Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants. P. L. Jacob
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P. L. Jacob
Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066089580
Table des matières
CONTES
BIBLIOTHÈQUE DE RÉCRÉATION
DU BIBLIOPHILE JACOB
CONTES
LITTÉRAIRES
DU
BIBLIOPHILE JACOB
à ses petits-enfants
Illustrations par P. KAUFFMANN
DEUXIÈME ÉDITION
PARIS
1897
A
EDMOND FERDINAND PERIER
Lorsque tu seras en âge de lire ce recueil de Contes littéraires, que je dépose dans ton berceau, en te le dédiant, sons les auspices de tes bons parents, je ne serai plus là, sans doute, pour recevoir tes premiers remerciements; mais je suis heureux et satisfait de ceux que ton excellent père et ta charmante mère m'adressent aujourd'hui en ton nom.
Ils te diront, un jour, que j'étais leur ami, après avoir été celui de ton aïeul, et que j'ai voulu, par cette dédicace, te rappeler plus tard l'affection sincère qui m'attachait à ta famille depuis si longtemps.
Une dédicace, en tête d'un ouvrage composé pour la jeunesse, est, mon cher enfant, la bénédiction d'un vieillard.
Paul L. Jacob,
Bibliophile. Agé de cent vingt-cinq ans.
INTRODUCTION
LA CONVALESCENCE OU VIEUX CONTEUR
Je l'ai dit ailleurs: je suis vieux et bien vieux, quoique les centenaires deviennent de plus en plus rares depuis le temps du patriarche Jacob, dont je ne descends pas toutefois en ligne directe. J'ajouterai que mon nom est le seul point d'analogie qui me rapproche de cet antique chef d'Israël; il ne m'est pas donné, comme à lui, de voir dans mes derniers jours les enfants de mes petits-enfants, ni d'espérer une race aussi nombreuse que les étoiles. Voilà pourquoi je cherche à me créer une famille chez les autres et à me consoler de mon existence solitaire par de douces illusions. Il est si aisé de se persuader que tout ce qui nous aime nous appartient!
J'ai donc ainsi beaucoup, beaucoup d'enfants et de petits-enfants, fils et filles, qui répondent à ces noms-là avec tendresse, et qui m'appellent à leur tour papa Jacob, sans qu'il leur en coûte de prendre cette douce habitude. L'affection vraie et naïve que je sais leur inspirer n'acquiert tout son développement qu'à la suite d'une connaissance réciproque, plus ou moins prompte à s'établir entre nous; je ne dédaigne jamais d'en faire tous les frais, et je crois que l'amitié peut avoir de fortes racines dans un tout jeune coeur: les petits amis n'ont pas souvent l'ingratitude des grands.
Mon extérieur grave et bizarre, je l'avoue, ne prévient pas d'abord en ma faveur ces esprits légers, joyeux, craintifs, nouveaux dans la vie, ignorants de tout et surtout des hommes. Les enfants qui me rencontrent pour la première fois, sans avoir été apprivoisés d'avance par mon nom, qui est familier à la plupart d'entre eux, s'effarouchent, s'effraient et s'enfuient, à l'aspect inaccoutumé de ma physionomie et de mon costume. Il y a du Croquemitaine en mon air, et je ne m'abuse pas sur l'étrange caractère des traits de mon visage anguleux, grimaçant, ridé et jauni, sur la menaçante longueur de mon nez, sur le regard sévère de mes yeux couverts de gros sourcils blancs. Ma haute taille, encore droite, cependant, contraste avec ma maigreur et me donne un air assez imposant. Quant au costume, il est plus commode qu'élégant, et je ne trouve pas mauvais qu'on en rie; mais mon bonnet de coton, noué d'un ruban noir, préserve du froid ma tête chauve, mieux que ne ferait une perruque blonde ou poudrée, et mon ample robe de chambre, en soie à fleurs, dissimule les distractions ordinaires de ma toilette: c'est, d'ailleurs, une mise fort convenable pour les bouquins qui forment ma société et mon cortège.
[Illustration: Mon extérieur grave et bizarre, je l'avoue, ne prévient pas d'abord en ma faveur.]
Cependant les enfants me reviennent bientôt, quel que soit leur étonnement à ma première apparition; eussent-ils couru se cacher derrière le fauteuil de leur père ou dans les bras de leur mère, il suffit que mon nom soit prononcé, pour les ramener à l'instant jusque sur mes genoux; car ma réputation de conteur s'est répandue parmi eux, avant qu'ils aient appris à lire; on chérit tant les contes, à cet âge, qu'on est plus exigeant sur la quantité que sur la qualité: sans être un Berquin, un conteur de bonne volonté amuse et instruit facilement à la fois des intelligences neuves et impressionnables; il suffit de savoir se faire écouter, et bientôt on a un auditoire plus attentif, plus silencieux,