Horace. Жорж Санд

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Horace - Жорж Санд


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entre elle et nous, feignant d'avoir trop de soleil, mais effectivement par un sentiment de pudeur qu'Horace comprit fort bien. Je m'étais assis sur une des caisses d'oranger, derrière lui. Il y avait de la place bien juste pour deux personnes et pour quatre ou cinq pots de fleurs sur cet étroit belvédère; mais nous embrassions d'un coup d'oeil la plus belle partie du cours de la Seine, toute la longueur du Louvre, jaune au soleil et tranchant sur le bleu du ciel, tous les ponts et tous les quais jusqu'à l'Hôtel-Dieu. En face de nous, la Sainte-Chapelle dressait ses aiguilles d'un gris sombre et son fronton aigu au-dessus des maisons de la Cité; la belle tour de Saint-Jacques-la-Boucherie élevait un peu plus loin ses quatre lions géants jusqu'au ciel, et la façade de Notre-Dame formait le tableau, à droite, de sa masse élégante et solide. C'était un beau coup d'oeil; d'un côté, le vieux Paris, avec ses monuments vénérables et son désordre pittoresque; de l'autre, le Paris de la renaissance, se confondant avec le Paris de l'Empire, l'oeuvre de Médicis, de Louis XIV et de Napoléon. Chaque colonne, chaque porte était une page de l'histoire de la royauté.

      Nous venions de lire dans sa nouveauté Notre-Dame de-Paris; nous nous abandonnions naïvement, comme tout le monde alors, ou du moins comme tous les jeunes gens, au charme de poésie répandu fraîchement par cette oeuvre romantique sur les antiques beautés de notre capitale. C'était comme un coloris magique à travers lequel les souvenirs effacés se ravivaient; et, grâce au poête, nous regardions le faite de nos vieux édifices, nous en examinions les formes tranchées et les effets pittoresques avec des yeux que nos devanciers les étudiants de l'Empire et de la Restauration, n'avaient certainement pas eus. Horace était passionné pour Victor Hugo. Il en aimait avec fureur toutes les étrangetés, toutes les hardiesses. Je ne discutais point, quoique je ne fusse pas toujours de son avis. Mon goût et mon instinct me portaient vers une forme moins accidentée, vers une peinture aux contours moins âpres et aux ombres moins dures. Je le comparais à Salvator Rosa, qui a vu avec les yeux de l'imagination plus qu'avec ceux de la science. Mais pourquoi aurais-je fait contre Horace la guerre aux mots et aux figures? Ce n'est pas à dix-neuf ans qu'on recule devant l'expression qui rend une sensation plus vive, et ce n'est pas à vingt-cinq ans qu'on la condamne. Non, l'heureuse jeunesse n'est point pédante; elle ne trouve jamais de traduction trop énergique pour rendre ce qu'elle éprouve avec tant d'énergie elle-même, et c'est bien quelque chose pour un poète que de donner à sa contemplation une certaine forme assez large et assez frappante pour qu'une génération presque entière ouvre les yeux avec lui et se mette à jouir des mêmes émotions qui l'ont inspiré!

      Il en a été ainsi: les plus récalcitrants d'entre nous, ceux qui avaient besoin, pour se rafraîchir la vue, de lire, en fermant Notre-Dame-de-Paris, une page de Paul et Virginie, ou, comme a dit un élégant critique, de repasser bien vite le plus cristallin des sonnets de Pétrarque, n'en ont pas moins mis sur leurs yeux délicats ces lunettes aux couleurs bigarrées qui faisaient voir tant de choses nouvelles; et après qu'ils ont joui de ce spectacle plein d'émotions, les ingrats ont prétendu que c'étaient là d'étranges lunettes. Étranges tant que vous voudrez; mais, sans ce caprice du maître, et avec vos yeux nus, auriez-vous distingué quelque chose?

      Horace faisait à ma critique de minces concessions, j'en faisais de plus larges à son enthousiasme; et, après avoir discuté, nos regards, suivant au vol les hirondelles et les corbeaux qui rasaient nos têtes, allaient se reposer avec eux sur les tours de Notre-Dame, éternel objet de notre contemplation. Elle a eu sa part de nos amours, la vieille cathédrale, comme ces beautés délaissées qui reviennent de mode, et autour desquelles la foule s'empresse dès qu'elles ont retrouvé un admirateur fervent dont la louange les rajeunit.

      Je ne prétends pas faire de ce récit d'une partie de ma jeunesse un examen critique de mon époque: mes forces n'y suffiraient pas; mais je ne pouvais repasser certains jours dans mes souvenirs sans rappeler l'influence que certaines lectures exercèrent sur Horace, sur moi, sur nous tous. Cela fait partie de notre vie, de nous-mêmes, pour ainsi dire. Je ne sais point séparer dans ma mémoire les impressions poétiques de mon adolescence de la lecture de René et d'Atala.

      Au milieu de nos dissertations romantiques, on sonna à la porte. Eugénie m'en avertit en frappant un petit coup contre la vitre, et j'allai ouvrir. C'était un élève en peinture de l'école d'Eugène Delacroix, nommé Paul Arsène, surnommé le petit Masaccio à l'atelier où j'allais tous les jours faire un cours d'anatomie à l'usage des peintres.

      «Salut au signor Masaccio, lui dis-je en le présentant à Horace, qui jeta un regard glacial sur sa blouse malpropre et ses cheveux mal peignés. Voici un jeune maître qui ira loin, à ce qu'on assure, et qui vient en attendant me chercher pour la leçon.

      – Non pas encore, me répondit Paul Arsène; vous avez plus d'une heure devant vous; je venais pour vous parler de choses qui me concernent particulièrement. Auriez-vous le loisir de m'écouter?

      – Certainement, répondis-je; et si mon ami est de trop, il retournera fumer sur le balcon.

      – Non, reprit le jeune homme, je n'ai rien de secret à vous dire, et, comme deux avis valent mieux qu'un, je ne serai pas fâché que monsieur m'entende aussi.

      – Asseyez-vous, lui dis-je en allant chercher une quatrième chaise dans l'autre chambre.

      – Ne faites pas attention,» dit le rapin en grimpant sur la commode; et, ayant mis sa casquette entre son coude et son genou, il essuya d'un mouchoir à carreaux sa figure inondée de sueur et parla en ces termes, les jambes pendantes et le reste du corps dans l'altitude du Pensieroso:

      «Monsieur, j'ai envie de quitter la peinture et d'entrer dans la médecine, parce qu'on me dit que c'est un meilleur état; je viens donc vous demander ce que vous en pensez.

      – Vous me faites une question, lui dis-je, à laquelle il est plus difficile de répondre que vous ne pensez. Je crois toutes les professions très-encombrées, et par conséquent tous les états, comme vous dites, très-précaires. De grandes connaissances et une grande capacité ne sont pas des garanties certaines d'avenir; enfin je ne vois pas en quoi la médecine vous offrirait plus de chances que les arts. Le meilleur parti à prendre c'est celui que nos aptitudes nous indiquent; et puisque vous avez, assure-t-on, les plus remarquables dispositions pour la peinture, je ne comprends pas que vous en soyez déjà dégoûté.

      – Dégoûté, moi! oh! non, répliqua le Masaccio; je ne suis dégoûté de rien du tout, et si l'on pouvait gagner sa vie à faire de la peinture, j'aimerais mieux cela que toute autre chose; mais il paraît que c'est si long, si long! Mon patron dit qu'il faudra dessiner le modèle pendant deux ans au moins avant de manier le pinceau. Et puis, avant d'exposer, il paraît qu'il faut encore travailler la peinture au moins deux ou trois ans. Et quand on a exposé, si on n'est pas refusé, on n'est souvent pas plus avancé qu'auparavant. J'étais ce matin au Musée, je croyais que tout le monde allait s'arrêter devant le tableau de mon patron; car enfin c'est un maître, et un fameux, celui-là! Eh bien! la moitié des gens qui passaient ne levaient seulement pas la tête, et ils allaient tous regarder un monsieur qui s'était fait peindre en habit d'artilleur et qui avait des bras de bois et une figure de carton. Passe pour ceux-là: c'étaient de pauvres ignorants; mais voilà qu'il est venu des jeunes gens, élèves en peinture de différents ateliers, et que chacun disait son mot: ceux-ci blâmaient, ceux-là admiraient; mais pas un n'a parlé comme j'aurais voulu. Pas un ne comprenait. Je me suis dit alors: A quoi bon faire de l'art pour un public qui n'y voit et qui n'y entend goutte. C'était bon dans les temps! Moi je vais prendre un autre métier pourvu que ça me rapporte de L'argent.

      – Voilà un sale crétin! me dit Horace en se penchant vers mon oreille. Son âme est aussi crasseuse que sa blouse!»

      Je ne partageais pas le mépris d'Horace. Je ne connaissais presque pas le Masaccio, mais je le savais intelligent et laborieux. M. Delacroix en faisait grand cas, et ses camarades avaient de l'estime et de l'amitié pour lui. Il fallait qu'une pensée que je ne comprenais pas fût cachée sous ces manifestations de cupidité ingénue; et comme il avait déclaré, en commençant, n'avoir rien de secret à me dire, je prévoyais bien que ce secret ne sortirait pas aisément. Il ne fallait, pour se convaincre de l'obstination du Masaccio, et en même temps pour pressentir en lui quelque


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