Nanon. Жорж Санд

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Nanon - Жорж Санд


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aurait mis son apport dans une communauté, soit réduit à des secours personnels. D'ailleurs, on va faire, si on n'a déjà fait, – car je ne sais pas tout ce qui se passe, – une loi qui n'autorisera plus le renouvellement des communautés. On laissera mourir les vieux religieux en leur assurant du pain, et on ne permettra plus que des jeunes gens s'engagent par des voeux éternels. Je ne serai donc pas moine, et j'en ai tant de joie qu'il me semble que je commence à exister. Tu as cru que j'en prenais mon parti… et, au fait, tu as eu raison, je le prenais comme une âme désespérée qui, par fierté, se garde d'une résistance impossible. Je ne le prendrais plus, à présent que j'ai respiré, comme on dit, dans ces temps nouveaux, le souffle de la liberté!

      – Mais que ferez-vous, mon petit frère, si vos parents ne vous donnent rien de leurs biens?

      – S'ils me laissaient mourir de faim, ce que je ne suppose pas, je me ferais paysan, ce qui ne me serait pas difficile. Je sais me servir d'une cognée et d'un hoyau tout comme un autre. Il me semble très aisé de vivre à ma guise, à présent que le monde m'est ouvert. Je ne me tourmente pas du tout de mon sort. Au besoin, je me ferais soldat, j'ai de l'espérance et de la gaieté plein le coeur. On me laisse ici, j'y reste sans ennui et sans impatience, à présent que j'y ai des amis et que personne ne me méprise plus. Tu vois que tu n'as plus à t'inquiéter de moi. Songe plutôt à toi- même, ne te décourage pas des ennuis que tu auras pour gouverner ton petit bien. Le paysan d'aujourd'hui, vois-tu, est entre deux choses bien différentes: le passé, où beaucoup aimaient mieux souffrir que de s'aider; l'avenir, où, en s'aidant, il ne souffrira plus. Tu as toujours eu l'idée du courage, puisque c'est toi la première qui me l'a donnée. Conserve-la, c'est la bonne, et, s'il faut doubler ta volonté, double-la plutôt que de retourner dans l'état d'âme malade et abrutie où le servage tient ceux qui l'acceptent.

      Je ne sais pas trop en quelles paroles le petit frère me dit toutes ces choses; je me les rappelle comme je peux, et sans doute il fit effort pour les faire entrer dans mon esprit, mais elles y entrèrent bien et une fois pour toutes; elles répondaient à l'instinct que j'avais de me bien gouverner dans la vie, et j'en ai fait mon profit, ma vie durant.

      Nous retournâmes à la fête, dont le bruit nous attirait. Il était arrivé deux paroisses voisines qui venaient _fraterniser _avec nous, on disait comme cela. Elles avaient amené leurs musettes et pipeaux et planté leurs banderoles auprès de la nôtre, sur la fontaine aux miracles. Jamais Valcreux n'avait vu si belle réjouissance, et, quand vint la nuit, on fit effort pour se quitter. On allait commencer la moisson, et les gens de la plaine, s'étant loués pour abattre la récolte, ou ayant quelque chose à recueillir chez eux, ne voulaient pas manquer au devoir de la terre. C'était des communes plus riches que nous autres gens de montagne pour qui la moisson n'était pas une si grande affaire; et, comme quelques-uns de chez nous s'en plaignaient:

      – Ayez confiance, nous dirent les voisins. Achetez le bien de vos moines, et, là où ils ne recueillent que du genêt, vous ferez pousser de l'orge et de l'avoine.

      On se sépara en s'embrassant, en se jurant de rester unis et de se prêter assistance en tout besoin. On fit la conduite aux partants, et, comme je revenais avec le petit frère à la tombée de la nuit, nous fûmes témoins d'une aventure qui me donna bien à penser.

      Nous étions restés en arrière tous les deux je ne sais plus pourquoi, et, pour rattraper les autres, l'idée nous vint de prendre une traquette à peine frayée dans les ravines. En marchant vite et sans bruit sur la mousse, nous nous trouvâmes rejoindre deux personnes, une fille que je reconnus bien pour être des environs et un grand gars qui ne pouvait cacher ce qu'il était, car son froc le distinguait dans la nuit. Ils ne nous virent point et marchèrent un moment devant nous, la fille disant:

      – Je ne veux point vous écouter, vous n'êtes point pour vous marier avec moi.

      Et lui, le frère Cyrille, un des deux jeunes moines de Valcreux, lui répondant:

      – Si tu me veux écouter, je te jure le mariage. Je quitterai demain le couvent.

      – Quittez-le et venez avec moi chez mes parents, dit-elle; alors, je vous écouterai.

      Elle voulait partir et lui la retenir; mais il nous vit, et, tout honteux, il s'en alla d'un côté pendant que la fille lui échappait en gagnant de l'autre.

      Le petit frère ne fit pas l'étonné et reprit son chemin avec moi sans rien dire; moi, j'en étais toute saisie et je ne pus me garantir de la curiosité de le questionner.

      – Croyez-vous donc, lui dis-je, que ce frère épousera la Jeanne Moulinot?

      – Mais oui, me répondit-il, qui l'empêcherait? il y a longtemps qu'il y songe; il faut bien qu'il se fasse une famille, car un homme ne peut pas vivre seul.

      – Alors, vous vous marierez aussi, je vois cela.

      – Certainement, je veux avoir des enfants pour les rendre heureux.

      Mais je suis trop jeune encore pour y penser.

      – Trop jeune? Dans combien de temps y penserez-vous?

      – Dans cinq ou six ans peut-être, quand j'aurai trouvé un état.

      – Sans doute vous trouverez une riche demoiselle?

      – Je ne sais pas, cela dépendra de ce que ma famille voudra faire pour moi; mais je ne prendrai pour femme que celle que j'aimerai.

      – Est-ce que ce n'est pas toujours comme cela qu'on se marie?

      – Non, on se marie souvent par intérêt.

      – Alors, vous serez très heureux un jour? mais, moi, je ne vous verrai plus_, _je ne saurai peut-être pas où vous êtes, et vous ne vous souviendrez plus de moi.

      – Je me souviendrai toujours de toi, fussé-je bien loin d'ici.

      – Je voudrais apprendre une chose que vous devez savoir.

      – Quoi donc?

      – Je voudrais savoir connaître les pays sur une carte, comme j'en ai vu une au moutier.

      – Eh bien, j'apprendrai la géographie et je te l'enseignerai.

      Nous nous quittâmes devant le moutier. Il y avait encore du monde occupé à rentrer les tables et les bancs, j'entendis des anciens qui disaient:

      – Voilà un jour trop beau pour qu'il revienne jamais. Ce qui est si heureux ne peut pas durer!

      Ils disaient la vérité, c'était le plus beau jour de la révolution dans toute la France. Tout allait s'embrouiller et se gâter. Ceux qui avaient de l'expérience pouvaient le prévoir; moi, je ne le pouvais pas, et cette sentence des vieux me fit peur. Cela me paraissait une parole injuste et ingrate envers le bon Dieu qui, selon moi, devait vouloir faire durer ce qui est bien. Je remontai à ma cabane, poursuivie par une idée triste, l'idée qu'un jour devait venir où je verrais partir le petit frère, sans espoir de le revoir jamais. Une larme m'en tomba sur la joue. La prédiction des vieux se réalisait; je venais de vivre le plus beau jour de ma vie d'enfant, et je la finissais déjà par une frayeur de l'avenir et une envie de pleurer.

      Pourtant le reste de l'année s'écoula sans amener d'événements malheureux dans nos campagnes; mais la joie que nous avions eue ne se soutint pas, et les choses que l'on entendait dire donnaient de l'inquiétude. Aussi ne se présentait-il personne pour acheter les biens du couvent, et le maire, qui avait reçu très peu de l'argent promis pour l'achat de ma maison, dut se contenter d'en payer pour moi le loyer aux moines.

      Parmi les choses qui nous alarmaient, on racontait qu'il y avait de grandes disputes à Paris entre le parti du roi et l'Assemblée nationale; que les nobles et les prêtres se moquaient des décrets de l'année 89 et menaçaient de faire battre ensemble ces communes que l'on croyait si bien d'accord contre eux. Le commerce n'allait pas, on sentait plus de misère qu'auparavant et on recommençait à avoir peur des brigands, quoique on ne sût toujours pas d'où ils pourraient venir. On savait bien qu'il y avait eu, en plusieurs endroits, des brigandages commis, des bois brûlés, des châteaux pillés, mais c'était par des paysans, par des gens comme nous et on cherchait à les excuser en supposant que les seigneurs les avaient


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