Nanon. Жорж Санд

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Nanon - Жорж Санд


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que les deux jeunes frères Cyrille et Pascal décampèrent de bon matin, jetant comme on dit, et pour tout de bon, le froc aux orties. On en fit des risées dans la paroisse. Trois des quatre religieux qui restaient s'en fâchèrent et commencèrent à prêcher contre l'esprit révolutionnaire. Ils étaient pourtant aussi en révolution chez eux. Le père prieur étant mort, ils ne lui avaient pas nommé de successeur faute de s'entendre, et ils vivaient en république sans commandement et sans discipline.

      Le petit frère, que l'on commençait tout doucement à appeler M. Émilien, vu qu'il ne cachait à personne son intention de ne pas rester au couvent, se taisait par bienséance sur les querelles d'intérieur dont il était témoin; mais, me connaissant très secrète, il me les racontait quand nous étions seuls. Je sus par lui que le père Fructueux, ce gros brutal que nous n'aimions pas, était le meilleur et le seul sincère des quatre. Il n'était certes pas content de voir le moutier en vente, car il croyait la vente sérieuse et prochainement réalisable; mais il était résolu à ne rien faire de mal pour l'empêcher, tandis que les autres, surtout le père Pamphile, conseillés et poussés par des lettres et des avis secrets, parlaient de faire battre les paysans, d'ameuter les plus dévots en effrayant les consciences contre ceux qui n'avaient pas de scrupules religieux par rapport aux biens d'Église, enfin ils souhaitaient la guerre civile parce qu'on leur avait persuadé que Dieu la voulait, et, s'ils eussent été plus hardis ou plus habiles, ils nous eussent tournés les uns contre les autres.

      Un soir, comme, après avoir fait souper mes deux grands cousins, je m'en retournais coucher chez la Mariotte, Émilien vint me prendre à part.

      – Écoute, me dit-il, c'est un secret entre nous deux. Il y a assez d'agitation dans la commune, il ne faut point ébruiter ce que je vais te dire. Je n'ai pas vu ce soir le père Fructueux au souper. On s'était beaucoup querellé avec lui dans la journée, on a dit qu'il était malade. Je me suis glissé dans sa cellule, il n'y était pas, et, comme je le cherchais partout, on m'a dit qu'il était en punition, que cela ne me regardait pas et que j'eusse à rentrer dans ma chambre. J'ai parlé avec sincérité, disant que punir un frère pour une différence d'opinions politiques me paraissait un abus de pouvoir. Je voulais savoir en quoi consistait la punition. On m'a imposé silence et on m'a menacé de m'enfermer aussi. Donc, le pauvre moine est enfermé quelque part. J'ai vu que je ne ferais que lui nuire en insistant, que tout était changé et qu'on allait employer la rigueur. Je suis entré dans ma cellule sans rien dire, comme si je me soumettais, mais tout aussitôt j'ai fait le chat, je suis sorti par la fenêtre, j'ai marché sur les toits, j'ai gagné un endroit par où la descente est possible, et me voilà. Je veux savoir où est ce pauvre économe. Si c'est dans le cachot, et je le crains, c'est un endroit affreux et ils peuvent l'y faire beaucoup souffrir, ne fut-ce que de jeûner, ce qui serait pour lui une grande mortification, car il est habitué à bien vivre et à ne se refuser rien. Or, je sais le moyen de pénétrer, non pas dans le cachot, mais dans un petit couloir par où le cachot prend un peu d'air. J'ai essayé plusieurs fois de savoir si une personne mince pouvait s'y glisser pour parler aux prisonniers et leur porter secours, je n'ai jamais pu y passer, et pourtant il ne s'en fallait pas de beaucoup: j'ai les épaules larges, mais, toi, qui es menue comme une quenouille, tu y passeras sans peine. Viens donc; quand je saurai si le moine est là, j'aviserai à le délivrer. S'il n'y est pas, je dormirai tranquille, car, dans ce cas, sa pénitence ne sera pas bien cruelle.

      Je ne fis aucune réflexion. J'ôtai mes sabots pour ne pas faire de bruit sur le roc, et, par un sentier de chèvres qui tombait tout droit sur les derrières du moutier, je suivis Émilien. Il me fit descendre encore dans une petite coupure à pic en me prenant dans ses bras, et de là, nous nous glissâmes dans une espèce de caveau. Je connaissais bien tous ces recoins où la bâtisse et le rocher ne se distinguaient plus guère l'un de l'autre; il n'est pas d'endroits mystérieux où les enfants ne pénètrent; mais je ne savais pas ce qu'il y avait derrière une lucarne épaisse et fermée à clef qui terminait le caveau. Il y avait longtemps qu'Émilien, qui était plus fureteur que pas un, connaissait l'endroit, et avait remarqué que, depuis le matin, cette lucarne était ouverte, ce qui prouvait qu'il devait y avoir quelqu'un dans le cachot puisque c'en était la prise d'air.

      – C'est là qu'il faut que tu passes, me dit-il, vois si tu le peux sans te faire de mal.

      VII

      Je ne voyais pas même le trou noir où je devais m'engager; car, outre qu'il faisait nuit, le caveau était obscur en plein jour et on n'y allait qu'à tâtons. Je n'hésitai pas et je passai très facilement. Je rampai jusqu'à la grille d'un petit soupirail et j'écoutai. D'abord, je n'entendis rien, et puis je saisis quelque chose comme des mots dits tout bas; enfin la voix s'éleva assez pour que je reconnusse celle de l'économe. Il disait ses prières en gémissant. Je l'appelai avec précaution. Il eut peur et se tut brusquement.

      – Ne craignez rien, lui dis-je, c'est moi, la petite Nanette amenée par le petit frère Émilien, qui est là aussi derrière moi pour savoir si vous souffrez.

      – Ah! mes braves enfants, répondit-il, merci! Dieu vous bénisse! certes oui, je souffre, je suis mal, car j'étouffe; mais vous n'y pouvez rien.

      – Peut-être aussi que vous avez faim et soif?

      – Non, j'ai du pain et de l'eau, et je m'arrangerai pour dormir sur la paille. Une nuit est bientôt passée et peut-être que demain ma pénitence sera finie. Retirez-vous; si Émilien était surpris essayant de me porter secours, il serait puni comme moi.

      Je m'en revins à reculons vers Émilien, qui me pria de retourner lui dire ceci:

      – Une nuit n'est rien; mais, si vous devez rester ici davantage, nous le saurons et nous ferons en sorte de vous délivrer.

      – Gardez-vous-en bien! s'écria-t-il, je dois me soumettre, ou mon sort serait pire.

      Il n'était pas_ _facile de parlementer longtemps, car j'étouffais dans ce boyau de maçonnerie et je retirais au prisonnier le peu d'air qu'il avait. Quand je revins près d'Émilien:

      – Je vois une chose certaine, lui dis-je; c'est que, si vous rentrez au moutier, vous serez traité comme ce pauvre_ _frère.

      – Sois tranquille, répondit-il, je serai très prudent. Si le père Fructueux ne reparaît pas demain, je sais où il est et je verrai ce que je dois faire. Comme j'ai à le délivrer, je ne suis pas si simple que de me faire coffrer moi-même.

      Nous nous séparâmes.

      Le lendemain, le prisonnier était toujours dans le cachot et le surlendemain aussi. Nous lui parlions chaque soir et je réussis à lui faire passer un peu de viande qu'Émilien déroba pour lui et qui lui fit grand plaisir à sentir; mais il nous dit ensuite qu'il n'avait pu manger parce qu'il se sentait malade. Sa voix était affaiblie et, le soir du troisième jour, il semblait n'avoir plus la force de nous répondre. Tout ce que nous pûmes comprendre, c'est qu'il devait rester là jusqu'à ce qu'il eût juré quelque chose qu'il ne voulait pas jurer. Il aimait mieux mourir.

      – À présent, me dit Émilien, il n'y a rien à ménager, ce serait lâche! Viens avec moi chez le maire, tu témoigneras de la vérité. Il faut que le magistrat somme les moines de délivrer ce malheureux.

      Ce ne fut pas aussi facile qu'il se l'imaginait. Le maire était un bien brave homme, mais pas trop hardi. Il avait gagné du bien en affermant la meilleure métairie des moines, et il ne savait plus trop s'ils ne redeviendraient pas les maîtres. Il disait bien que l'économe était le seul bon de la communauté et qu'elle aurait dû le nommer supérieur; mais il ne voulait pas croire que les frères eussent l'intention de le laisser mourir en prison.

      Heureusement, d'autres municipaux arrivèrent et Émilien leur parla très vivement. Il leur rappela que la loi rompait les voeux et décrétait la liberté des religieux. Le devoir de la municipalité était de faire respecter la loi, il n'y avait pas à aller contre. Si celle de Valcreux s'y refusait, il partirait sur l'heure pour la ville où il trouverait bien des magistrats plus courageux et plus humains.

      Je fus toute contente de voir le feu qu'il y mettait, et, par prières et caresses, je plaidai aussi auprès du maire, qui m'aimait beaucoup et me questionnait sur le cachot du moine, sachant


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