La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер

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La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung - Рихард Вагнер


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en revanche, «les traits» les plus «propres à mettre» dans son jour, «dans son vrai jour,» le surnaturel «coloris caractéristique du sujet»: ce coloris lui semblait en effet correspondre, aux motifs intimes de l'action, jusqu'à s'identifier à elle[48-1].

      Si cet idéal avoué (le développement de l'action par ses motifs intimes) se trouve déjà réalisé, moins incomplètement, dans Tannhäuser[48-2], toutefois Tannhäuser encore, presque autant que le Vaisseau-Fantôme, peut se rattacher, quant à la forme, aux opéras traditionnels des prédécesseurs de Richard Wagner[48-3], par d'incontestables analogies. Du moins s'en distingue-t-il, il y faut insister, par l'absence de ces concessions que Weber lui-même, ce pur, noble et profond esprit, reculant «devant les conséquences de sa méthode si pleine de style,» s'était résigné, quelquefois, à faire au «public d'opéra,» aux «exigences banales d'un livret d'opéra.»[48-4] Suivant le témoignage qu'à bon droit s'est en personne rendu l'auteur[48-5], Tannhäuser contient, quelque fondé qu'il soit sur le merveilleux légendaire, une action dramatique, développée avec suite, dont le principe est le salut d'une âme sollicitée par deux surnaturels instincts contradictoires. C'est à cette action dramatique, toute surhumaine et toute humaine, toute psychologique et toute passionnelle, qu'indubitablement Wagner avait pour but d'intéresser les spectateurs, sans qu'ils fussent obligés de la perdre un instant de vue: l'ornement musical, loin de les en détourner, ne leur devait paraître, au contraire, qu'un moyen de la représenter mieux. Ainsi donc, en s'interdisant toute concession quant au sujet, l'artiste par là même s'affranchissait, encore, de toute concession musicale[49-1]. Wagner en concluait, en 1860, qu'on pouvait dans Tannhäuser trouver déjà, sous la forme la plus précise, en quoi consistait son innovation: «Elle ne consiste pas, dit-il, dans je ne sais quelle révolution arbitraire, et toute musicale, dont on s'est avisé de m'imputer la tendance, avec ce beau mot, «musique de l'avenir»[49-2].

      Je montrerai plus loin pourquoi Tannhäuser, s'il fallait bien qu'à cette époque son auteur le donnât, en France, pour significatif de son «innovation», ne saurait plus être actuellement (1894), que le deuxième en date des trois monuments destinés à perpétuer, par des attestations de plus en plus grandioses, la mémoire des Trois Pas qui rendirent à Wagner, et à ses pairs du ciel de l'Art, la pleine possession de leur domaine, la possibilité de créer des mondes immenses, comme l'Anneau du Nibelung, comme les Maîtres-Chanteurs, comme Tristan et Isolde, enfin comme Parsifal. Mais il sied avant tout que de ces «Trois Pas» de Wagner je dise quelques mots du dernier, commémoré par Lohengrin.

      «L'intérêt de Lohengrin,» lit-on dans la Lettre sur la Musique, «repose sur une péripétie qui s'accomplit dans le cœur d'Elsa, et qui touche à tous les mystères de l'âme[50-1].» C'est vrai. Plus exclusivement même, s'il se peut, que dans Tannhäuser, l'action, dans Lohengrin, est toute psychologique; elle est psychologique au point que les sentiments, les passions, les désirs humains des personnages, paraissent exercer, sur la production des faits extérieurs mis en scène, une irrésistible influence nécessitante et créatrice; elle est psychologique (il en est d'autres preuves, mais je ne puis guère songer à les fournir ici), elle est psychologique au point que la plupart des commentateurs, trompés par certains préjugés, reprochent à l'ensemble du drame, comme des erreurs de «construction», d'«exécution», de «charpente», d'«intrigue» (il faut sourire!), tels détails matériels légitimement conformes au but intégral de Wagner. Vaines critiques, si faciles à réfuter, d'ailleurs, pour quiconque a lu ce qui précède, pour qui s'est rendu compte, après Richard Wagner, qu'en dépit des industriels du théâtre contemporain,—grands amateurs d'imbroglios, mesquins chercheurs de scènes-à-faire, corrupteurs du goût populaire, et conservateurs du faux-goût public, l'élément propre du Poète, du Musicien, du Dramaturge, c'est l'Ame humaine; l'Ame, en contact avec le Monde! Pour ma part, s'il m'était permis de me hasarder, en ce qui concerne Lohengrin, à formuler quelques réserves, ce n'est certes pas à la «charpente» que ces réserves s'adresseraient: bien plutôt, sans au reste atténuer en rien ma pieuse admiration sincère, bien plutôt viseraient-elles les rares répétitions, des mêmes paroles et des mêmes phrases, invraisemblablement attribuées encore, suivant les traditions classiques, à des personnages différents. Mais ces réserves mêmes seraient sans valeur aucune, puisque après tout Wagner, composant Lohengrin, croyait écrire un «opéra» et qu'on n'a donc pas le droit de le faire sans injustice—disons mieux: sans ingratitude—responsable d'imperfections inhérentes à l'essence du genre! Ce qu'il conviendrait, tout au contraire, d'admirer, si l'on en est digne, c'est que déjà Lohengrin soit, par sa propre force, dégagé, presque tout à fait, de ces imperfections spécifiques: c'est que déjà les répétitions des mêmes paroles, les invraisemblables répétitions sont remplacées presque toujours, au très grand profit de la beauté du texte, par des thèmes caractéristiques, soit d'un personnage, qu'ils «blasonnent»[51-1], soit d'une situation dramatique et d'une scène, soit des plus intimes états d'âme: thèmes tour à tour repris, ramenés, juxtaposés, mariés, entrelacés, fondus, contrariés, dans le chant ou dans l'accompagnement, en un ensemble symphonique indivisible de trois actes, au gré, non pas des interprètes, non pas même du compositeur, mais du Drame, seul guide, seul maître, et seul but. Voilà, pour ne parler que des progrès dans la forme, accomplis depuis Tannhäuser, indépendamment de la sublime valeur, équipollente et symbolique, de chacun des poèmes en soi, voilà ce qu'il conviendrait d'admirer, comme je dis, dans la technique de Lohengrin.

      Aussi est-ce à bon droit que Wagner, treize ans plus tard, constatait avec complaisance quel «sûr instinct» l'avait conduit, sans nulle théorie préconçue, à l'idée d'une égale et réciproque pénétration de la Musique et de la Poésie comme condition d'une œuvre d'art «capable d'opérer,» dit-il, «par la représentation scénique, une irrésistible impression, et de faire qu'en sa présence enfin s'évanouisse, dans le sentiment purement humain,» toute velléité même de réflexion abstraite[52-1]. Pour moi, c'est à l'exaltation de ce «sûr instinct» divinatoire, par des injustices répétées, qu'il m'est doux et réconfortant d'attribuer la supériorité relative, et de Tannhäuser quant au Vaisseau-Fantôme, et surtout de Lohengrin quant à Tannhäuser; ces injustices étant connues, je n'en recommencerai point l'historique; je me contenterai de rappeler qu'en écrivant cette phrase: «Lorsque j'entrepris Lohengrin (la composition de Lohengrin), j'étais devenu conscient de ma solitude.[52-2]» Richard Wagner, implicitement, se rendait un témoignage de sa persévérance. En effet, lorsqu'il entreprit la composition de Lohengrin, ne venait-il pas de voir échouer, coup sur coup, toutes ses tentatives pour propager Tannhäuser?—Tannhäuser! à quoi de connu cela ressemblait-il, Tannhäuser? Nos bons wagnéromanes d'aujourd'hui vous le diraient, non sans un sourire de pitié, car peut-être est-il des ressemblances qui se développent avec l'âge des œuvres? Mais il faut croire qu'en son jeune temps, de même qu'il avait plus ou moins déconcerté le public de Dresde, Tannhäuser déconcertait, par on ne sait quoi de pas-assez-vu, les directeurs des scènes allemandes—puisque pas un ne l'osait jouer..... Pas un! «J'étais devenu conscient de ma solitude»: quant à la faire cesser par des concessions, non! Pour toute œuvre sincère, concession vaut mensonge[53-1]: Lohengrin serait œuvre sincère,—voix de la Réalité des Choses, voix de la Nature, nette articulation d'un «sûr instinct» d'Artiste,—une œuvre sincère, comme je dis; cela d'abord, exclusivement cela, sans concession! Et tant pis pour les hommes s'il déplaisait, tel quel, à l'insincérité des hommes! «Tant pis pour l'auteur même,» répliquent les hommes.—Qui sait?

      Croyez-vous donc que l'Art (qui toujours, ai-je noté, sait ce que souvent l'artiste ignore) ne réserve pas à sa foi les compensations qu'elle mérite? Compensations morales, les plus précieuses de toutes! non que richesse ou succès, mon Dieu, ne puissent, même de nos jours, affluer par surcroît; mais, rhétorique à part, quel succès ou quel or, pour l'âme d'un Artiste sincère, vaudra jamais l'heure décisive où, compensation de sa persévérance, il réussit à découvrir, en une de ses œuvres ferventes comme des appels vers l'Inconnu, la mystique certitude de la mission divine qui constitue sa raison d'être? L'Art n'est-il pas un peu, pour


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