Orgueil et préjugés. Jane Austen

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Orgueil et préjugés - Jane Austen


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un devoir de lui rendre.

      » — Vous avez raison, dit M. Bennet, il est heureux que vous possédiez le talent de flatter avec délicatesse. Ne serais-je pas indiscret en vous demandant si ces jolies phrases vous viennent sur-le-champ, ou si elles sont le fruit d’une préparation?

      » — En général j’obéis à l’impulsion du moment, mais, bien que parfois je m’amuse à faire ma petite provision de ces phrases élégantes, applicables aux circonstances, mon but est toujours de leur donner tout le charme de l’impromptu.“

      L’attente de M. Bennet fut parfaitement réalisée; son cousin était tel qu’il l’avait souhaité; il l’écoutait avec la plus vive satisfaction, sans rien perdre de son sérieux, et n’en partageait le plaisir que par un regard adressé de temps en temps à Élisabeth.

      À l’heure du thé, ayant joui à son aise des ridicules de son convive, il le ramena dans le salon et l’engagea, aussitôt qu’on eut pris le thé, à faire une lecture à ces dames. M. Colins y consentit. On lui présenta un livre, mais, en le regardant, comme tout annonçait que ce livre provenait d’un cabinet de lecture, il recula d’effroi; et en s’excusant, assura qu’il ne lisait jamais de romans. Kitty, tout étonnée, le regardait; et Lydia s’écria: cela est-il possible! D’autres livres lui furent présentés. Après un long examen, il choisit enfin les sermons de Fordyce. À peine eut-il ouvert le livre, Lydia bâillait déjà, et avant la troisième page elle l’interrompit.

      „Savez-vous, maman, dit-elle, que mon oncle Philips parle de renvoyer Richard?

      » — S’il le fait, le colonel Forster est décidé à le prendre; j’irai demain à Meryton, savoir ce qui en est: il faut aussi que je m’informe si le capitaine Carter est revenu de Londres.“

      Ses sœurs la firent taire, mais M. Colins, fort blessé, ferma son livre et dit:

      „J’ai souvent remarqué le peu de goût qu’ont les jeunes personnes pour les ouvrages sérieux, écrits cependant pour leur bien: cela m’étonne, je l’avoue; l’étude est la nourriture de l’âme; l’instruction est une si belle chose! Enfin telle est la dépravation humaine, mais je ne veux pas importuner plus long-temps ma jeune cousine.“

      Alors, se tournant vers M. Bennet, il lui proposa une partie de trictrac: celui-ci accepta.

      „Vous faites bien, dit-il, de laisser ces demoiselles à leurs frivoles amusemens.“

      Mme Bennet et ses filles lui demandèrent mille fois pardon de l’impolitesse de Lydia, en le conjurant de reprendre sa lecture; mais M. Colins, après avoir assuré qu’il pardonnait de bon cœur à sa jeune cousine, qu’il oubliait sa faute, s’approcha de la table où était M. Bennet et se mit au jeu.

      CHAPITRE XV

      M. Colins était né sans esprit, il n’avait reçu qu’une éducation très-imparfaite, ayant passé la plus grande partie de sa vie sous la tutelle d’un père avare et ignorant; toutes ses études s’étaient bornées à suivre simplement les cours de l’université, sans y contracter de liaisons qui pussent contribuer à le former. La dépendance dans laquelle son père l’avait tenu lui donna de bonne heure des manières fort humbles accompagnées de beaucoup de vanité, que lui inspiraient dans la retraite le défaut de comparaison de lui-même avec d’autres et le prompt avancement qu’il avait obtenu. Il eut le bonheur d’être recommandé à lady Catherine de Brough lors de la vacance de la cure d’Hunsford, et le respect que lui inspirait le rang de cette dame, sa vénération pour elle, se mêlant à l’idée favorable qu’il avait de son propre mérite, de son autorité comme ecclésiastique et comme chef de paroisse, le rendaient un étrange assemblage d’orgueil et de soumission, de suffisance et d’humilité.

      Se voyant une bonne maison, une fortune aisée, il voulut se marier, et ce motif entra pour beaucoup dans ses vues de réconciliation avec la famille Bennet; il comptait épouser une des demoiselles, si toutefois il les trouvait aussi belles, aussi aimables, aussi parfaites qu’on le disait.

      Voilà quels étaient ses accommodans projets. Il crut n’en pouvoir proposer de plus convenables, et en cela il s’imaginait faire preuve de désintéressement et d’une générosité rare.

      La vue de ses cousines ne changea rien à ses résolutions, mais la jolie figure de Mlle Bennet fixa entièrement ses idées sur le droit de primogéniture. Le premier soir son choix fut fait, mais le lendemain amena quelque changement. Dans un quart-d’heure de tête à tête avec Mme Bennet, la conversation, commençant par des détails sur son presbytère d’Hunsford, l’amena naturellement à dire que son espoir était de trouver à Longbourn une compagne qui voulût en partager la possession. Un sourire de Mme Bennet répondait à chaque mot de cette déclaration; elle crut aussi lui devoir un avertissement au sujet de cette même Hélen, l’objet de sa préférence. C’était que, quant à ses autres filles, elle les croyait libres: „Mais je me trouve, ajouta-t-elle, obligée de vous prévenir que l’aînée pourrait bien ne pas l’être long-temps.“

      Tout le changement qu’avait à faire M. Colins, c’était de transporter son affection d’Hélen à Élisabeth; et l’affaire fut bientôt faite. Cette résolution s’opéra pendant que Mme Bennet arrangeait le feu de la cheminée.

      Le projet de Lydia d’aller à Meryton n’était point oublié: toutes les sœurs, excepté Mary, consentaient à l’accompagner, et M. Colins devait les escorter, à la prière de M. Bennet, qui trouva ce moyen de s’en débarrasser et d’être enfin seul dans son cabinet. M. Colins l’y avait suivi aussitôt après le déjeûner et s’y était établi, comme pour lire un des in-folios de la bibliothèque, mais bien plus occupé de la description détaillée qu’il faisait de sa maison et de son jardin d’Hunsford.

      M. Bennet perdait patience. „Dans mon cabinet je trouve le repos, avait-il coutume de dire à Élisabeth; et, habitué à ne voir que folie et vanité dans le reste de la maison, là du moins rien ne me blesse…“

      Il fut donc très-pressant dans son invitation à M. Colins d’accompagner ses filles; et lui, à qui la promenade convenait mieux que la lecture, fut fort aise d’y aller et de fermer son gros livre.

      Fades complimens de son côté, réponses polies de la part des demoiselles formèrent toute leur conversation jusqu’à Meryton. Là cessa le peu d’attention que lui prêtaient les deux plus jeunes; uniquement occupées des officiers, leurs yeux les cherchaient avec impatience: une mousseline d’un nouveau goût, le magasin de modes le mieux assorti purent à peine les distraire un moment.

      Mais bientôt un jeune homme de l’air le plus distingué attira l’attention de toutes ces dames, qui le voyaient pour la première fois; il paraissait se promener de l’autre côté de la rue avec un officier.

      L’officier n’était autre que ce M. Denny dont Lydia avait parlé la veille; il les reconnut aussitôt et, s’approchant d’elles, demanda la permission de leur présenter son ami M. Wickham, avec lui arrivé nouvellement de Londres, et nouveau sous-lieutenant dans le même régiment; circonstance fort heureuse, car il ne manquait au jeune homme que des épaulettes pour être tout à fait charmant… grand, bien fait, d’une jolie figure et se présentant avec grâce. Après les premiers complimens, il leur adressa la parole d’une manière aisée; une conversation s’engagea, qui fut interrompue par des pas de chevaux, et l’on vit arriver Darcy et Bingley; ceux-ci, reconnaissant ces dames, descendirent et s’approchèrent d’elles. Dès ce moment, Bingley fit presque tous les frais de la conversation, et Mlle Bennet en fut le principal objet. Il était, dit-il, en chemin pour se rendre à Longbourn et savoir de ses nouvelles. M. Darcy appuya ce dire de son ami, et ses yeux, qui semblaient éviter ceux d’Élisabeth, tombèrent tout à coup sur l’étranger. Élisabeth, au même moment, non sans une extrême surprise, aperçoit l’effet de ce regard, différent sur tous deux, mais également prompt… L’un pâlit, l’autre rougit, M. Wickham fit un commencement de salut, que l’autre à peine daigna apercevoir.

      Que


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