Orgueil et préjugés. Jane Austen

Читать онлайн книгу.

Orgueil et préjugés - Jane Austen


Скачать книгу
occupe à la ferme bien plus souvent que je ne le voudrais pour mon propre usage.

      » — Mais s’ils y sont aujourd’hui, dit Élisabeth, maman sera satisfaite.“

      Son père répondit enfin qu’on ne pouvait se servir alors de la voiture. Hélen fut donc obligée d’aller à cheval, et sa mère l’accompagna jusqu’à la grille, en l’assurant avec joie qu’elle aurait du mauvais temps. Ses espérances furent réalisées; Hélen ne faisait que de partir quand survint une forte pluie. Ses sœurs étaient très-inquiètes, sa mère très-contente. La pluie continua toute la soirée: Hélen ne put revenir.

      » — C’est une brillante idée que j’ai eue là“, répéta plusieurs fois Mme Bennet pendant l’après-midi.

      Mais ce ne fut que le lendemain matin qu’elle connut l’heureux effet de son adresse. Le déjeûner finissait lorsqu’un domestique apporta de Netherfield le billet suivant:

      » Ma bien chère Lizzy,

      » Je suis réellement malade; j’ai été mouillée jusqu’aux os, hier matin, et n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit; mes bonnes amies ne veulent pas entendre parler de mon retour que je ne sois rétablie. Elles ont absolument voulu envoyer chercher M. Jones: ainsi, ne soyez point inquiets si vous entendez dire qu’il m’est venu voir; à l’exception d’un mal de gorge et de tête, je n’ai rien d’alarmant.

      » Toute à vous, etc.“

      „Eh bien, ma chère, dit M. Bennet après qu’Élisabeth eut communiqué cette nouvelle, si votre fille a une sérieuse maladie et qu’elle en meure, ce sera une consolation de savoir qu’elle l’avait gagnée par votre faute et afin de voir M. Bingley.

      » — Oh! je n’en suis pas inquiète; on ne meurt point d’un petit rhume: je suis sûre qu’on prendra bien soin d’elle; tant qu’elle restera là tout ira bien. Si je pouvais avoir la voiture, j’irais la voir.“

      Élisabeth, étant vraiment inquiète, se décida à l’aller trouver, bien qu’elle ne pût obtenir la voiture et que, n’aimant point à monter à cheval, aller à pied fût sa seule ressource; elle déclara qu’elle y était décidée.

      „Comment pouvez-vous penser à une pareille chose? Les chemins sont affreux; vous ferez horreur en arrivant à Netherfield, dit Mme Bennet.

      » — Je ne ferai pas horreur à Hélen, et c’est elle seule que je veux voir.

      » — Est-ce là, Lizzy, dit son père, une manière de me demander les chevaux?

      » — Non, je ne souhaite nullement éviter cette course. Qu’est-ce que trois milles, lorsqu’on a un but? Je serai de retour pour dîner.

      » — J’admire la vivacité de vos sentimens, observa Mary, mais en tout il faut un peu écouter la raison, et votre dessein, selon moi, est parfaitement ridicule.

      » — Nous irons avec vous jusqu’à Meryton, dirent Catherine et Lydia.“

      Élisabeth y consentit, et ces trois demoiselles se mirent en route.

      „En nous pressant un peu, dit Lydia, nous pourrons arriver assez à temps pour voir partir le capitaine Carter.“

      À Meryton, elles se séparèrent; les deux plus jeunes se rendirent chez leur tante, et Élisabeth continua seule son chemin. Elle allait d’un bon pas, sautant les fossés, traversant les prés avec une activité toujours plus animée, et se trouva enfin près de la maison, très-fatiguée, couverte de boue et le teint animé par la marche et l’inquiétude.

      On la fit entrer dans la salle à manger, où toute la société, hormis Hélen, était réunie; sa venue causa un mouvement général de surprise.

      Avoir marché trois milles, par un temps si mauvais, de si bonne heure et toute seule, était pour Mme Hurst et miss Bingley une chose presque incroyable. Élisabeth s’aperçut facilement qu’elles trouvaient cette démarche ridicule. Elles la reçurent néanmoins avec beaucoup de civilité, et dans l’accueil de leur frère il y avait un peu plus que de la politesse; il était content et attentif. M. Darcy parla peu, et M. Hurst ne dit pas un mot. Les pensées du premier étaient partagées entre l’admiration de l’éclat que l’exercice avait donné au teint d’Élisabeth et le doute que son motif pût la justifier d’être venue toute seule. Le second n’était occupé que de son déjeûner.

      Aux questions qu’elle fit sur la santé de sa sœur, elle ne reçut pas de réponse bien satisfaisantes: Mlle Bennet avait eu de la fièvre et, quoique levée, n’était pas assez bien pour quitter la chambre. Élisabeth désira d’y être conduite sur-le-champ, et Hélen, qui n’avait osé prier sa sœur de venir, par crainte de causer trop d’inquiétude ou de dérangement, témoigna le plus vif plaisir en la voyant. Elle n’était pas en état de parler beaucoup; et quand Mlle Bingley les laissa seules, elle ne put que dire à sa sœur combien elle était reconnaissante de toutes les bontés que ces dames avaient pour elle. Élisabeth s’occupa en silence de la soigner.

      Quand le déjeûner fut fini, les deux sœurs vinrent les joindre, et Élisabeth commença elle-même à les aimer lorsqu’elle vit la tendre sollicitude qu’elles témoignaient à Hélen. Le chirurgien du lieu vint et, ayant examiné la malade, dit, comme on pouvait l’imaginer, qu’elle avait un rhume sérieux; il lui conseilla de se mettre au lit, en attendant quelques drogues qu’il devait envoyer. Son avis fut suivi sans peine, car le frisson augmentait, et Hélen avait un violent mal de tête. Élisabeth ne la quitta pas un seul instant, et ces dames s’en éloignèrent peu; car les messieurs étant sortis, elles n’avaient rien de mieux à faire.

      Vers les trois heures, Élisabeth pensa qu’il fallait se retirer, et le dit à regret; Mlle Bingley lui offrit la voiture; mais Hélen témoigna tant de chagrin de voir partir sa sœur, que miss Bingley se vit obligée d’engager Élisabeth à demeurer pour le moment à Netherfield. Cette proposition fut acceptée avec reconnaissance, et l’on envoya un domestique à Longbourn faire part de cette décision, et chercher ce dont les deux sœurs pouvaient avoir besoin.

      CHAPITRE VIII

      À cinq heures, ces dames se retirèrent pour s’habiller, et à six on vint dire à Élisabeth que le dîner était servi. Aux diverses demandes qu’on lui fit, et parmi lesquelles elle eut le plaisir de distinguer l’empressement de M. Bingley, elle ne put donner aucunes réponses satisfaisantes. Hélen n’était certainement pas mieux. En entendant cela, les deux dames répétèrent deux ou trois fois qu’elles étaient désolées, combien il était mauvais de prendre froid, et combien elles redoutaient elles-mêmes d’être malades; puis elles n’y pensèrent plus; et leur indifférence pour Hélen, lorsqu’elle n’était pas absolument sous leurs yeux, rappela à Élisabeth l’impression peu favorable que ces dames lui avaient causée. Leur frère était en effet la seule personne de cette maison qu’elle pût voir avec quelque plaisir. Son inquiétude sur la santé d’Hélen était très-visible, et ses attentions pour Élisabeth assez gracieuses pour l’empêcher de se croire aussi importune qu’elle pensait l’être aux autres individus de la famille.

      Elle ne recevait de politesses que de lui. Mlle Bingley était entièrement occupée de M. Darcy, sa sœur à peu près autant; et quant à M. Hurst, près duquel Élisabeth était assise, c’était un homme indolent, qui ne vivait que pour manger, boire et jouer, et qui, lorsqu’il se fut aperçu qu’elle préférait un mets simple à un ragoût, n’eut plus rien à lui dire.

      Le dîner fini, elle rentra dans l’appartement d’Hélen, et sitôt qu’elle fut dehors miss Bingley commença à la critiquer… Il fut décidé que ses manières étaient affreuses, un mélange d’orgueil et d’étourderie indiscrète; elle n’avait ni conversation, ni goût, ni beauté: Mme Hurst pensait de même, et ajouta:

      „En un mot, elle n’a rien qui puisse la faire remarquer, si ce n’est d’être une excellente marcheuse. Je n’oublierai de la


Скачать книгу