Valentine. George Sand
Читать онлайн книгу.ce que je puis vous dire de plus sincère, c'est que j'aime Athénaïs comme ma sœur; ayez donc la bonté de me l'amener. Je la cherche depuis longtemps sans pouvoir la joindre. Je voudrais pourtant bien l'embrasser.
Bénédict s'inclina profondément et revint bientôt avec sa cousine. Athénaïs se promena à travers la fête, bras dessus bras dessous avec la noble fille des comtes de Raimbault. Quoiqu'elle affectât de trouver la chose toute naturelle et que Valentine la comprît ainsi, il lui fut impossible de cacher le triomphe de sa joie orgueilleuse en face de ces autres femmes qui l'enviaient en s'efforçant de la dénigrer.
Cependant la vielle donna le signal de la bourrée. Athénaïs s'était engagée cette fois à la danser avec celui des jeunes gens qui l'avait arrêtée sur le chemin. Elle pria mademoiselle de Raimbault de lui servir de vis-à-vis.
—J'attendrai pour cela qu'on m'invite, répondit Valentine en souriant.
—Eh bien donc! Bénédict, s'écria vivement Athénaïs, allez inviter mademoiselle.
Bénédict intimidé consulta des yeux le visage de Valentine. Il lut dans sa douce et candide expression le désir d'accepter son offre. Alors il fit un pas vers elle. Mais tout à coup la comtesse sa mère lui saisit brusquement le bras en lui disant assez haut pour que Bénédict pût l'entendre:
—Ma fille, je vous défends de danser la bourrée avec tout autre qu'avec M. de Lansac.
Bénédict remarqua alors pour la première fois un grand jeune homme de la plus belle figure, qui donnait le bras à la comtesse; et il se rappela que ce nom était celui du fiancé de mademoiselle de Raimbault.
Il comprit bientôt le motif de l'effroi de sa mère. À un certain trille que la vielle exécute avant de commencer la bourrée, chaque danseur, selon un usage immémorial, doit embrasser sa danseuse. Le comte de Lansac, trop bien élevé pour se permettre cette liberté en public, transigea avec la coutume du Berri en baisant respectueusement la main de Valentine.
Ensuite le comte essaya quelques pas en avant et en arrière; mais sentant aussitôt qu'il ne pouvait saisir la mesure de cette danse, qu'il n'est donné à aucun étranger de bien exécuter, il s'arrêta et dit à Valentine:
—À présent, j'ai fait mon devoir, je vous ai installée ici selon la volonté de votre mère; mais je ne veux pas gâter votre plaisir par ma maladresse. Vous aviez un danseur tout prêt il y a un instant, permettez que je lui cède mes droits.
Et se tournant vers Bénédict:
—Voulez-vous bien me remplacer, Monsieur? lui dit-il avec un ton d'exquise politesse. Vous vous acquitterez de mon rôle beaucoup mieux que moi.
Et comme Bénédict, partagé entre la timidité et l'orgueil, hésitait à prendre cette place, dont on lui avait ravi le plus beau droit:
—Allons, Monsieur, ajouta M. de Lansac avec aménité, vous serez assez payé du service que je vous demande, et c'est à vous peut-être à m'en remercier.
Bénédict ne se fit pas prier plus longtemps; la main de Valentine vint sans répugnance trouver la sienne qui tremblait. La comtesse était satisfaite de la manière diplomatique dont son futur gendre avait arrangé l'affaire; mais tout d'un coup le joueur de vielle, facétieux et goguenard comme le sont les vrais artistes, interrompt le refrain de la bourrée, et fait entendre avec une affectation maligne le trille impératif. Il est enjoint au nouveau danseur d'embrasser sa partenaire. Bénédict devient pâle et perd contenance. Le père Lhéry, épouvanté de la colère qu'il lit dans les yeux de la comtesse, s'élance vers le vielleux et le conjure de passer outre. Le musicien villageois n'écoute rien, triomphe au milieu des rires et des bravos, et s'obstine à ne reprendre l'air qu'après la formalité de rigueur. Les autres danseurs s'impatientent. Madame de Raimbault se prépare à emmener sa fille. Mais M. de Lansac, homme de cour et homme d'esprit, sentant tout le ridicule de cette scène, s'avance de nouveau vers Bénédict avec une courtoisie un peu moqueuse:
—Eh bien, Monsieur, lui dit-il, faudra-t-il encore vous autoriser à prendre un droit dont je n'avais pas osé profiter? Vous n'épargnez rien à votre triomphe.
Bénédict imprima ses lèvres tremblantes sur les joues veloutées de la jeune comtesse. Un rapide sentiment d'orgueil et de plaisir l'anima un instant; mais il remarqua que Valentine, tout en rougissant, riait comme une bonne fille de toute cette aventure. Il se rappela qu'elle avait rougi aussi, mais qu'elle n'avait pas ri lorsque M. de Lansac lui avait baisé la main. Il se dit que ce beau comte, si poli, si adroit, si sensé, devait être aimé; et il n'eut plus aucun plaisir à danser avec elle, quoiqu'elle dansât la bourrée à merveille avec tout l'aplomb et le laisser-aller d'une villageoise.
Mais Athénaïs y portait encore plus de charme et de coquetterie; sa beauté était du genre de celles qui plaisent plus généralement. Les hommes d'une éducation vulgaire aiment les grâces qui attirent, les yeux qui préviennent, le sourire qui encourage. La jeune fermière trouvait dans son innocence même une assurance espiègle et piquante. En un instant elle fut entourée et comme enlevée par ses adorateurs campagnards. Bénédict la suivit encore quelque temps à travers le bal. Puis, mécontent de la voir s'éloigner de sa mère et se mêler à un essaim de jeunes étourdies autour duquel bourdonnaient des volées d'amoureux, il essaya de lui faire comprendre, par ses signes et par ses regards, qu'elle s'abandonnait trop à sa pétulance naturelle. Athénaïs ne s'en aperçut point ou ne voulut point s'en apercevoir. Bénédict prit de l'humeur, haussa les épaules, et quitta la fête. Il trouva dans l'auberge le valet de ferme de son oncle, qui s'était rendu là sur la petite jument grise que Bénédict montait ordinairement. Il le chargea de ramener le soir M. Lhéry et sa famille dans la patache, et, s'emparant de sa monture, il reprit seul le chemin de Grangeneuve à l'entrée de la nuit.
V.
Valentine, après avoir remercié Bénédict par un salut gracieux, quitta la danse, et, se tournant vers la comtesse, elle comprit à sa pâleur, à la contraction de ses lèvres, à la sécheresse de son regard, qu'un orage couvait contre elle dans le cœur vindicatif de sa mère. M. de Lansac, qui se sentait responsable de la conduite de sa fiancée, voulut lui épargner les âcres reproches du premier moment, et, lui offrant son bras, il suivit avec elle, à une certaine distance, madame de Raimbault, qui entraînait sa belle-mère et se dirigeait vers le lieu où l'attendait sa calèche. Valentine était émue, elle craignait la colère amassée sur sa tête; M. de Lansac, avec l'adresse et la grâce de son esprit, chercha à la distraire, et, affectant de regarder ce qui venait de se passer comme une niaiserie, il se chargea d'apaiser la comtesse. Valentine, reconnaissante de cet intérêt délicat qui semblait l'entourer toujours sans égoïsme et sans ridicule, sentit augmenter l'affection sincère que son futur époux lui inspirait.
Cependant la comtesse, outrée de n'avoir personne à quereller, s'en prit à la marquise sa belle-mère. Comme elle ne trouva pas ses gens au lieu indiqué parce qu'ils ne l'attendaient pas si tôt, il fallut faire quelques tours de promenade sur un chemin poudreux et pierreux, épreuve douloureuse pour des pieds qui avaient foulé des tapis de cachemire dans les appartements de Joséphine et de Marie-Louise. L'humeur de la comtesse en augmenta; elle repoussa presque la vieille marquise, qui, trébuchant à chaque pas, cherchait à s'appuyer sur son bras.
—Voilà une jolie fête, une charmante partie de plaisir! lui dit-elle. C'est vous qui l'avez voulu; vous m'avez amenée ici à mon corps défendant. Vous aimez la canaille, vous; mais, moi, je la déteste. Vous êtes-vous bien amusée, dites? Extasiez-vous donc sur les délices des champs! Trouvez-vous cette chaleur bien agréable?
—Oui, oui, répondit la vieille, j'ai quatre-vingts ans.
—Moi, je ne les ai pas; j'étouffe. Et cette poussière, ces grès qui