Orgueil et préjugés. Jane Austen

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Orgueil et préjugés - Jane Austen


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on la dit fort instruite. Depuis la mort de son père, elle vit à Londres, avec une dame chargée de présider à son éducation.“

      Après avoir essayé plus d’une fois de quitter ce sujet, Élisabeth ne put s’empêcher d’y revenir, et elle dit:

      „Je m’étonne que M. Darcy soit si étroitement lié avec M. Bingley. Comment M. Bingley, qui paraît la bonté même, peut-il être ami d’un tel homme? Connaissez-vous M. Bingley?

      » — Pas du tout.

      » — C’est un homme fort aimable; sans doute il ne connaît point le vrai caractère de M. Darcy?

      » — Cela est croyable. Mais M. Darcy peut plaire quand il veut; il ne manque point d’esprit, et possède l’art de rendre une conversation intéressante. Sa conduite envers ses égaux est bien différente de celle qu’il tient avec ceux que la fortune a moins favorisés. Son orgueil ne le quitte point, mais avec les gens riches, il est juste, sincère, d’excellent ton, et peut-être même, en lui tenant compte de sa fortune, pourrait-on le trouver aimable.“

      La partie de whist ayant fini, les joueurs s’assemblèrent autour de l’autre table, et M. Colins vint se placer entre Élisabeth et Mme Philips. Celle-ci lui demanda le succès de son jeu… Il avait perdu tous les points…; mais quand Mme Philips voulut lui en témoigner ses regrets, il l’interrompit et l’assura d’un air grave que sa perte n’était pas de la moindre importance, qu’il regardait l’argent comme une pure misère, et la suppliait de n’être point en peine de cet événement.

      „Je sais bien, madame, ajouta-t-il, que lorsqu’on se met au jeu il faut courir la chance, et heureusement cinq shillings ne sont pas un objet pour moi. Il y a certainement bien des gens qui n’en pourraient pas dire autant, mais, grâce aux bontés de lady Catherine de Brough, je me trouve au-dessus de ces petites choses.“

      Ce discours attira l’attention de M. Wickham; il regarda quelques instans M. Colins, et demanda d’une voix basse à Élisabeth, si son cousin connaissait intimement la famille de Brough.

      „Lady Catherine de Brough, répondit-elle, lui a depuis peu donné un bénéfice assez considérable. Je ne sais trop par qui M. Colins lui fut présenté, mais très-assurément il y a peu de temps qu’il la connaît.

      » — Vous savez sans doute que lady Catherine de Brough et lady Anne Darcy étaient sœurs, et que par conséquent elle est tante de M. Darcy.

      » — Non, en vérité, je l’ignorais; je ne connais point la famille de lady Catherine, et il y a deux jours que je ne savais même pas qu’elle existât.

      » — Sa fille, Mlle de Brough, sera très-riche, et on la croit destinée à M. Darcy.“

      Cette nouvelle fit sourire Élisabeth en lui rappelant Mlle Bingley…, dont elle vit alors les espérances déçues; en vain la pauvre fille témoignait-elle tant d’affection à Mlle Darcy, et à lui tant d’admiration: que de soins inutiles, que de complimens perdus! s’il était déjà promis à une autre…

      „M. Colins, dit-elle, célèbre hautement lady Catherine et sa fille; mais par quelques petits détails qu’il nous a donnés concernant cette dame, je crois m’apercevoir que la reconnaissance l’aveugle; et, malgré toute la protection qu’elle lui accorde, je la juge une femme très-vaine et très-arrogante.

      » — Je pense comme vous, reprit Wickham; voici plusieurs années que je ne l’ai vue, néanmoins je me rappelle fort bien n’avoir jamais aimé ses manières hautes et insolentes. Dans le monde, en général, on la croit un génie; mais je soupçonne qu’elle doit une bonne partie de cette réputation à son rang et à sa fortune, et le reste à l’orgueil de son neveu, qui n’entend pas qu’aucuns de ceux qui lui appartiennent soient gens d’un esprit médiocre.“

      Élisabeth trouva qu’il avait raison, et ils continuèrent à causer avec une mutuelle satisfaction jusqu’à l’heure du souper, qui, succédant au jeu, obligea M. Wickham à partager ses soins entre toutes les autres dames. Les bruyans soupers de Mme Philips n’admettaient point de conversation, mais les manières de M. Wickham suffisaient pour charmer tout le monde: ce qu’il disait était bien dit, ce qu’il faisait avait de la grâce: Élisabeth s’en retourna, tout occupée de lui; elle ne pouvait penser durant la route qu’à M. Wickham, et à ce qu’il lui avait dit. Elle n’eut garde d’en parler, car Lydia et M. Colins ne lui en laissèrent pas le temps. Lydia comptait tout haut et sa perte et son gain, non sans y ajouter l’histoire de chaque coup, et le nombre des fiches; et M. Colins, après le récit des attentions de M. et de Mme Philips, entra dans un détail exact de tous les plats du souper, tantôt demandant à ses cousines mille pardons s’il les gênait, tantôt les assurant qu’il ne pensait plus du tout à ses pertes au whist, et il entamait d’autres discours également intéressans, quand la voiture s’arrêta à Longbourn.

      CHAPITRE XVII

      Élisabeth, le jour suivant, raconta à Hélen la conversation qu’elle avait eue avec M. Wickham. Hélen l’écoutait avec autant de chagrin que de surprise, ne pouvant croire M. Darcy si peu digne de l’amitié de M. Bingley: mais le moyen de mettre en doute la sincérité d’un jeune homme aussi aimable que M. Wickham! L’idée seule qu’il avait été malheureux l’intéressait à lui; elle crut donc n’avoir d’autre parti à prendre que de penser bien de tous deux, de les défendre l’un et l’autre, et d’attribuer à quelque erreur, ou au seul hasard, ce qu’elle ne pouvait expliquer autrement.

      „Il vaut mieux penser, dit-elle, qu’on les a trompés tous deux; par quels moyens? c’est ce que nous ne pouvons savoir. Des personnes intéressées auront, par de faux rapports, cherché à les désunir: peut-être ils n’ont ni l’un ni l’autre aucun tort réel.

      » — Bonne conjecture, en vérité! Et maintenant, ma chère Hélen, qu’avez-vous à dire en faveur des personnes intéressées qui se sont mêlées de cette affaire? Justifiez-les aussi, ou nous serons obligées de penser mal de quelqu’une.

      » — Riez tant qu’il vous plaira, vous ne changerez jamais mes idées là-dessus: pensez, ma chère Lizzy, combien M. Darcy serait coupable de traiter ainsi le protégé de son père; cela est impossible, il ne peut exister un homme assez dépourvu de sensibilité et d’honneur pour mépriser les dernières volontés d’un père; et ses intimes amis seraient-ils à ce point aveuglés sur son compte? Oh! non.

      » — Je suis bien plus portée, reprit Élisabeth, à croire M. Bingley trompé, que je ne le suis à penser que M. Wickham ait inventé ce qu’il me dit hier au soir. Il a cité les faits, a nommé les personnes… Si tout cela est faux, que l’autre le démente; et son regard d’ailleurs exprimait la vérité.“

      Tout cela néanmoins ne persuadait point Hélen; ce qu’elle pensa, ce fut que, si véritablement M. Darcy méritait peu l’amitié de M. Bingley, celui-ci aurait bien à souffrir quand il connaîtrait son erreur.

      Ici elles furent interrompues par l’arrivée de M. Bingley et de ses sœurs, qui venaient eux-mêmes les inviter au bal, si long-temps attendu, fixé enfin pour le mardi suivant. Ces deux dames étaient charmées d’embrasser leur chère amie. Il y avait mille ans qu’elles ne s’étaient vues. Elles demandèrent plusieurs fois comment Hélen avait passé le temps depuis leur séparation. Elles firent peu d’attention au reste de la famille, évitant avec soin Mme Bennet, parlant peu à Élisabeth, et point du tout aux autres. Leur visite fut courte; elles se levèrent avec une vivacité qui parut surprendre leur frère, et se retirèrent à la hâte, comme pour échapper aux civilités de Mme Bennet.

      Rien ne pouvait être plus agréable aux dames Bennet que l’idée d’un bal à Netherfield: la mère se plut à penser que cette fête était donnée pour sa fille aînée, et fut flattée de recevoir l’invitation de M. Bingley lui-même au lieu d’une lettre de cérémonie.

      „Je jouirai tout un soir de la société de mes deux amies, et des attentions


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