Orgueil et préjugés. Jane Austen

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Orgueil et préjugés - Jane Austen


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intime amie.

      » — Elle paraît fort aimable, dit Bingley.

      » — Oui, mais il faut avouer qu’elle est bien laide; lady Lucas elle-même me l’a souvent dit: elle m’envie la beauté d’Hélen. Je ne devrais pas louer ma propre fille, mais, à dire vrai, on ne voit pas beaucoup de femmes plus jolies qu’elle; c’est ce que tout le monde dit. Elle avait à peine quinze ans quand un ami de mon frère Gardiner en devint amoureux; ma belle-sœur croyait qu’il l’aurait demandée en mariage, mais il n’en fit rien: je pense qu’il la trouvait trop jeune. Il composa néanmoins des vers à sa louange, et je vous assure qu’ils étaient bien jolis.

      » — Et ainsi finit son attachement, dit Élisabeth avec impatience; beaucoup d’autres que lui se sont guéris de même. Je voudrais bien savoir qui a découvert le premier l’efficacité qu’a la poésie pour chasser l’amour?

      » — J’avais toujours considéré la poésie comme un aliment de l’amour, dit Darcy.

      » — Oui, d’un amour très-enraciné. Tout nourrit une passion déjà profonde, mais, si ce n’est qu’une inclination légère, je suis persuadée qu’un couplet la détruirait entièrement.“

      Darcy sourit, et le silence qui suivit faisant craindre à Élisabeth de nouveaux propos de sa mère, elle voulait parler, mais ne savait que dire… Peu de momens après, Mme Bennet renouvela ses remerciemens à M. Bingley des bontés qu’il avait pour Hélen, en s’excusant d’être obligée de lui laisser encore Lizzy.

      M. Bingley fut d’une politesse si franche qu’il força sa sœur à l’imiter et à employer les phrases d’usage: elle le fit avec bien peu de grâce, mais Mme Bennet fut satisfaite, et bientôt demanda sa voiture.

      Catherine et Lydia s’étaient parlé bas pendant toute la visite: le résultat de cette conversation fut que la plus jeune rappela à M. Bingley la promesse qu’il avait faite, à son arrivée dans le pays, de donner un bal à Netherfield.

      Lydia était une grande et belle fille de quinze ans, fort gaie et fort étourdie, favorite de sa mère, et par cette raison introduite dans le monde beaucoup trop tôt; elle était naturellement peu timide, et les attentions des officiers, que ses manières et les bons dîners de son oncle attiraient, l’avaient rendue hardie. Elle se décida donc sans peine à parler à M. Bingley au sujet du bal, ajoutant qu’il serait mal à lui de ne pas tenir sa parole. La réponse qu’il lui fit enchanta Mme Bennet:

      „Je suis tout prêt, je vous assure, à tenir ma promesse; et quand votre sœur sera rétablie, vous pourrez vous-même fixer le jour du bal. Mais vous ne voudriez pas danser pendant qu’elle est malade?“

      Lydia lui dit qu’elle était satisfaite:

      „Oh! oui, ajouta-t-elle, il vaut mieux attendre le rétablissement d’Hélen; et sans doute qu’alors le capitaine Carter sera de retour de la ville. Quand vous aurez donné votre bal, ajouta-t-elle, je ferai en sorte qu’ils en donnent un à leur tour (elle parlait des officiers): je le dirai au colonel Forsters.“

      Mme Bennet et ses filles quittèrent alors Netherfield; Élisabeth alla aussitôt rejoindre Hélen, abandonnant à la critique des deux dames et de M. Darcy sa propre conduite et celle de ses parens: on ne put cependant engager ce dernier à se moquer d’Élisabeth, ni même à sourire des bons mots de Mlle Bingley sur ses beaux yeux.

      CHAPITRE X

      Cette journée se passa à peu près comme la précédente: Mme Hurst et miss Bingley demeurèrent auprès de la malade une partie de la matinée… Elle continuait à se rétablir, quoique lentement. Le soir Élisabeth se rendit au salon, où la famille était réunie. M. Darcy écrivait; Mlle Bingley, assise près de lui, et l’œil sur son papier, suivait la trace de sa plume; M. Hurst et M. Bingley jouaient au piquet, et Mme Hurst regardait le jeu. Élisabeth prit son ouvrage et s’amusa à écouter M. Darcy et sa voisine. Les louanges qu’elle lui prodiguait sur son écriture, la régularité de ses lignes, la longueur de sa lettre, et l’indifférence avec laquelle il les recevait, formaient un contraste curieux; et leur dialogue confirma l’opinion qu’Élisabeth s’était faite de ces deux personnages.

      „Combien miss Darcy sera charmée de recevoir une aussi longue lettre!“

      Il ne fit point de réponse.

      „Vous écrivez bien vite!

      » — Vous vous trompez, j’écris plutôt doucement.

      » — Que de lettres vous devez écrire dans le courant de l’année! et des lettres d’affaires aussi: combien je les trouverais ennuyeuses!

      » — Heureusement, c’est mon partage, et non le vôtre, d’en écrire.

      » — Dites, je vous prie, à votre sœur le vif désir que j’ai de la revoir.

      » — Je le lui ai déjà dit une fois, d’après vos ordres.

      » — Je crois votre plume mauvaise, laissez-moi la retoucher; j’ai un talent pour les tailler.

      » — Je vous remercie, je les taille toujours moi-même.

      » — Dites à votre sœur que je suis enchantée d’apprendre qu’elle fasse autant de progrès sur la harpe. Je vous prie de lui faire savoir aussi que je suis tout enthousiasmée de son charmant paysage, je le trouve infiniment mieux dessiné que ceux de Mlle Granthey.

      » — Permettez-moi de remettre vos complimens à une autre fois, à présent j’ai trop peu de papier.

      » — Oh! je n’y tiens pas beaucoup. Je la verrai au mois de janvier. Lui écrivez-vous toujours des lettres aussi longues et aussi jolies…, M. Darcy?

      » — Elles sont ordinairement longues, mais jolies…, ce n’est pas à moi d’en décider.

      » — J’ai la persuasion qu’une personne qui écrit facilement une longue lettre doit bien écrire.

      » — Vous avez mal choisi votre compliment pour Darcy, Caroline! s’écria son frère, car il n’écrit pas avec facilité; il cherche trop les grands mots: n’est-il pas vrai, Darcy?

      » — Mon style est bien différent du vôtre.

      » — Oh! s’écria Mlle Bingley, Charles écrit sans le moindre soin; il oublie la moitié de ses mots, et barbouille le reste.

      » — Mes idées viennent si rapidement que je n’ai pas le temps de les exprimer, et par là mes lettres sont souvent inintelligibles pour mes correspondans.

      » — Votre modestie, M. Bingley, dit Élisabeth, doit désarmer la critique.

      » — Il n’y a rien qui soit plus trompeur, dit Darcy, que cette apparente humilité; ce n’est souvent qu’une insouciance de l’opinion d’autrui, ou une manière plus adroite de se faire honneur.

      » — Lequel des deux m’attribuez-vous?

      » — Le désir de vous faire honneur, car réellement vous tirez vanité des fautes que vous faites en écrivant, parce que vous les croyez produites par une imagination vive et une certaine étourderie, qui, si elle n’est point estimable, est du moins, selon vous, très-intéressante. La facilité de faire vite est quelquefois trop prisée par la personne qui la possède et qui ne voit pas les imperfections de son ouvrage. Quand vous avez dit, ce matin, à Mme Bennet, que si vous quittiez Netherfield la résolution serait prise et exécutée en cinq minutes, vous aviez l’intention de vous faire un compliment; et cependant qu’y a-t-il de si louable dans cette précipitation qui doit vous faire négliger beaucoup d’affaires, et ne peut être d’aucun avantage ni pour vous ni pour les autres?

      » — Fi donc! s’écria Bingley, c’est avoir trop de mémoire de se rappeler le soir les folies du matin. Sur mon honneur, ce que j’ai dit de moi est très-vrai, et je pense de même maintenant: ce n’est donc pas un air que


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