Orgueil et préjugés. Jane Austen

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Orgueil et préjugés - Jane Austen


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la mère avait vu sa fille aînée fort admirée par la société de Netherfield; ces dames s’étaient plues à causer avec elle, et M. Bingley deux fois l’avait fait danser: le plaisir qu’en éprouvait Hélen fut aussi vif que celui de sa mère, mais elle en parla bien moins. Élisabeth partageait la satisfaction de sa sœur; quant à Mary, le bonheur de s’être entendu nommer aux dames Bingley comme une jeune personne des plus accomplies la rendait toute glorieuse; et Kitty et Lydia, ayant eu la bonne fortune de ne point manquer de danseurs, étaient aussi au comble de la joie.

      Elles retournèrent donc fort gaîment au petit village de Longbourn où elles demeuraient, et dont leur père était le plus riche habitant.

      Elles trouvèrent M. Bennet dans son cabinet; avec un livre, le temps lui paraissait toujours court; d’ailleurs il était curieux de savoir l’issue d’une soirée qui avait donné lieu à tant de calculs et de projets. Il espérait que tous les desseins de sa femme sur l’étranger auraient échoué; mais il s’aperçut bientôt qu’elle avait une histoire bien différente à lui raconter.

      „Oh! mon cher M. Bennet, dit-elle en entrant, nous avons eu un charmant bal, j’aurais bien voulu que vous y fussiez; Hélen a été tant admirée, c’était à qui lui donnerait le plus de louanges, M. Bingley l’a trouvée charmante et l’a fait danser deux fois; c’est très-vrai, mon cher, il a dansé deux fois avec elle, et c’est la seule demoiselle qu’il ait demandée une seconde fois! D’abord il avait pris Mlle Lucas, j’étais toute déconcertée de le voir danser avec elle; mais il ne l’a pas admirée, il est certain que cela n’est pas possible, elle est si laide; il a paru surpris en voyant Hélen descendre la contredanse, a demandé qui elle était, s’est fait présenter à elle et l’a engagée pour la seconde danse; pour la troisième, il a choisi miss King, la quatrième Marie Lucas, la cinquième Hélen, la sixième Lizzy, ainsi que pour la boulangère.

      » — S’il avait eu pitié de moi, s’écria le mari, il n’eût pas tant dansé. Pour l’amour de Dieu ne me parlez plus de contredanses; oh! je voudrais qu’à la première il se fût donné une entorse!

      » — Ah! mon cher, continua Mme Bennet, si vous saviez combien je suis heureuse, M. Bingley est si aimable et ses sœurs sont des femmes charmantes; je n’ai jamais rien vu d’aussi élégant que la robe de Mme Hurst, je suis sûre que sa garniture de dentelle…“

      Ici, elle fut interrompue par M. Bennet, qui déclara qu’il ne voulait point écouter les détails de leurs toilettes; elle fut donc obligée de chercher un autre sujet de conversation, et lui raconta avec amertume et exagération la malhonnêteté de M. Darcy.

      „— Mais je puis vous assurer, ajouta-t-elle, que Lizzy n’a point beaucoup perdu de n’être pas à son goût, car c’est un homme extrêmement désagréable et qui ne vaut pas la peine qu’on cherche à lui plaire. Il est si fier, si suffisant, qu’en vérité on ne saurait le voir sans déplaisir; il marchait çà et là, se croyant un personnage d’une si grande importance! Pas assez belle pour danser avec lui! Je vous ai bien désiré, mon cher, vous lui eussiez rabattu le caquet; je le déteste vraiment.“

      CHAPITRE IV

      Quand Hélen et Élisabeth furent seules, la première, qui jusque là avait été silencieuse sur le compte de M. Bingley, dit à sa sœur combien elle l’avait trouvé aimable.

      „Il est justement ce qu’un jeune-homme doit être, dit-elle, sensé, gai et affable; je n’avais pas encore vu quelqu’un unir des manières aussi distinguées à tant d’aisance et si peu de fatuité.

      » — Il est aussi fort joli homme, reprit Élisabeth, ainsi le voilà un être parfait.

      » — J’ai été très-flattée qu’il m’ait deux fois demandé à danser, je ne m’attendais pas à cet empressement.

      » — Vous ne vous y attendiez pas? Eh bien! moi, je m’y attendais; mais voilà la différence entre nous deux, les complimens vous surprennent toujours, et moi jamais: quoi de plus naturel que de vous demander une seconde fois? Il était impossible qu’il ne vît point que vous étiez la plus belle personne du bal. — Je ne le remercie point de cette galanterie. — Après tout, il est fort agréable; je vous permets de le trouver tel, vous en avez admiré de bien plus sots.

      » — Chère Lizzy!

      » — Ah! vous êtes beaucoup trop facile à aimer tout le monde en général; vous ne voyez jamais les défauts des autres, toutes les personnes que vous connaissez sont bonnes et aimables à vos yeux, je ne vous ai de ma vie entendu dire du mal de qui que ce fût.

      » — Je ne voudrais pas être trop prompte à censurer n’importe qui; mais je dis toujours ce que je pense.

      » — Je le sais, et voilà justement pourquoi je m’étonne qu’avec votre bon sens vous ne voyiez jamais les folies et les sottises des autres. Afficher la candeur est une chose très-commune, on voit cela partout; mais être franche sans désirer le paraître, savoir discerner les bonnes qualités de chacun, les exagérer sans le vouloir et ne jamais parler de leurs défauts, voilà ce que vous seule savez faire. Eh bien, sans doute, vous aimez aussi les sœurs de M. Bingley? Leurs manières cependant ne peuvent être comparées aux siennes.

      » — Non certainement pas au premier abord, mais elles causent agréablement. Miss Bingley doit vivre avec son frère, et je me tromperais bien si nous ne trouvions en elle une charmante voisine.“

      Élisabeth écouta en silence, mais ne fut pas convaincue. Douée d’une grande pénétration, d’un caractère moins facile que sa sœur et d’un jugement froid que des attentions personnelles ne pouvaient influencer, elle était très-peu portée à admirer ces dames; d’ailleurs, leur conduite au bal n’en avait pas donné, en général, une idée très-favorable.

      C’étaient, en un mot, des élégantes affichées, extrêmement fières et suffisantes; mais pouvant, lorsqu’elles le voulaient, être gaies et aimables. Elles étaient assez belles, avaient été élevées dans une des premières pensions de Londres, possédaient une fortune de vingt mille livres sterl., et savaient fort bien dépenser plus que leurs revenus. Elles fréquentaient les gens du bel air, et ainsi étaient naturellement portées à bien penser d’elles, et mal des autres. Elles appartenaient à une famille respectable du Nord de l’Angleterre, et la fortune de leur frère, ainsi que la leur, avait été acquise dans le commerce, circonstance qui leur déplaisait fort et qu’elles auraient bien voulu faire oublier.

      M. Bingley hérita de cent mille livres sterlings à la mort de son père, dont l’intention avait été d’acheter une terre. Son fils le désirait également; mais ayant maintenant la possession d’une maison et d’un parc fort agréables, ceux qui connaissaient la facilité de son caractère pensaient qu’il pourrait bien passer sa vie à Netherfield et laisser à ses successeurs le soin de faire cette acquisition.

      Ses sœurs désiraient qu’il possédât une terre; mais, bien qu’il eût seulement loué Netherfield, miss Bingley consentit avec plaisir à faire les honneurs de sa table, et Mme Hurst, qui avait épousé un homme à la mode, mais peu riche, était aussi très-disposée à considérer, quand cela l’accommodait, la maison de son frère comme la sienne.

      M. Bingley n’avait pas été majeur deux ans lorsqu’il fut tenté, par la recommandation d’un de ses amis, de visiter le château de Netherfield: il le considéra pendant une demi-heure, fut charmé de la beauté de la vue, satisfait des avantages dont le propriétaire l’assurait, et l’arrêta sur-le-champ.

      En dépit de la différence du caractère de Bingley et de Darcy, il existait entre eux une sincère amitié: la franchise, la vivacité, la flexibilité d’humeur de Bingley l’avaient rendu cher à Darcy. Bingley comptait réellement sur l’attachement de Darcy, et avait une haute opinion de son jugement; Darcy avait plus de pénétration que son ami. Bingley n’était certainement pas un sot; mais Darcy était instruit. Ce dernier était également fier, réservé, dédaigneux, et ses


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