Orgueil et préjugés. Jane Austen

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Orgueil et préjugés - Jane Austen


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arrière et dit avec embarras à sir William:

      „En vérité, monsieur, je n’ai point envie de danser; je vous conjure de ne pas croire que je me sois avancée de ce côté-ci pour mendier un danseur.“

      M. Darcy, avec gravité, la pria de l’honorer de sa main, mais ce fut inutilement: Élisabeth était décidée, et sir William essaya en vain de changer sa résolution.

      „Vous dansez si bien, Mademoiselle! Par votre refus, vous me privez d’un vrai plaisir; et, quoique monsieur ait, en général, peu de goût pour cet exercice, il ne peut se refuser à nous obliger pendant une demi-heure.

      » — M. Darcy est un modèle de civilité, dit Élisabeth en souriant.

      » — Cela est vrai, mais, considérant le motif, Mademoiselle, on ne saurait s’étonner de sa complaisance: qui est-ce qui pourrait refuser une telle danseuse?“

      Élisabeth le regarda d’un air malin, et s’éloigna.

      Son refus ne lui avait pas nui auprès de M. Darcy; au contraire, il pensait à elle avec plaisir lorsqu’il fut joint par Mlle Bingley.

      „Je devine le sujet de votre rêverie, lui dit-elle.

      » — Je ne le crois pas, Mademoiselle.

      » — Vous pensez combien il serait ennuyeux de passer beaucoup de soirées comme celle-ci, avec une pareille société: je suis bien de votre avis, je ne m’étais jamais autant ennuyée; l’insipidité et le bruit, la petitesse et cependant les prétentions de tous ces gens-là… que ne donnerais-je pas pour vous entendre les critiquer!

      » — Vous conjecturez mal, je vous jure; mon imagination était plus agréablement occupée; je méditais sur l’extrême plaisir que peuvent causer les beaux yeux d’une jolie femme.“

      Mlle Bingley le regarda fixement et témoigna le désir de savoir laquelle de ces deux dames avait su lui inspirer ces réflexions. M. Darcy répondit avec assurance:

      „Mlle Élisabeth Bennet.

      » — Élisabeth Bennet! répéta miss Bingley, vous m’étonnez beaucoup; et depuis quand a-t-elle ce bonheur? Quand pourra-t-on vous faire compliment du vôtre?

      » — Voilà justement la question à laquelle je m’attendais; l’imagination d’une femme est bien vive, elle passe en un instant de l’admiration à l’amour, et de l’amour au mariage. Je prévoyais votre compliment.

      » — Oh! oh! si vous êtes si sérieux, je croirai que c’est un parti pris absolument. Vous aurez vraiment une charmante belle-mère, et qui, sans doute, sera toujours avec vous à Pemberley.“

      Il l’écoutait avec une parfaite indifférence, et cette tranquillité l’ayant rassurée, elle s’égaya long-temps sur le même sujet.

      CHAPITRE VII

      La fortune de M. Bennet consistait presque entièrement en une terre de deux mille livres sterlings de rente, qui, malheureusement pour ses filles, était substituée, au défaut d’héritier mâle, à un parent éloigné; et celle de leur mère, quoique considérable pour son état, ne devait les dédommager que faiblement. Son père, procureur à Meryton, lui avait laissé en mourant quatre mille livres sterlings.

      Elle avait une sœur mariée à un M. Philips, jadis clerc de leur père, depuis son successeur, et un frère établi à Londres dans une haute branche de commerce.

      Le village de Longbourn n’était qu’à un mille de Meryton, distance fort commode pour les demoiselles Bennet, qui y allaient ordinairement, deux ou trois fois par semaine, rendre visite à leur tante et à un magasin de modes qui se trouvait de l’autre côté de la rue. Les deux plus jeunes de la famille, Catherine et Lydia, s’y rendaient encore plus fréquemment; leur imagination était moins occupée que celle de leurs sœurs et, lorsqu’elles n’avaient rien de mieux à faire, une promenade à Meryton venait fort à propos pour les amuser durant la matinée et leur fournir un sujet de conversation pour l’après-midi.

      Leur tante leur apprenait toujours quelques nouvelles, et en ce moment elles se trouvaient agréablement occupées par l’arrivée d’un régiment qui devait passer l’hiver dans les environs, et dont Meryton était le quartier-général.

      Les visites à Mme Philips devinrent donc la source des nouvelles les plus intéressantes; chaque jour elles apprenaient le nom de quelques officiers, puis elles surent leurs demeures, et enfin elles firent connaissance avec eux. M. Philips les voyait tous, et par là il procura à ses nièces d’intéressantes relations qui jusqu’alors leur avaient été inconnues. Elles ne parlaient plus que de militaires, et la fortune de M. Bingley, dont l’idée seule faisait sourire leur mère, n’était à leurs yeux qu’une bagatelle, comparée à l’uniforme d’un sous-lieutenant.

      Un matin, après avoir écouté leurs épanchemens à ce sujet, M. Bennet leur dit froidement:

      „Tout ce que je puis conclure de vos discours, c’est que vous êtes bien deux des plus folles filles du pays; il y a long-temps que je m’en doutais, j’en suis maintenant convaincu.“

      Catherine fut déconcertée et ne répondit pas; mais Lydia, avec une parfaite indifférence, continua à parler avec emphase du capitaine Carter et de l’espoir qu’elle avait de le rencontrer encore avant qu’il ne partît pour Londres.

      „Je suis étonnée, mon cher, dit madame Bennet, que vous soyez si prompt à taxer vos enfans de folie; si je voulais juger légèrement des enfans de quelqu’un, ce ne serait pas des miens.

      » — Si mes enfans extravaguent, j’espère toujours m’en apercevoir.

      » — Oui, mais il se trouve qu’elles sont toutes très-spirituelles.

      » — Voilà, je l’espère, le seul point sur lequel nous ne nous accordons pas, ma femme: j’avais espéré que nos sentimens se rencontreraient en tout, mais il faut ici que mon opinion diffère de la vôtre, car je pense que nos deux plus jeunes filles sont d’un ridicule achevé.

      » — Mon cher monsieur Bennet, voulez-vous que des enfans de cet âge aient autant de sens que leurs parens? Je me rappelle le temps où j’aimais moi-même un habit rouge, et je ne dis pas qu’au fond du cœur je n’aie encore un faible pour les militaires: si un jeune colonel, avec cinq ou six mille livres sterlings de rente, me demandait une de mes filles, j’aurais peine à lui dire non. L’autre soir, le colonel Forster avait, je vous assure, fort bonne mine avec son uniforme.“

      Ici, elle fut interrompue par un domestique qui apportait un billet pour Mlle Bennet: il venait de Netherfield, et on attendait une réponse.

      „Eh bien, Hélen, qui est-ce qui vous écrit? Que vous dit-on? Eh bien donc, Hélen, dépêchez-vous de lire; allons, ma chère!

      » — C’est de miss Bingley, dit Hélen, et elle lut à haute voix:

      » Ma chère amie,

      » Si vous n’êtes assez complaisante pour venir dîner avec Louisa et moi, vous nous mettrez dans le cas de nous détester le reste de nos jours; car une journée de tête à tête entre deux femmes ne peut finir sans querelles. Venez après la réception de la présente. Mon frère et ces messieurs dînent avec les officiers. Toute à vous.

      » Caroline Bingley.

      » — Avec les officiers! s’écria Lydia, je m’étonne que ma tante ne nous l’ait pas dit.

      » — Ils dînent en ville, dit Mme Bennet, c’est bien malheureux!

      » — Pourrai-je avoir la voiture? dit Hélen.

      » — Non, ma chère; vous ferez mieux d’aller à cheval; car le temps tourne à la pluie, et alors vous serez obligée de rester jusqu’à demain.

      » — Votre plan serait bon, maman, dit Élisabeth, si vous étiez sûre qu’on ne


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