Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande. Anonyme

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Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande - Anonyme


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* *

      Or il advint que, ledit Mord étant allé de vie à trépas peu de temps après sa contestation avec Rut, Unne, qui par ses dissipations n'avait pas tardé à être réduite à la gêne, imagina d'avoir recours à Gunnar. Le premier mouvement de ce dernier fut d'ouvrir sa bourse à sa cousine; mais celle-ci refusa d'y puiser. Son unique désir, le but de sa démarche auprès de lui, c'était, disait-elle, de recouvrer la fameuse dot restée en litige.

      «Le cas est fort délicat, lui répondit tout d'abord Gunnar; ton père, qui entendait la loi, n'y a pu réussir, et moi, je ne suis nullement un légiste.»

      Il y avait, en effet, chez les Islandais de ce temps, pour saisir le tribunal d'une affaire et la suivre par-devant les juges, une procédure excessivement compliquée, tout un arsenal de formules qu'il était d'autant plus malaisé de connaître, que les lois n'étaient encore ni codifiées ni écrites comme elles le furent plus tard dans le livre appelé le Graagaasen (l'Oie grise). Il en résultait que quiconque s'écartait si peu que ce fût d'une seule des prescriptions requises donnait aussitôt barre à son adversaire et perdait sa cause.

      «Oh! fit Unne pour répondre aux objections de Gunnar, c'est par l'intimidation et l'audace, bien plus que par les moyens légaux, que Rut a eu raison de mon père. Le cœur, pour cette tâche, te faillirait-il?»

      Gunnar, à ce mot, se mit à rire.

      «Eh bien, reprit la cousine, va consulter ton ami Nial à Bergtorsvol; il te donnera quelque bon conseil.»

      Ainsi fut-il entendu.

      *

       * *

      Nial, fils de Torg, habitait entre la Quéran et la mer un district insulaire (les îles de la Côte) formé par un troisième bras de la Markar.

      C'était, lui aussi, un homme fort riche, plein de noblesse dans le caractère, mais extrêmement pacifique d'humeur. Quoique le courage ne lui manquât pas, il se fiait surtout en sa science. À une sagesse rare et à d'infinies ressources d'esprit, il passait pour joindre le don de divination, et, dès qu'il se mêlait d'une affaire, le succès en était assuré.

      Très avenant d'extérieur, il avait pourtant un défaut réputé alors fort grave chez un homme: c'était d'être imberbe.

      Quand Gunnar lui eut exposé l'objet de sa visite, Nial réfléchit un instant; puis il dit:

      «La question est épineuse, en effet, et ne laisse pas d'offrir du péril. Voici cependant la marche qui me semble la meilleure à suivre. Si tu te conformes de point en point à mes instructions, tout ira bien; sinon, mieux vaudrait t'abstenir.»

      Gunnar assura qu'il ne pécherait point d'un écart.

      «Eh bien, reprit Nial, demain matin tu te mettras en route, accompagné de deux hommes. Chacun de vous emmènera deux chevaux, un gras et un maigre. Toi, tu t'envelopperas d'un manteau de voyage grossier, sous lequel tu porteras un habit rougeâtre par-dessus tes vêtements ordinaires. Tu auras avec toi une hache avec quelques marchandises de forgeron, et, lorsque tu auras fait un bout de chemin dans la direction de l'ouest, tu rabattras ton chapeau sur tes yeux. Les gens demanderont en te voyant passer: «Quel est donc ce gros personnage aux airs mystérieux?» Tes compagnons répondront: «C'est Hédin, le marchand du fiord des Îles, qui voyage avec sa chaudronnerie.» Cet Hédin est, tu le sais, un mauvais garnement, un hâbleur, un braillard, qui croit tout connaître mieux que personne et cherche querelle à tous ceux qui le contredisent. Tu offriras ta marchandise, en ayant soin de rompre chaque fois le marché avec force tapage et dispute. Arrivé dans la vallée de la Laxa, tu coucheras à l'Hogistad, où, par parenthèse, on ne te fera pas un trop bon accueil, et le lendemain tu pousseras jusqu'au bœr qui est voisin de celui de Rut. Là tu offriras derechef ta denrée, mais en exhibant ce que tu as de pis et en affectant de dissimuler les bosselures des pièces à coups de marteau. Le fermier de l'endroit saura bien toutefois découvrir les défauts; alors tu lui arracheras les objets en l'injuriant, et, au premier mot malsonnant de riposte, tu tomberas sur lui... Ménage seulement tes forces, de peur qu'on ne te reconnaisse... Rut, averti de ce qui se passe, te fera venir chez lui, te recevra bien, et en causant il te questionnera sur les uns et les autres. Toi, tu n'auras que moqueries et méchants propos pour chacun. À la fin, vous viendrez à parler de la Ranga.

      «—Eh! répondras-tu, voilà un pays où les hommes de savoir se sont faits rares depuis que Mord n'est plus de ce monde.»

      «Et là-dessus tu exalteras de ton mieux ledit Mord. Tu peux même, en ta qualité de skalde, réciter quelque chant propre à amuser Rut. Celui-ci te parlera naturellement de son procès avec Mord, et te demandera si tu le connais.

      «—Vaguement,» diras-tu de l'air d'un homme que la chose intéresse.

      «—Mord, ajoutera Rut, n'a été qu'un maladroit de ne pas reprendre l'affaire à l'alting suivant; il aurait pu en sortir à son avantage pour peu qu'il y eût mis de constance.

      «—Comment cela?» répliqueras-tu d'un ton de curiosité pure.

      «Rut alors ne manquera pas de t'expliquer de quelle façon doit se faire la citation. Il t'en révélera de lui-même la formule, dont tu noteras soigneusement chaque mot dans ta mémoire. Peut-être même, en manière de passe-temps, te demandera-t-il de la répéter. Tu t'en tireras d'abord de travers, ce qui le fera rire et lui ôtera tout soupçon de l'esprit. Il te l'énoncera de nouveau, et tu la rediras après lui comme un écolier qui épèle après le maître, mais cette fois d'une manière correcte, et en prenant tes compagnons à témoin «de la citation que tu adresses à Rut au sujet de l'affaire confiée à toi par la fille de Mord». De cette façon il lui sera impossible plus tard d'opposer aucune sorte de déclinatoire devant le tribunal, puisqu'il t'aura lui-même indiqué la procédure à suivre en l'espèce... À la nuit, quand tout le monde sera plongé dans le sommeil, toi et tes compagnons vous prendrez sans bruit vos freins et vos harnais, et, vous glissant dehors, vous partirez sur vos chevaux gras en laissant les autres. Vous gagnerez les montagnes par les pâtis, et vous y resterez trois nuits, temps pendant lequel on vous cherchera. Ensuite vous reviendrez chez vous, mais seulement de nuit, vous reposant le jour... L'été prochain, moi et les miens nous nous rendrons à l'alting pour vous y aider à conduire l'instance.»

      *

       * *

      Gunnar suivit de point en point les instructions de son ami Nial. Il prit avec lui deux hommes et partit dans la direction de la Laxa.

      Des gens qu'il croisa en route demandèrent quel était ce personnage dont on ne voyait que le bout du nez. Sur la réponse que c'était Hédin, le marchand du fiord des Îles, ils parurent fort aises de laisser derrière eux un individu d'aussi mauvais renom.

      Gunnar joua parfaitement son rôle tout du long. Arrivé dans la vallée de la Laxa, il coucha à la ferme d'Hogi, où les domestiques, sur l'ordre du maître, s'abstinrent de se commettre avec lui. Le lendemain, il remonta à cheval et gagna le bœr voisin de la Rutstad. Là il se prit de querelle avec le fermier. Rut, averti du tapage, manda chez lui le faux Hédin, le traita fort amicalement et lui donna la place d'honneur à sa table. De propos en propos, la conversation prit le cours que Nial avait prévu; Rut finit par prononcer la formule, et, la seconde fois, Gunnar la redit sans se tromper.

      «Est-ce bien comme cela? demanda-t-il à son hôte.

      —Parfaitement, répliqua celui-ci; la citation, le cas échéant, ne pourrait pas être invalidée.

      —Eh bien, je te cite pour l'affaire que m'a commise Unne, fille de Mord,» reprit Gunnar d'une voix assez haute pour que ses compagnons l'entendissent.

      Rut, croyant à un simple jeu, ne conçut néanmoins aucune défiance, et, le moment venu, on alla se coucher.

      *

       * *

      Cette même nuit, Hogi, le frère de Rut, sauta de son lit en sursaut, éveilla ses gens et leur dit:

      «Il faut que je vous raconte


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