Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz

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Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868 - Hector Berlioz


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occupait déjà, dans la même résidence, une charge à peu près semblable, charge qui lui rapportait beaucoup et qui lui coûtait à peine une perte de temps. Berlioz refusa. Il voyageait en Allemagne à ce moment-là; sur le point de prendre une détermination il se tourne vers sa patrie, les yeux mouillés de larmes:—«Quoi! s'écrie-t-il, je ne te reverrai jamais (c'était dans les conditions du contrat); je n'aurai plus la liberté d'aller me faire traîner aux gémonies dans la fange de tes boulevards et sur les gradins de tes cirques! Mais je mourrais d'ennui, là-bas, au sein de mon opulence!»—Puis, s'adressant à ses amis, Desmarets, d'Ortigue, Dietsch, Schlesinger:—«O mes amis! je m'aperçois que je vous aime plus que tout au monde et que je ne peux pas me séparer de vous!»—Là-dessus, il repoussait les présents d'Artaxerce et reprenait avec joie le chemin de cette France adorée et maudite, qui, ayant parmi ses enfants le plus grand symphoniste du siècle après Beethoven, ne lui laissait à faire que des feuilletons.

      Cependant il fallait, ou que la France se trompât au sujet de ce fils (si peu dénaturé pourtant!) ou que le reste de l'Europe se trompât de son côté; le doute n'est plus permis à présent, le procès est jugé; le bon sens de l'Europe avait raison contre la frivolité de la France... Que voulez-vous? le Gaulois est né léger comme d'autres naissent coiffés... Du temps des Romains, il montait à l'assaut du Capitole sans avoir pris soin d'éclairer sa route, en sorte que les oies criaient contre lui et avertissaient l'ennemi de se tenir en garde. Louis XV, à la veille d'une révolution qui devait emporter sa race, disait:—«Cela durera bien autant que moi.»—Légèreté des légèretés! tout n'est que légèreté. En ce qui concerne la musique, les Français ont eu des naïvetés et des fatuités formidables... Un émigré en Angleterre auquel on demandait s'il savait jouer du clavecin, répliquait d'un air digne:—«Je ne sais pas, je n'ai jamais essayé.»

      Nul n'est prophète en son village, ou plutôt ceux qui passent pour tels ne sont souvent que de faux prophètes. Berlioz, admiré au loin, bafoué par ses compatriotes, était une des organisations les plus riches et les mieux douées que l'on pût voir. Compositeur inégal, mais souvent sublime, écrivain de race et primesautier, il a laissé une double réputation, alors que ses ennemis se sont donné tant de mal pour en laisser seulement la moitié d'une. La Correspondance que nous publions aujourd'hui ne nuira pas, croyons-nous, à la renommée du musicien et augmentera de beaucoup celle du littérateur. On connaissait déjà par les Mémoires[1] ce style haché, décousu, violent, plein de fantaisie et de grâce, se perdant en élans désespérés ou s'affaiblissant en des tristesses mornes. Quel beau livre, malgré ses défauts! comme il vibre à chaque page, comme il sait mélanger le plaisant au sévère! La pensée de l'auteur est une balle qui rebondit selon la nature des objets qu'elle frappe, tantôt s'élevant jusqu'au pur lyrisme, tantôt échouant dans le marécage du calembour. Quelle opposition avec les paisibles récits de Grétry sur son enfance liégeoise! Les musiciens se suivent et ne se ressemblent pas; il y a entre l'auteur de Richard Cœur de lion et l'auteur du Dies iræ grotesque la différence qu'on remarquerait entre un ruisselet tranquille et un torrent débordé.

      La Correspondance, venant après les Mémoires, a une utilité qui ne sera contestée par personne; d'abord, elle fermera la bouche aux détracteurs (s'il en reste encore), aux malveillants qui secouaient la tête quand on leur annonçait telle ou telle victoire remportée au dehors:—«A beau mentir qui vient de loin.»—Ils n'avaient pas d'autre réponse; ils seront obligés maintenant de chercher un biais. La plupart des lettres que nous avons retrouvées sont des bulletins écrits à l'issue de la bataille et encore noircis de la fumée du combat; impossible de nier ces documents triomphants,—et triomphants dans un double sens,—impossible de les rejeter, car ils acquièrent la valeur de pièces historiques. Ils nous donnent la vérité prise sur le fait; un artiste, ivre de la joie du succès, les oreilles remplies du bruit des applaudissements, les joues rougies par de fraternelles embrassades, se hâte de faire part de son bonheur aux amis qu'il a laissés à Paris; il leur mande que tels princes l'ont complimenté, que telles récompenses lui ont été décernées, que les populations organisent en son honneur des sérénades, des banquets, que la recette du concert a été superbe... Comment récuser ces témoignages? Si on les repousse, nous ne voyons plus aucune manière d'écrire l'histoire avec certitude et nous ne comprenons pas ce qu'on pourra répondre aux mauvais plaisants qui prétendent que Napoléon Ier n'a jamais existé.

      Dans quelques passages, la Correspondance, faisant allusion à des événements oubliés ou ignorés de cette génération de lecteurs, nous avons cru devoir donner quelques éclaircissements. Nous avons pensé qu'une notice biographique aiderait peut-être à dissiper les ténèbres du texte. Notre prétention, on le suppose bien, n'a pas été, un seul instant, de rivaliser avec les Mémoires; cette folle témérité aurait été cruellement punie. Nous avons essayé seulement de recueillir ce que les Mémoires avaient omis et de les résumer en les complétant.

      Berlioz (Louis-Hector) est né à la Côte-Saint-André, ville célèbre par ses fabriques de liqueurs, dans le département de l'Isère, à cinq heures du soir, le dimanche 19 frimaire an XII (c'est-à-dire, en langage ordinaire, le 11 décembre 1803)[2]. Son acte de naissance fut dressé devant les deux témoins suivants: le citoyen Auguste Buisson, âgé de trente-trois ans, propriétaire, et le citoyen Jean-François Recourdon, âgé de quarante-trois ans, receveur des contributions. Le père de l'enfant exerçait la profession de médecin; son grand-père, noble Louis-Joseph Berlioz, avait été conseiller du roy, auditeur de la Chambre des comptes du Dauphiné et habitait tantôt la Côte, tantôt Grenoble[3]. Louis Berlioz, le médecin, aimant la vie rurale, était venu se fixer à la campagne, sous le toit paternel; c'était un homme d'une nature mélancolique, d'un tempérament maladif, chercheur, un peu triste d'aspect, doux et bon; il se plaisait dans la solitude, pratiquait son art d'une façon désintéressée et charitable, et partageait sa vie entre l'étude et la surveillance de ses domaines. Il y est mort en août 1848, vénéré de tous, des petits surtout, qui n'avaient jamais vainement recours à ses conseils et à sa générosité.

      S'il est souvent question, dans les Mémoires, du père d'Hector Berlioz, on ne fait qu'entrevoir sa mère; elle se nommait Marie-Antoinette-Joséphine Marmion et avait épousé Louis Berlioz vers le commencement du siècle. Femme d'une piété ardente et d'une rigide honnêteté, elle craignit longtemps pour son fils les souffles empestés de la gloire profane; elle chercha à le retenir au foyer des aïeux, impuissante à empêcher l'aiglon de briser sa coque et d'aller affronter la lumière à laquelle les ailes se brûlent parfois. Pauvre mère vigilante! ses efforts ne furent pas entièrement perdus; car si elle ne réussit pas à empêcher son fils de courir le monde, elle lui inculqua du moins l'amour de la patrie et du sol natal. L'enfant prodigue ne revint jamais aux lieux où ses premiers jours s'étaient écoulés sans pousser des cris d'admiration, provoqués par la beauté du pays, la douceur du climat, les réminiscences lointaines de la naissante aurore.

      Vingt ans après, revenant d'Italie, il écrivait à madame Horace Vernet: «Les souvenirs du royaume de Naples sont restés impuissants contre l'aspect riant, varié, frais, riche, pittoresque, beau de masses, beau de détails, de notre admirable vallée de l'Isère[4]...» En descendant du Mont-Cenis, il s'était laissé aller à un véritable transport: «Voilà le vieux rocher de Saint-Eynard!... Voilà le gracieux réduit où brilla la Stella montis...; là-bas, dans cette vapeur bleue me sourit la maison de mon grand-père. Toutes ces villes, cette riche verdure,... c'est ravissant, c'est beau,... il n'y a rien de pareil en Italie[5].» Évidemment l'influence maternelle avait été pour quelque chose dans ce sentiment d'amour du clocher, amour si profondément tenace dans le cœur du poëte.

      Les années d'enfance, passées à la Côte-Saint-André, ne présentèrent aucun fait saillant; le jeune Hector révélait cependant des dispositions intelligentes. Son penchant l'attirait vers l'étude de la géographie et ses rêves l'entraînaient vers une île déserte, paradis imaginaire de tous les enfants qui ont lu Robinson Crusoë. Sur la mappemonde, son petit doigt rose s'égarait de préférence sur la


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