le pays de si méchants souvenirs, que les plus hardis se détournaient afin de ne pas mettre le pied sur sa tombe, et cela, non point par respect, mais par terreur. Au-dessus de cette tombe, à la suite d'un vœu fait par ce chevalier à son lit de mort, une lampe devait brûler nuit et jour, une pieuse fondation ayant été faite par le mort qui subvenait à cette dépense et bien au-delà.
Un beau jour, ou plutôt une belle nuit, pendant laquelle, par hasard, le curé ne dormait pas, il vit de la fenêtre de sa chambre, qui donnait sur celle de l'église, la lampe pâlir et s'éteindre. Il attribua la chose à un accident et n'y fit pas cette nuit une grande attention.
Mais, la nuit suivante, s'étant réveillé vers les deux heures du matin, l'idée lui vint de s'assurer si la lampe brûlait. Il descendit de son lit, s'approcha de la fenêtre, et constata de visu que l'église était plongée dans la plus profonde obscurité.
Cet événement, reproduit deux fois en quarante-huit heures, prenait une certaine gravité. Le lendemain, au point du jour, le curé fit venir le bedeau, et l'accusa tout simplement d'avoir mis l'huile dans sa salade au lieu de l'avoir mise dans la lampe. Le bedeau jura ses grands dieux qu'il n'en était rien; que tous les soirs, depuis quinze ans qu'il avait l'honneur d'être bedeau, il remplissait consciencieusement la lampe, et qu'il fallait que ce fût un tour de ce méchant chevalier qui, après avoir tourmenté les vivants pendant sa vie, recommençait à les tourmenter trois cents ans après sa mort.
Le curé déclara qu'il se fiait parfaitement à la parole du bedeau, mais qu'il n'en désirait pas moins assister le soir au remplissage de la lampe; en conséquence, à la nuit tombante, en présence du curé, l'huile fut introduite dans le récipient, et la lampe allumée; la lampe allumée, le curé ferma lui-même la porte de l'église, mit la clef dans sa poche, et se retira chez lui.
Puis il prit un bréviaire, s'accommoda près de sa fenêtre dans un grand fauteuil, et, les yeux alternativement fixés sur le livre et sur l'église, il attendit.
Vers minuit, il vit la lumière qui illuminait les vitraux diminuer, pâlir et s'éteindre.
Cette fois, il y avait une cause étrangère, mystérieuse, inexplicable, à laquelle le pauvre bedeau ne pouvait avoir aucune part.
Un instant, le curé pensa que des voleurs s'introduisaient dans l'église et volaient l'huile. Mais en supposant le méfait commis par des voleurs, c'étaient des gaillards bien honnêtes de se borner à voler l'huile, quand ils épargnaient les vases sacrés.
Ce n'étaient donc pas des voleurs; c'était donc une autre cause qu'aucune de celles qu'on pouvait imaginer, une cause surnaturelle peut-être. Le curé résolut de reconnaître cette cause, quelle qu'elle fût.
Le lendemain soir, il versa lui-même l'huile pour bien se convaincre qu'il n'était pas dupe d'un tour de passe-passe; puis, au lieu de sortir comme il l'avait