Romans, Nouvelles et Histoires Maritimes. Эжен Сю
Читать онлайн книгу.bien vrai?
—Foi d'homme! Simon, et alors... deux ou trois bonnes journées.... Des farces—dit à voix basse et mystérieusement Benoît en couvrant à moitié sa bouche avec sa main gauche.
—C'est ça, capitaine, des folies, nous rirons, je dépense ma solde en deux jours; allez donc, des voitures, des femmes, des oranges, des gants, des bas, des chaînes de montres, un castor en poil et des bretelles! Allez donc... tout le tremblement à la voile!
—Et c'est vrai, et allez donc—répétait Benoît à moitié gris, en frappant sur la table avec son gobelet de fer-blanc.—Et allez donc... nous nous amuserons joliment.... Quel beau temps!... Ah! ouf! mais il ne faudra pas que Catherine sache... bigre!!!!
—Pardieu... capitaine... je le crois bien.... À sa santé.... Nous relâcherons à Cadix.... Ah! capitaine... capitaine, je vous vois déjà sur la place San-Antonio.... Tonnerre du diable!... C'est là qu'il y a des femmes! des yeux grands comme les écubiers d'une frégate, des dents... comme des râteliers de tournage, et puis comme dit la chanson:
Y una popa, Caramba! Como un bergantin. |
Ah! bah! faut jouir de la vie; au bout du mât la hune.
—C'est vrai Simon, d'un jour à l'autre on peut avaler sa gaffe[2]... et, bigre! on a raison de!...
À ce moment, le capitaine fut interrompu par un bruit infernal, et le brick donna une telle bande sur babord, que les bouts-dehors des basses vergues plongèrent d'un pied dans l'eau.
Benoît et Simon s'attendaient si peu à cette effroyable secousse, qu'ils furent jetés sur la cloison.
—C'est une saute de vent[3]—cria Benoît tout-à-fait dégrisé et se précipitant hors de la dunette.
—Ce qui nous annonce un ouragan.... Ainsi nous allons rire—dit Simon en suivant son capitaine.
CHAPITRE II.
Et la moitié du ciel pâlissait, et la brise
Défaillait dans la voile, immobile et sans voix,
Et les ombres couraient, et sous leur teinte grise,
Tout, sur le ciel et l'eau, s'effaçait à la fois.
Et dans mon âme aussi, pâlissant à mesure,
Tous les bruits d'ici-bas tombaient avec le jour,
Et quelque chose en moi, comme dans la nature,
Pleurait, priait, souffrait, bénissait tour à tour.
De Lamartine.—Harmonies, liv. ii, h. ii .
Hélas! quand la mer roule sur des catholiques,
c'est qu'ils sont obligés d'attendre
plusieurs semaines qu'une messe leur ôte
un boisseau de charbons ardents du purgatoire;
car, tant qu'on ignore ce qu'ils
sont devenus, les gens ne veulent pas risquer
leur argent pour les âmes des morts;
il en coûte trois francs pour faire dire une
messe!
Byron.—Don Juan, ch. ii , st. lvi .
L'OURAGAN.
Heureux matelot! ta vie est accidentée d'une manière si piquante; tout à l'heure du calme, du soleil, un balancement doux comme celui qu'une jeune Indienne imprime à l'érable rouge festonné de guirlandes d'apios, qui cache parmi ses fleurs le berceau de son fils.
Alors l'insouciance, la molle paresse, une causerie sans suite, capricieuse et vagabonde; alors tes gais souvenirs de terre, le vieux chant de ton pays, et une bouteille de ce genièvre poivré qui réjouit tant le cœur et y verse la poésie à flots; car la poésie à toi, bon marin, c'est l'espérance!... L'espérance de voir dans l'avenir des combats dont tu sors vainqueur, une grosse orgie, un ancrage sûr où ton navire puisse dormir pendant que tu sèmes à terre les piastres, les gourdes, les onces, les moïdors, que sais-je, moi? car en vérité tu as des monnaies de toutes sortes, brave homme; le ciel sait où tu les prends.... Enfin, le genièvre te montre tout cela à travers son prisme jaune et brillant comme la topaze. Tu poignardes ton ennemi, tu serres ton or, tu baises les joues d'une joyeuse fille.... Tiens, des sequins; tiens, des peziques... en voici! cordieu! en voici, achète des robes à falbalas comme la femme d'un amiral, fais-toi belle et donne-moi le bras....
Mais tout-à-coup le ciel se couvre, l'Océan mugit, le vent gronde; laisse là ton verre à moitié plein, n'achève ni ton projet, ni ta chanson, ni ton sourire, et brave la mort, car elle est menaçante....
Or, aussi à bord de la Catherine, on était généralement d'avis qu'elle menaçait.
L'équipage monta sur le pont, triste, silencieux, car on n'était pas encore au fort du péril, on l'attendait, on le voyait arriver, et cette conscience d'un danger prochain, inévitable, avait assombri toutes les figures.
Le brick s'était fièrement redressé, quoiqu'il eût perdu son petit mât de hune dans la bourrasque. Mais les vagues commencèrent à s'enfler, et le ciel se couvrit de vapeurs glauques et rougeâtres comme la fumée d'un incendie, qui, se reflétant sur les eaux, voilèrent d'une teinte grise et lugubre cet Océan tantôt si frais et si bleu.
—C'est un échantillon de ce que l'ouragan nous promet, et il tiendra—avait dit Benoît qui s'y connaissait; aussi, à peine les huniers étaient-ils amenés qu'un mugissement sourd se fit entendre, et une large zone de nuages sombres, noirs, qui semblait unir le ciel et la mer, s'avança rapidement du nord-ouest en chassant devant elle un banc d'écume bouillonnante, effroyable preuve de la fureur des vagues qui accouraient avec la tempête....
Benoît et Simon se serrèrent la main, en échangeant un coup d'œil sublime.
Ces physionomies, naguère insignifiantes comme la brise folle qui se jouait dans les cordages du vaisseau, parurent sortir d'un sommeil léthargique; ces hommes vulgaires, ces nains pendant le calme grandirent... grandirent avec l'ouragan, et se dressèrent géants intrépides au premier choc de la tempête.
Ce qu'il y avait de mesquin et de plat dans la figure du capitaine disparut; ce front tout à l'heure stupide se releva brillant d'une incroyable audace qui semblait défier le ciel! ce regard terne devint éclatant, et un sourire de dédain et de supériorité donna une admirable expression à cette bouche si niaise.
C'est qu'aussi, en présence de ces instants décisifs, de ces imminentes questions de vie ou de mort, les petits détails de beauté conventionnelle s'effacent, l'âme seule se reflète sur le visage, et si, au moment du péril, cette âme s'est réveillée puissante et vigoureuse, elle imprimera toujours un caractère noble et grandiose aux traits de l'homme qui osera lutter contre la nature en furie.
—Enfants,—cria le capitaine, car déjà l'ouragan hurlait plus fort que le tonnerre,—enfants, ne craignez rien, ne n'est que de l'eau et du vent, dépassez le mât de hune qui nous reste; toi, Simon, cours à l'avant, nous essaierons de tenir la cape avec la grand'voile au bas ris, tâche de la faire amurer... et toi, timonier, veille bien à la barre, mettez-vous deux, trois s'il le faut, pour gouverner; car je crois que le vent va s'entêter contre le brick comme un enfant mutin contre son père... aussi, mes garçons, ne lui cédons pas... c'est d'un mauvais exemple.
À peine Benoît achevait-il ces mots, que l'ouragan tombait à bord.
La Catherine tourbillonna long-temps sur des lames affreuses qui se brisaient entre elles, et disparut même au milieu d'une pluie d'écume soulevée par la violence de la tempête qui sifflait dans les manœuvres, pendant que les craquements de la membrure se succédaient secs et