Thaïs. Anatole France
Читать онлайн книгу.on est sûr de rencontrer les esprits. Les déserts sont peuplés de fantômes. Quand les pèlerins approchaient du château en ruines où s'était retiré le saint ermite Antoine, ils entendaient des clameurs comme il s'en élève aux carrefours des villes, dans les nuits de fête. Et ces clameurs étaient poussées par les diables qui tentaient ce saint homme.
Paphnuce se rappela ce mémorable exemple. Il se rappela saint Jean d'Égypte que, pendant soixante ans, le diable voulut séduire par des prestiges. Mais Jean déjouait les ruses de l'enfer. Un jour pourtant le démon, ayant pris le visage d'un homme, entra dans la grotte du vénérable Jean et lui dit: «Jean, tu prolongeras ton jeûne jusqu'à demain soir.» Et Jean, croyant entendre un ange, obéit à la voix du démon, et jeûna le lendemain, jusqu'à l'heure de vêpres. C'est la seule victoire que le prince des Ténèbres ait jamais remportée sur saint Jean l'Égyptien, et cette victoire est petite. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si Paphnuce reconnut tout de suite la fausseté de la vision qu'il avait eue pendant son sommeil.
Tandis qu'il reprochait doucement à Dieu de l'avoir abandonné au pouvoir des démons, il se sentit poussé et entraîné par une foule d'hommes qui couraient tous dans le même sens. Comme il avait perdu l'habitude de marcher par les villes, il était ballotté d'un passant à un autre, ainsi qu'une masse inerte; et, s'étant embarrassé dans les plis de sa tunique, il pensa tomber plusieurs fois. Désireux de savoir où allaient tous ces hommes, il demanda à l'un d'eux la cause de cet empressement.
—Étranger, ne sais-tu pas, lui répondit celui-ci, que les jeux vont commencer et que Thaïs paraîtra sur la scène? Tous ces citoyens vont au théâtre, et j'y vais comme eux. Te plairait-il de m'y accompagner?
Découvrant tout à coup qu'il était convenable à son dessein de voir Thaïs dans les jeux, Paphnuce suivit l'étranger. Déjà le théâtre dressait devant eux son portique orné de masques éclatants, et sa vaste muraille ronde, peuplée d'innombrables statues. En suivant la foule, ils s'engagèrent dans un étroit corridor au bout duquel s'étendait l'amphithéâtre éblouissant de lumière. Ils prirent leur place sur un des rangs de gradins qui descendaient en escalier vers la scène, vide encore d'acteurs, mais décorée magnifiquement. La vue n'en était point cachée par un rideau, et l'on y remarquait un tertre semblable à ceux que les anciens peuples dédiaient aux ombres des héros. Ce tertre s'élevait au milieu d'un camp. Des faisceaux de lances étaient formés devant les tentes et des boucliers d'or pendaient à des mâts, parmi des rameaux de laurier et des couronnes de chêne. Là, tout était silence et sommeil. Mais un bourdonnement, semblable au bruit que font les abeilles dans la ruche, emplissait l'hémicycle chargé de spectateurs. Tous les visages, rougis par le reflet du voile de pourpre qui les couvrait de ses long frissons, se tournaient, avec une expression d'attente curieuse, vers ce grand espace silencieux, rempli par un tombeau et des tentes. Les femmes riaient en mangeant des citrons, et les familiers des jeux s'interpellaient gaiement, d'un gradin à l'autre.
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