Le comte de Moret. Alexandre Dumas
Читать онлайн книгу.n'est point un nom historique.
—Non, c'est un sujet de fantaisie. Rotrou prétend qu'il est destiné à effacer tous les poëtes passés, présents et futurs.
—L'impertinent!
Mme de Combalet vit qu'elle touchait une corde délicate; elle rompit les chiens.
—Puis, ajouta-t-elle, Mme de Rambouillet nous a fait une surprise; elle a fait bâtir, sans rien dire à personne, en faisant passer maçons et charpentiers par-dessus les murailles des Quinze Vingts, un appendice à son hôtel, une chambre ravissante toute tendue en velours bleu, or et argent. Je n'ai encore rien vu d'aussi grand goût.
—En désirez-vous une pareille? chère Marie; rien de plus facile; vous l'aurez au palais que je fais bâtir.
—Merci. Il me faut, à moi, vous l'oubliez toujours, cher oncle, une cellule de religieuse, rien de plus, pourvu que ce soit près de vous.
—Est-ce tout?
—Pas tout à fait, mais je ne sais si je dois vous le dire.
—Pourquoi cela?
—Parce que dans le reste il y a un coup d'épée.
—Des duels! des duels encore! murmura Richelieu. Je ne parviendrai donc pas à déraciner de la terre de France ce faux point d'honneur!
—Cette fois, ce n'est pas un duel, c'est une simple rencontre. M. le marquis de Pisani a été rapporté à l'hôtel, évanoui à la suite d'une blessure.
—Dangereuse?
—Non, mais bien lui en a pris d'être bossu. Le fer a rencontré le sommet de sa bosse et, ne pouvant pénétrer, a glissé sur les côtes... Mon Dieu! comment donc, a dit le chirurgien? sur les côtes... imbriquées l'une sur l'autre, à travers les chairs de la poitrine et une partie du bras gauche.
—Sait-on à quel propos le combat a eu lieu?
—Il me semble que j'ai entendu prononcer le nom du comte de Moret.
—Du comte de Moret! répéta Richelieu en fronçant le sourcil; il me semble que voilà bien des fois que j'entends prononcer ce nom-là depuis trois jours. Et qui a donné ce joli coup d'épée au marquis Pisani?
—Un de ses amis.
—Son nom?
Mme de Combalet hésita; elle savait la sévérité de son oncle à l'endroit des duels.
—Mon cher oncle, dit-elle, vous savez ce que je vous ai dit: ce n'est ni un duel, ni un appel, ce n'est pas même une rencontre, les deux adversaires se sont pris de discussion à la porte de l'hôtel.
—Mais quel est le second? Je vous demande son nom, Marie.
—Un certain Souscarrières.
—Souscarrières, dit Richelieu, je connais ce nom-là!
—C'est possible, mais je puis vous affirmer, mon cher oncle, qu'il n'est coupable en rien.
—Qui?
—M. Souscarrières.
Le cardinal avait tiré ses tablettes de sa poche et les consultait.
Il parut avoir trouvé ce qu'il cherchait.
—C'est le marquis Pisani, continua Mme de Combalet, qui a tiré son épée et qui s'est jeté sur lui comme un fou: Voiture et Brancas, qui ont été témoins tous deux du fait, quoique amis de la maison, donnent tort à Pisani.
—C'est bien l'homme que je pensais, murmura le cardinal.
Et il frappa sur un timbre.
Charpentier parut.
—Faites venir Cavois, dit le cardinal.
—Oh! mon oncle n'allez pas arrêter ce malheureux jeune homme et lui faire son procès! s'écria, en joignant les mains, Mme de Combalet.
—Au contraire, dit le cardinal en riant, je vais peut-être faire sa fortune.
—Oh! ne raillez pas, mon oncle.
—Avec vous, Marie, jamais je ne raille. Ce Souscarrières tient, à partir de ce moment, sa fortune entre les mains, et ce qu'il y a de mieux, c'est que cette fortune, il vous la devra; c'est à lui de ne pas la laisser tomber.
Cavois entra.
—Cavois, dit le cardinal au capitaine des gardes, à moitié endormi, vous allez aller rue des Frondeurs, entre la rue Traversière et la rue Saint-Anne; vous vous informerez, dans la maison qui fait l'angle, si là ne demeure point un certain cavalier qui se fait appeler Pierre de Bellegarde, marquis de Montbrun, sieur de Souscarrières.
—Oui, monseigneur.
—Et s'il y demeure et que vous le trouviez chez lui, vous lui direz que, malgré l'heure avancée de la nuit, j'aurais le plus grand plaisir de causer un instant avec lui.
—Et s'il refusait de venir?
—Bon! Cavois, vous n'êtes point embarrassé pour si peu, ce me semble. «De gré ou de force, il faut que je le voie, entendez-vous. Il le faut!»
—Dans une heure, il sera aux ordres de Votre Eminence, dit Cavois en s'inclinant.
Arrivé à la porte, le capitaine des gardes se trouva face à face avec un nouvel arrivant. A sa vue, il s'effaça avec tant de respect et de diligence qu'il était évident qu'il cédait le pas à un éminent personnage.
Et en effet, au même moment, dans l'encadrement de la porte parut le fameux capucin du Tremblay, connu sous le nom de frère Joseph, ou d'Éminence grise!
CHAPITRE XII.
L'ÉMINENCE GRISE.
Le père Joseph était si bien connu pour être la seconde âme du cardinal, qu'en le voyant paraître les plus familiers serviteurs du ministre se retiraient à l'instant même, et que la présence de l'Éminence grise dans le cabinet de Richelieu semblait avoir le privilége de faire le vide autour d'elle.
Mme de Combalet, comme les autres, subissait cette influence et n'échappait point au malaise qu'inspirait cette silencieuse apparition; en apercevant le père Joseph, elle vint donc présenter son front à baiser au cardinal en lui disant:
—Je vous en prie, cher oncle, ne veillez pas trop tard.
Puis elle se retira, heureuse de sortir par la porte opposée à celle qui lui avait donné entrée, afin de n'avoir pas à passer trop près du moine qui se tenait debout, immobile et muet, à moitié chemin de la distance qu'il avait à franchir pour se trouver près du cardinal.
A l'époque où nous sommes arrivés, tous les ordres religieux, moins celui de l'Oratoire de Jésus, fondé en 1611 par le cardinal Bérulle, et confirmé en 1613 par Paul V, après une longue opposition, étaient ralliés ou à peu près au cardinal-ministre; il était le protecteur reconnu des bénédictins de Cluny, de Cîteaux et de Saint-Maur, des prémontrés, des dominicains, des carmes, et enfin de toute cette famille encapuchonnée de saint François, mineurs, minimes, franciscains, capucins, etc., etc. En récompense de cette protection, tous ces ordres, qui, sous prétexte de prédication, de mendicité, de propagande, de mission, couraient, vaguaient, rôdaient à travers le monde, faisaient pour lui une police officieuse, d'autant mieux faite que le confessionnal était la source principale de laquelle découlaient les renseignements.
C'est de toute cette police vagabonde,